de leurs brodequins dorés: les antiques villes vont se remplir de leurs premiers citoyens: je revois Thèbes et son Épaminondas, et son Pindare, et son Hésiode. La Béotie valait donc mieux que sa renommée! Je revois Lesbos, qui se glorifie encore de son Pittacus, toujours honorant sa mémoire, toujours négligeant ses exemples. Je revois Méthymne, Antissa, Mitylène, dont les montagnes harmonieuses répétaient d'échos en échos les divins accords d'Arion, d'Alcée, de Sapho, de Terpandre... Mais, vous oublierai-je, terre classique qui vites les Grecs combattre les Troyens, et tout l'Olympe sur la terre, juge de ces grandes luttes; Simoïs, qui rouliez les corps, les boucliers, les cuirasses des vainqueurs et des vaincus? Salut, mont Ida! salut, mystérieux Gargare!... Laissons-nous entraîner sur les pas de nos voyageurs vers ces doctes plaines qu'arrosent l'Ilyssus et le Céphise, lieux révérés où de génération en génération voyage par la pensée une jeunesse studieuse; où les amis des arts vont en souvenir, à toutes les époques de leur vie, comme respirer l'air natal, afin d'entretenir la force et la pureté de leurs principes !... Voici l'enceinte où Platon régnait sur les cœurs par la douce persuasion, où Démosthènes lançait des foudres sur les traîtres et sur les tyrans. A la vue de cette Athènes aujourd'hui méconnaissable, quels sentiments de regrets ensemble et d'admiration saisirent votre âme, ô Choiseul, Delille!... Écoutez le favori des Muses: lorsque son pied commença de toucher cette poussière poétique formée des cendres des Eschyle, des Sophocle, des Euripide, des Pindare, il sentit couler ses larmes. Je pleurai, dit-il. Qui pourrait en être surpris?... C'était un fils sensible et religieux qui retrouvait dans une solitude étrangère les cendres de ses ancêtres 1. LAYA. Discours de réception à l'Académie française. EFFET PITTORESQUE DES RUINES DE PALMYRE, D'ÉGYPTE, ETC. Les ruines, considérées sous les rapports pittoresques, sont d'une ordonnance plus magique dans un tableau, que le monument frais et entier. Dans les temples que les siècles n'ont point percés, les murs masquent une partie du paysage et empêchent qu'on ne distingue les colonnades et les cintres de l'édifice; mais, quand ces temples viennent à crouler, il ne reste que des masses isolées, entre lesquelles l'œil découvre au haut et au loin les astres, les nues, les forêts, les fleuves, les montagnes: alors, par un jeu naturel de l'optique, les horizons reculent, et les galeries, suspendues en l'air, se découpent sur les fonds du ciel et de la terre. Ces beaux effets n'ont pas été inconnus des anciens; ils élevaient des cirques sans masses pleines pour laisser un libre accès à toutes les illusions de la perspective. Les ruines ont ensuite des accords particuliers avec leurs déserts, selon le style de leur architecture, les lieux où elles se trouvent placées, et les règnes de la nature, au méridien qu'elles occupent. Dans les pays chauds, peu favorables aux herbes et aux mousses, elles sont privées de ces graminées qui décorent nos châteaux et nos vieilles tours; mais aussi de plus grands végétaux se marient aux plus grandes formes de leur architecture. A Palmyre, le dattier fend les tétes d'hommes et de lions qui soutiennent les chapiteaux du temple du Soleil. Le palmier remplace de sa colonne la colonne tombée; et le pêcher, que les anciens consacraient à Harpocrate, s'élève dans la retraite du silence. On y voit encore une espèce d'arbre, dont le feuillage échevelé, et les fruits en cristaux, forment, avec les débris pendants, debeaux accords de tristesse. Une caravane, arrêtée dans ces déserts, y multiplie les effets pittoresques. Le costume oriental allie bien sa noblesse à la noblesse de ces ruines; et les chameaux et les dromadaires semblent en accroître les dimensions, lorsque, couchés entre de grands fragments de maçonnerie, ces énormes animaux ne laissent voir que leurs têtes fauves et leurs dos bossus. Les ruines changent de caractère en Égypte; souvent elles étalent, dans un petit espace, toutes les sortes d'architecture et toutes sortes de souvenirs. Les