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transporter leurs marchandises, ou à les vendre, ou à ranger leurs magasins, et à tenir un compte exact de ce qui leur est dû par les négociants étrangers; les femmes ne cessent jamais de filer des laines, ou de faire des dessins de broderies, ou de ployer les riches étoffes.

FÉNÉLON. Télémaque, liv. nt.

VUE DU LIBAN.

Le Liban, dont le nom doit s'étendre à toute la chaîne du Kesraouân et du pays des Druses, présente tout le spectacle des grandes montagnes. On y trouve à chaque pas ces scènes où la nature déploie tantôt de l'agrément ou de la grandeur, tantôt de la bizarrerie, toujours de la variété. Arrive-t-on par la mer, et descend-on sur le rivage? la hauteur et la rapidité de ce rempart qui semble fermer la terre, le gigantesque des masses qui s'élancent dans les nues, inspirent l'étonnement et le respect. Si l'observateur curieux se transporte ensuite jusqu'à ces sommets qui bornaient sa vue, l'immensité de l'espace qu'il découvrè devient un autre sujet de son admiration.

Mais, pour jouir entièrement de ce spectacle, il faut se placer sur lac ime même du Liban ou du Sannin. Là, de toutes parts, s'étend un horizon sans bornes; là, par un temps clair, la vue s'égare, et sur le désert qui confine au golfe Persique, et sur la mer qui baigne l'Europe: l'âme croit embrasser le monde. Tantôt les regards, errant sur la chaîne successive des montagnes, portent l'esprit, en un clin d'œil, d'Antioche à Jérusalem; tantôt, se rapprochant de tout ce qui les environne, ils sondent la lointaine profondeur du rivage; enfin l'attention, fixée par des objets distincts, observe avec détail les rochers, les bois, les torrents, les coteaux, les villages et les villes. On prend un plaisir secret à trouver petits ces objets qu'on a vus si grands. On regarde avec complaisance la vallée couverte de nuées orageuses, et l'on sourit d'entendre sous ses pas ce tonnerre qui gronda si longtemps sur la tête, on aime à voir à ses pieds ces sommets, jadis menaçants, devenus, dans leurabaissement, semblables aux sillons d'un champ ou aux gradins d'un amphithéâtre, l'on est flatté d'être devenu le point le plus élevé de tant de choses, et l'orgueil les fait regarder avec plus de complaisance.

Lorsque le voyageur parcourt l'intérieur de ces montagnes, l'aspérité des chemins, la rapidité des pentes, la profondeur des précipices, commencent par l'effrayer. Bientôt l'adresse des mulets qui le portent le rassure, et il examine à son aise les incidents pittoresques qui se succèdent pour le distraire. Là, comme dans les Alpes il

marche des journées entières pour arriver dans un lieu qui, dès le départ, est en vue: il tourne, il descend, il côtoie, il grimpe; et, dans ce changement perpétuel de sites, on dirait qu'un pouvoir magique varie à chaque pas les décorations de la scène. Tantôt ce sont des villages prêts à glisser sur des pentes rapides, et tellement disposés que les terrasses d'un rang de maisons servent de rue au rnag qui les domine. Tantôt, c'est un couvent placé sur un cône isolé ; ici, un rocher, percé par un torrent, est devenu une arcade naturelle; là, un autre rocher, taillé à pic, ressemble à une haute muraille; souvent, sur les coteaux, les bancs de pierre, dépouillés et isolés par les eaux, ressemblent à des ruines que l'art aurait disposées. En plusieurs lieux les eaux, trouvant

des couches inclinées, ont miné la terre intermédiaire, et ont formé des cavernes; ailleurs, elles se sont pratiqué des cours souterrains, où coulent des ruisseaux pendant une partie de l'année.

Quelquefois ces incidents pittoresques sont devenus tragiques: on a vu, par des dégels et des tremblements de terre, des rochers perdre leur équilibre, se renverser sur les maisons voisines, et en écraser les habitants. Il y a environ vingt ans qu'un accident semblable ensevelit un village qui n'a laissé aucunes traces. Plus récemment, et près du même lieu, le terrain d'un coteau, chargé de mûriers et de vignes, s'est détaché par un dégel subit; et, glissant sur le talus du roc qui le portait, il est venu, semblable à un vaisseau qu'on lance du chantier, s'établir tout d'une pièce dans la vallée inférieure.

VOLNEY. Voyage en Syrie.

ASPECT PHYSIQUE ET MORAL DE CONSTANTINOPLE.