sphinx et les colonnes du vieux style égyptien s'élèvent auprès de l'élégante colonne corinthienne. Un morceau d'ordre toscan s'unit à une tour arabesque. D'innombrables débris sont roulés dans le Nil, enterrés dans le sol, cachés sous l'herbe: des champs de fèves, des rizières, des plaines de trèfles, s'étendent à l'entour. Quelquefois des nuages, jetés en ondes sur les flancs des ruines, les partagent en deux moitiés : le chacal, monté sur un piédestal vide, allonge son museau de loup derrière le buste d'un Pan à tête de bélier; la gazelle, l'autruche, l'ibis, la gerboise 2, sautent parmi les décombres; et la poule sultane s'y tient immobile, comme un oiseau hiéroglyphique de granit et de porphyre. 1 Voyez 2e partie, Tableaux et Descriptions. 2 L'ibis, oiseau de l'ordre des échassiers. de la grandeur d'une poule, était révéré particulièrement en Egypte. La gerboise est un mammifère de l'ordre des rongeurs, dont le principal caractère consiste en des pieds de derrière d'une longueur démesurée, en comparaison de ceux de devant. Le chacal est un animal carnassier, un peu plus pet's qu'un loup. (N. E.) et là, le coude appuyé sur le genou, la tête sou tenue sur la main, tantôt portant mes regards sur le désert, tantôt les fixant sur les ruines, je m'abandonnai à une rêverie profonde. La vallée de Tempé, les bois de l'Olympe, les côtes de l'Attique et du Péloponnèse, étalent de toutes parts les ruines de la Grèce. Là, commenIci, me dis-je, ici fleurit jadis une ville opucent à paraître les mousses, les plantes grimpantes | lente; ici fut le siége d'un empire puissant. Oui, ces lieux, maintenant si déserts, jadis une multitude vivante animait leur enceinte, une foule active circulait dans ces routes aujourd'hui solitaires.: en ces murs, où règne un morne silence, retentissaient sans cesse le bruit des arts et les cris d'allégresse et de fêtes; ces marbres amoncelés formaient des palais réguliers; ces colonnes abattues ornaient la majesté des temples, ces galeries écroulées dessinaient les places publiques! et les fleurs saxatiles; une guirlande vagabonde de jasmin embrasse une Vénus antique, comme pour lui rendre sá ceinture. Une barbe de mousse blanche descend du menton d'une Hébé; le pavot croît sur les feuillets du livre de Mnémosyne, aimable symbole de la renommée passée, et de l'oubli présent de ces lieux. Les flots de l'Égée qui viennent expirer sous de croulants portiques, Philomèle qui se plaint, Alcyon qui gémit, Cadmus qui roule ses anneaux autour d'un | Là, pour les devoirs respectables de son culte autel 1, le cygne qui fait son nid dans le sein d'une Léda: tous ces accidents, produits par les Grâces, enchantent ces poétiques débris. Un souffle divin anime encore la poussière des temples d'Apollon et des Muses; et le paysage entier, baigné par la mer, ressemble au beau tableau d'Apelles, consacré à Neptune, et suspendu à ses rivages. CHATEAUBRIAND. Génie du Christianisme. LES RUINES DE PALMYRE. Le soleil venait de se coucher; un bandeau rougeâtre marquait encore sa trace à l'horizon lointain des monts de la Syrie: la pleine lune, à l'orient, s'élevait sur un fond bleuâtre aux planes rives de l'Euphrate; le ciel était pur, l'air calme et serein; l'éclat mourant du jour tempérait l'horreur des ténèbres; la fraîcheur naissante de la nuit calmait les feux de la terre embrasée; les pâtres avaient retiré leurs chameaux; l'œil n'apercevait plus aucun mouvement sur la plaine monotone et grisâtre; un vaste silence régnait sur le désert; seulement, à de longs intervalles, l'on entendait les lugubres cris de quelques oiseaux de nuit et de quelques chacals... L'ombre croissait, et déjà, dans le crépuscule, mes regards ne distinguaient plus que les fantômes blanchâtres des colonnes et des murs... Ces lieux solitaires, cette soirée paisible, cette scène majestueuse, imprimèrent à mon esprit un recueillement religieux. L'aspect d'une grande cité déserte, la mémoire des temps passés, la comparaison de l'état présent, tout éleva mon cœur à de hautes pensées. Je m'assis sur le tronc d'une colonne; On sait que Cadmus fut changé en serpent. (N. E.) 2 La soie; les anciens appelaient la Chine le pays des Sères. Ophir était situé sur les bords de la mer Rouge. Thule est Vile d'Islande. (N. E.' pour les soins touchants de sa subsistance, affluait un peuple nombreux. Là, une industrie créatrice de jouissances appelait les richesses de tous les climats, et l'on voyait s'échanger la pourpre de Tyr pour le fil précieux de la Sérique 2, les tissus moelleux de Cachemire pour les tapis fastueux de la Lydie, l'ambre de la Baltique pour les perles et les parfums arabes, l'or d'Ophir pour l'étain de Thule! Et maintenant, voilà ce qui subsiste de cette ville puissante, un lugubre squelette ! Voilà ce qui reste d'une vaste domination, un souvenir obscur et vain! Au concours bruyant qui se pressait sous ces portiques, a succédé une solitude de mort. Le silence des tombeaux s'est substitué au murmure des places publiques. L'opulence d'une cité de commerce s'est changée en une pauvreté hideuse. Les palais des rois sont devenus le repaire des bêtes fauves; les troupeaux parquent au seuil des temples, et les reptiles immondes habitent le sanctuaire des dieux!... Ah! comment s'est éclipsée tant de gloire!... Comment se sont anéantis tant de travaux !... Ainsi donc périssent les ouvrages des hommes! Ainsi s'évanouissent les empires et les nations 3! VOLNEY. Les Ruines. RUINES DE NICOPOLIS. Le théâtre d'Apollon, nom répété machinalement par les paysans, est adossé à la base des montagnes de la Cassiopie ; ses hautes murailles, qui entourent les débris de la scène, l'annoncent de loin, et attirent les premiers regards du voyageur. La grandeur romaine respire encore dans 3 Voyez, Tableaux en vers, deux morceaux de ce genre. 4 Les Cassiopéens habitaient une partie de l'épire. Leur pays se nommait Cassiopie ou Almène, la capitale était Nicopolis. (NE.) ce monument. Son style colossal, les larges bri- | platanes en ombragent le pourtour, et présentent ques de ses murs, les grandes pierres de ses gradins écroulés, couverts de noms grecs et latins, annoncent jusque dans les ruines de ses ouvrages la majesté du peuple-roi. Mais, hélas! tristes restes des fastes de la gloire, dix-huit siècles ont passé, les Romains ne sont plus: encore quelques retours des années, et ces décombres eux-mêmes auront disparu. Le théâtre, qui retentissait des acclamations du peuple lorsque le voile de pourpre s'élevait au-dessus des spectateurs, ne répond plus qu'aux glapissements sinistres des chacals. Le loup féroce et le serpent venimeux habitent sous les voûtes, et les bancs réservés aux sénateurs sont couverts de hautes fougères. Les épines et des ronces hérissent le palais des Césars, et les halliers remplissent la salle brillante des festins. Près de là, l'eau des Thermes arrose les chapiteaux d'une église gothique renversée sur les leur abri aux voyageurs fatigués. C'est un spectacle intéressant que celui d'un kan, lorsque, vers la fin du jour, plusieurs caravanes arrivent de divers endroits pour y passer la nuit; de longues files de chameaux viennent y déposer leurs charges précieuses; une foule de cavaliers les accompagnent ou les suivent; ils ont des vêtements variés, des armes, des figures différentes. Le mouvement est général; on parle à la fois plusieurs langues; on se retrouve avec surprise; on se reconnaît avec joie; les uns proposent des marchés; les autres s'interrogent sur les dangers de la route: toutes les nations, toutes les religions se rapprochent pour leur intérêt commun. Un vieillard, inspecteur du kan, chargé d'y maintenir le bon ordre, est assis à l'entrée; il accueille les voyageurs, leur rend le salut et les vœux qu'ils lui adressent; il s'informe de ceux qu'il n'aperçoit débris d'un temple auquel elle avait succédé. On ❘ point encore: tous se félicitent de le revoir, et le moissonne dans l'agora 1! des chèvres errent sur POUCQUEVILLE. Voyage en Grèce, LE KAN OU KIARVANSERAI. On appelle du mot générique kan tous les lieux publics où les voyageurs sont admis: on donne plus particulièrement le nom de kiarvanserai aux bâtiments assez vastes pour recevoir de nombreuses