Constantinople, et surtout la côte d'Asie, étaient noyées dans le brouillard: les cyprès et les minarets que j'apercevais à travers cette vapeur, présentaient l'aspect d'une forêt dépouillée. Comme nous approchions de la pointe du sérail, le vent du nord se leva, et balaya, en moins de quelques minutes, la brume répandue sur ce tableau; je me trouvai tout à coup au milieu des palais du commandeur des croyants. Devant moi le canal de la mer Noire serpentait entre les collines riantes, ainsi qu'un fleuve superbe : j'avais à droite la terre d'Asie et la ville de Seutari: la terre d'Europe était à ma gauche : elle formait, en se creusant, une large baie pleine de grands navires à l'ancre, et traversée par d'innombrables petits bateaux. Cette baie, renfermée entre deux coteaux, présentait en regard et en amphithéâtre Constantinople et Galata. L'im

mensité de ces trois villes étagées, Galata, Constantinople et Scutari; les cyprès, les minarets, les mâts de vaisseaux qui s'élevaient et se confondaient de toutes parts; la verdure des arbres, les couleurs des maisons blanches et rouges; la mer qui étendait sous ces objets sa nappe bleue, et le ciel qui déroulait au-dessus un autre champ d'azur: voilà ce que j'admirais; on n'exagère point, quand on dit que Constantinople offre le plus beau point de vue de l'univers.

LE MESCHACEBÉ 1.

Ce fleuve, dans un cours de plus de mille lieues, arrose une délicieuse contrée, que les habitants des États-Unis appellent le nouvel Éden, et à qui les Français ont laissé le doux nom de Louisiane. Mille autres fleuves, tributaires du Meschacebé, le Missouri, l'Illinois, l'Arkanza, l'Ohio, le Wabache, le Tenaze, l'engraissent de leur limon et la fertilisent de leurs eaux. Quand tous ces fleuves se sont gonflés des déluges de l'hiver, quand les tempêtes ont abattu des pans entiers de forêts, le temps assemble, sur toutes les sources, les arbres déracinés : il les unit avec des lianes, il les cimente avec des vases, it y plante de jeunes arbrisseaux, et lance son ouvrage sur les ondes. Charriés par les vagues écumantes, ces radeaux descendent de toutes parts au Meschacebé. Le vieux fleuve s'en empare, et les pousse à son cimbouchure pour y former une nouvelle branche. Par intervalles, il élève sa grande voix, en passant sous les monts; il répand ses eaux débordées autour des colonnades des forêts et des pyramides des tombeaux indiens: c'est le Nil des déserts. Mais la grâce est toujours unie à la magnificence dans les scènes de la nature; et, tandis que le courant du milieu entraîne vers

Nous abordâmes à Galata: je remarquai surle-champ le mouvement du quais, et la foule des porteurs, des marchands et des mariniers; ceuxci annonçaient par la couleur diverse de leurs visages, par la différence de leurs langages, de leurs habits, de leurs chapeaux, de leurs bonnets, de leurs turbans, qu'ils étaient venus de toutes les parties de l'Europe et de l'Asie habiter cette frontière des deux mondes. L'absence presque totale des femmes, le manque de voitures à roues, et les meutes de chiens sans maîtres, furent les trois caractères distinctifs qui me frappèrent dans l'intérieur de cette ville extraordinaire. Comme on ne marche qu'en babouches, qu'on n'entend point de bruits de carrosses et de charrettes, qu'il n'y a point de cloches et presque point de métiers à marteau, le silence est continuel. Vous voyez autour de vous une foule | la mer les cadavres des pins et des chênes, on voit,

muette, qui semble vouloir passer sans être aperçue, qui a toujours l'air de se dérober aux regards du maître. Vous arrivez sans cesse d'un bazar à un cimetière, comme si les Turcs n'étaient là que pour acheter, vendre et mourir. Ces cimetières sans murs et placés au milieu des rues sont des bois magnifiques de cyprès : les colombes font leurs nids dans ces cyprès, et partagent la paix | des morts. On découvre çà et là quelques monuments antiques qui n'ont de rapport, ni avec les hommes modernes, ni avec les monuments nouveaux dont ils sont environnés : on dirait qu'ils ont été transportés dans cette ville orientale par l'effet d'un talisman. Aucun signe de joie, aucune apparence de bonheur ne se montre à vos yeux : ce qu'on voit n'est pas un peuple, mais un troupeau qu'un iman conduit, et qu'un janissaire égorge. Il n'y a d'autre plaisir que la débauche, d'autre peine que la mort. Au milieu des prisons et des bagnes s'élève un sérail, capitole de la servitude : c'est là qu'un gardien sacré conserve les germes de la peste et les lois primitives de la tyrannie. De pâles adorateurs rôdent sans cesse autour du temple, et viennent apporter leurs têtes à l'idole. Rien ne peut les soustraire au sacrifice; ils sont entraînés par un pouvoir fatal: les yeux du despote attirent les esclaves, comme les regards du serpent fascinent les oiseaux dont il fait sa proie.

sur les deux courants latéraux, remonter, le long des rivages, des îles flottantes de pistia et de nénufar, dont les roses jaunes s'élèvent comme de petits pavillons. Des serpents verts, des hérons bleus, des flamants roses, de jeunes crocodiles, s'embarquent passagers sur ces vaisseaux de fleurs; et la colonie, déployant au vent ses voiles d'or, va aborder, endormie, dans quelque anse retirée du fleuve.