troupes de marchands, nommées kiarvan, et que nous appelons assez improprement caravanes. Ces édifices sont dus, presque tous, à la piété des pachas, ou des riches particuliers-qui les ont fait construire, et les ont placés sous la sauvegarde de la religion, en consacrant à des mosquées le modique revenu qu'on en retire. traitent avec égards; il veille aux intérêts de ses hôtes, assigne les places, prévient les discordes. Etsi, à la suite de ces riches convois, venus des régions lointaines, il se trouve, par un contraste trop fréquent, quelques malheureux dénués de tout, au nom de Dieu et de Mahomet, ils sont traités comme des frères qui achèvent plus laborieusement que d'autres le pèlerinage de la vie. Ils n'ont pas craint d'entrer; sur la porte ils ont lu ces mots, gravés en lettres d'or : Le paradis est à ceux qui nourrissent pour l'amour de Dieu, les malheureux sans ressources, les orphelins et les esclaves. DE CHOISEUL-GOUFFIER. Voyage pittoresque de la Grèce, LES MOEURS HOSPITALIÈRES DE L'ORIENT. A l'aspect de tels monuments, pourrait-on ne pas arrêter quelques instants sa pensée sur l'origine et les pratiques diverses de cette vertu de l'Orient, qui semble s'unir à l'enfance du monde? C'est surtout dans les contrées où les mœurs ont conservé leur simplicité originelle, c'est sous les tentes de ces nomades, riches de leurs nombreux troupeaux, et heureux de leur indépendance, qu'on retrouve les habitudes patriarcales, qu'on croit voir encore Abraham, oubliant le poids des années pour courir au-devant des voyageurs inconnus, et les conjurer de ne pas dédaigner sa demeure; ou ce pieux Israélite, modèle de bienfaisance, Les kiarvanserai sont presque toujours formés de quatre bâtiments qui renferment une vaste cour: au rez-de-chaussée sont des écuries et des magasins; l'étage supérieur est divisé en un grand nombre de chambres; elles ont presque toutes une cheminée, et communiquent par une galerie extérieure; au milieu de la cour est une fontaine | qui charmait sa captivité en soulageant le malheur abondante et richement décorée; de magnifiques de ses frères 2. Dans des lieux où se retrace ainsi la vive image de ces mœurs antiques, le voyageur | bandonnera l'étranger qu'il aura reçu; la famille accueilli, secouru, bénit la fidélité de ces peuples aux pieux usages de leurs pères; il souhaite que le malheur ne puisse les atteindre, que son hôte généreux ne soit jamais réduit à s'écrier comme Job succombant à l'excès de ses douleurs: ‹ Je n'ai pourtant pas laissé l'étranger hors de ma demeure, et ma porte fut toujours ouverte aux voyageurs. › entière périra plutôt pour le défendre, pour se préserver de l'affront d'avoir laissé insulter un de ses hôtes; et, à l'abri de ce titre sacré, le voyageur traversera le désert au milieu des hordes ennemies, protégé à la fois par l'honneur et la religion. Tous s'indigneraient de la seule idée de trahir le malheureux qui se serait réfugié sous leur toit, qui aurait touché le pan de leur robe. LE MÊME. Ibid. LE MÊME SENTIMENT ET LA MÊME VERTU DANS LES ILES En effet, tous les Arabes pourraient encore aujourd'hui prendre, comme Job, le ciel à témoin de leur attachement à ces principes révérés; les usages qui leur sont particuliers remontent, comme eux, jusqu'aux premiers âges du monde. Le voyageur, après quelques expressions réciproques de bienveillance, offre un léger présent, toujours reçu avec un sentiment religieux : un don considérable serait repoussé comme une insulte; et si, à la fin d'un long voyage, il se trouve avoir distribué les productions du sol ou de l'industrie de son pays, dont il avait eu le soin de se munir, c'est alors une fleur, une simple branche d'arbuste, cueillie près de la maison, qu'il présente en entrant. Cet acte seul est une formule qui sollicite un asile, et qui est toujours entendue. Offrir la feuille verte est, pour ces peuples, synonyme de demander l'hospitalité; les serviteurs, les enfants s'empressent autour du mussafir 1; on dirait qu'il apporte une heureuse nouvelle; on se fait un sujet de joie de sa présence; et, déjà, il est bien sûr que rien ne sera négligé de ce qui peut lui rendre son séjour agréable; c'est un devoir rigoureux de le garder au moins trois jours, de tuer pour lui l'agneau le plus gras; le mussafir est invité à porter le premier la main au plat, à se croire le maître de la maison; et, ❘ quelque chose de contraint et d'austère comme d'après un usage général, c'est lui qui doit faire les honneurs du repas qu'on lui donne, et offrir le premier morceau à celui qui le nourrit : son hôte le remercie d'avoir choisi sa demeure, et se félicite du bonheur dont cette préférence lui semble le présage. Les musulmans ont tous ces mêmes principes. Le nom de mussafir est à la fois une sauvegarde et un titre d'honneur que les plus fanatiques ne refusent pas aux chrétiens. Pour être l'objet de leur intérêt, il suffit d'être loin de sa terre natale : tout déplacement est, en effet, un malheur aux yeux de ces hommes qui trouvent la félicité dans le repos, et ne peuvent même concevoir le but de nos brillantes agitations. Tandis que, parmi nous, le voyageur est souvent l'homme heureux dont on envie le sort, il est constamment pour ces peuples un infortuné à secourir, un navigateur jeté sur une côte lointaine. On sent bien, cependant, que l'hospitalité en honneur chez tous les peuples de l'Orient, quelle que soit leur croyance, doit recevoir une teinte particulière des mœurs de chacun de ces peuples. Chez les Arabes, elle porte l'empreinte de leur simplicité et de leur indépendance; celle des Tures a eux; ils laissent trop souvent apercevoir l'embarras qu'ils éprouvent, en admettant des étrangers dont ils redoutent l'indiscrétion : on voit qu en vous recevant, c'est un devoir qu'ils remplissent; chez les Grecs, au contraire, c'est réellement une fête qu'ils célèbrent; et l'on est frappé de ce contraste, surtout dans les îles où ils ont conservé plus fidèlement leurs usages, où ils ne sont pas alarmés par la présence de leurs tyrans et par la nécessité de cacher leur aisance à la rapacité qui les épie. Les Arabes Bédouins, eux-mêmes, toujours prêts pour le pillage, qu'aucun lien n'unit aux autres nations, qui dépouillent sans pitié les caravanes traversant les déserts, et poursuivent le voyageur fuyant à leur aspect, qui se croient le droit de reprendre par la force l'antique héritage dont ils furent, disent-ils, injustement dépouillés dans la personne d'Ismaël, semblent, tout à ❘ petite nation viennent s'informer quel est l'étran A la vue d'un bateau entrant dans le port de Naxos, de Chios, de Myconi, etc., les chefs de la coup, par une étonnante opposition, oublier leur caractère, pour exercer la plus noble et la plus courageuse hospitalité. Jamais aucun d'eux n'a ger que la curiosité amène sur leurs bords; et celui qui s'est assuré le premier le bonheur de l'attirer chez lui, s'efforce de justifier cette dissa tête. Au-dessus, on voit une vaste forêt de cèdres antiques, qui paraissent aussi vieux que la terre où ils sont plantés, et qui portent leurs branches épaisses jusque vers les nues. Cette forêt a sous ses pieds de gras pâturages dans la pente de la montagne; c'est là qu'on voit errer les taureaux qui mugissent. Les brebis qui bêlent, avec leurs tendres agneaux, bondissent sur l'herbe. Là coulent mille ruisseaux d'une eau claire. Enfin on voit au-dessous de ces pâturages le pied de la montagne, qui est comme un jardin : le printemps et l'automne y règnent ensemble, pour y joindre les fleurs et les fruits. Jamais, ni le souffle empesté du midi qui sèche et qui brûle tout, ni le rigoureux aquilon, n'ont osé effacer les vives couleurs qui ornent ce jardin. 4 Primitivement, en arabe, le voyageur, l'étranger; ξένος, hospes, hole, celui que l'on reçoit, même un parent, un ami. Ce titre indique toujours un devoir. Un ministre étranger est appelé, dans les pièces officielles, le mussafir très-honoré de la Sublime Porto tinction dont il s'honore. Sa famille, qu'il s'est hâté de faire avertir, est déjà prête à recevoir le voyageur: on s'empresse de lui apporter du café, des fruits ou des conserves de roses: la fille de la maison, parée de toutes les grâces de son âge, les lui présente, et s'étonne de l'embarras qu'il témoigne en se voyant servi par elle. Après un premier moment de repos, on lui propose de prendre un bain, ou de dormir quelques heures; ce temps est employé à préparer une agréable soirée. Les voisins sont invités au repas et à un bal, où les jeunes et belles insulaires exécutent des danses dont l'origine remonte aux premiers siècles de la Grèce; elles se font un amusement des questions que hasarde l'étranger, de l'ignorance où il est de leurs usages; elles se plaisent à les lui expliquer; et, cependant, le maître de la maison s'occupe des moyens de lui faire parcourir le lendemain l'intérieur de l'île, de lui montrer les sites les plus intéressants ou quelques débris d'antiques édifices: il raconte les vieilles traditions du pays; et, soit qu'il partage les idées | marchands y abondent de toutes les parties du C'est auprès de cette belle côte que s'élève, dans la mer, l'île où est bâtie la ville de Tyr. Cette grande ville semble nager au-dessus des eaux, et être la reine de toutes les mers. Les monde, et ses habitants sont eux-mêmes les plus fameux marchands qu'il y ait dans l'univers. populaires, soit qu'il étonne en montrant une instruction qu'on ne lui supposait pas, il intéresse toujours par la vivacité de son imagination et la | Quand on entre dans cette ville, on croit d'abord facilité de son langage. On essaye de retenir le voyageur; il éprouve lui-même le désir de rester; et lorsque, après quelques jours de repos et de distraction, il se décide enfin au départ, ce n'est jamais sans regret, sans souffrir de l'idée qu'il ne verra probablement plus ceux dont il vient d'éprouver une réception si aimable et si désintéressée. Quelle satisfaction pour lui si, quelques années après, des circonstances imprévues le ramenaient dans ce pays, avec le pouvoir de faire quelque bien, avec les moyens de rendre à ses anciens hôtes l'accueil qu'il en a reçu! LA VILLE DE TYR. LE MÊME. Ibid. J'admirais l'heureuse situation de cette grande ville, qui est au milieu de la mer, dans une île : la côte voisine est délicieuse par sa fertilité, par les fruits exquis qu'elle porte, par le nombre de villes et de villages qui se touchent presque, enfin par la douceur de son climat; car les montagnes mettent cette côte à l'abri des vents brûlants du midi. Elle est rafraîchie par le vent du nord qui souffle du côté de la mer. Ce pays est au pied du Liban, dont le sommet fend les nues et va toucher les astres; une glace éternelle couvre son front; des fleuves pleins de neiges tombent, comine des torrents, des rochers qui environnent que ce n'est point une ville qui appartienne à un peuple particulier, mais qu'elle est la ville commune de tous les peuples, et le centre de leur commerce. Elle a deux grands môles semblables à deux bras qui s'avancent dans la mer, et qui embrassent un vaste port. On voit comme une forêt de mâts de navires, et ces navires sont si nombreux, qu'à peine peut-on découvrir la mer qui les porte. Tous les citoyens s'appliquent au commerce, et leurs grandes richesses ne les dégoûtent jamais du travail nécessaire pour les augmenter. On y voit de tous côtés le fin lin d'Egypte, et la pourpre tyrienne deux fois teinte d'un éclat merveilleux. Cette double teinture est si vive, que le temps ne peut l'effacer. On s'en sert pour des laines fines, qu'on rehausse d'une broderie d'or et d'argent. Les Phéniciens ont le commerce de tous les peuples, jusqu'au détroit de Gades, et ils ont même pénétré dans le vaste Océan qui environne toute la terre. Ils ont fait aussi de longues navigations sur la mer Rouge; et c'est par ce chemin qu'ils vont chercher, dans des îles inconnues, de l'or, des parfuns, et divers animaux qu'on ne voit point ailleurs. Je ne pouvais rassasier mes yeux du spectacle magnifique de cette grande ville où tout était en mouvement. Je n'y voyais point, comme dans les villes de la Grèce, des hommes-oisifs et curieux qui vont chercher des nouvelles dans la place publique, ou regarder les étrangers qui arrivent sur le port. Les hommes sont occupés à décharger leurs vaisseaux, à |