Les deux rives du Meschacebé présentent le tableau le plus extraordinaire. Sur le bord occidental, des savanes se déroulent à perte de vue : leurs flots de verdure, en s'éloignant, semblent monter dans l'azur du ciel, où ils s'évanouissent. On voit, dans ses prairies sans bornes, errer à l'aventure des troupeaux de trois ou quatre mille buffles sauvages. Quelquefois un bison, chargé d'années, fendant les flots à la nage, se vient coucher parmi les hautes herbes, dans une île du Męschacebé. A son front orné de deux croissants, à sa barbe antique et limoneuse, vous le prendriez pour le dieu mugissant du fleuve, qui jette un regard satisfait sur la grandeur de ses ondes et la sauvage abondance de ses rives.

Telle est la scène sur le bord occidental; mais

CHATEAUBRIAND, Itinéraire.

1 Vrai nom du Mississipi ou Meschassipi, Vieux Pére des Eaux.

1

elle change tout à coup sur la rive opposée, et forme avec la première un admirable contraste. Suspendus sur le cours des ondes, groupés sur les rochers et sur les montagnes, dispersés dans les vallées, des arbres de toutes les formes, de toutes les couleurs, de tous les parfums, se mêlent, croissent ensemble, montent dans les airs à des hauteurs qui fatiguent les regards. Les vignes sauvages, les bignonias, les coloquintes, s'entrelacent au pied de ces arbres, escaladent leurs rameaux, grimpent à l'extrémité des branches, s'élancent de l'érable au tulipier, du tulipier à l'alcée, en formant mille grottes, mille voûtes, mille portiques. Souvent égarées d'arbre en arbre, ces lianės traversent des bras de rivières, sur lesquels elles jettent des ponts et des arches de fleurs. Du sein de ces massifs embaumés, le superhe magnolia élève son cône immobile : surmonté de ses larges roses blanches, il domine toute la forêt, n'a d'autre rival que le palmier qui balance légèrement auprès de lui ses éventails de verdure.

Une multitude d'animaux, placés dans ces belles retraites par la main du Créateur, y répandent l'enchantement et la vie. De l'extrémité des avenues on aperçoit des ours enivrés de raisins, qui chancellent sur les branches des ormeaux ; des troupes de cariboux 1 se baignent dans un lac; des écureuils noirs se jouent dans l'épaisseur des feuillages; des oiseaux moqueurs, des colombes virginiennes de la grosseur d'un passereau, descendent sur les gazons rougis par les fraises; des perroquets verts à tête jaune, des piverts empourprés, des cardinaux de feux, grimpent en circulant au haut des cyprès; des colibris étincellent sur le jasmin des Florides, et des serpents oiseleurs sifflent suspendus aux dômes des bois, en s'y balançant comme des lianes.

Si tout est silence et repos dans les savanes, de l'autre côté du fleuve, tout ici, au contraire, est mouvement et murmure: des coups ups de bec contre le tronc des chênes, des froissements d'animaux qui marchent, broutent ou broient entre leurs dents les noyaux des fruits, des bruissements d'ondes, de faibles mugissements, de sourds meuglements, de doux roucoulements, remplissent ces déserts d'une tendre et sauvage harmonie. Mais, quand une brise vient à animer toutes ces solitudes, à balancer tous ces corps flottants, à confondre toutes ces masses de blanc, d'azur, de vert, de rose, à mêler toutes les couleurs, à réunir tous les murmures, il se passe de telles choses aux yeux, que j'essayerais en vain

de les décrire à ceux qui n'ont point parcoura ces champs primitifs de la nature.

LE MÊME. Genie du Christianisme.

LE TAGE.

Au nom de ce fleuve tant célébré par les poëtes, l'imagination involontairement réveillée se retrace les plus riants tableaux; elle se figure des rives enchanteresses formées par de longues prairies émaillées des fleurs les plus odorantes; elle erre délicieusement exaltée sous l'ombrage aromatique d'arbres épais, dont les rameaux, enlacés à ceux du laurier d'Apollon, se courbent sous le poids de leurs pommes d'or. L'haleine des vents tempérés, plus doux que le zéphyr même, y caresse un éternel feuillage, et la mobile surface d'une onde cristalline, qui, s'échappant à regret dans un lit étincelant de pierres précieuses, roule dans ses molles sinuosités les paillettes d'or pur qui en forment l'arène. Au murmure suave de ce nouveau Pactole se mêle encore l'harmonieux concert que forment, en saluant l'aurore, mille brillants oiseaux, parés du plus riche plumage. De gracieuses bergères, d'heureux bergers conduisent dans cet heureux séjour d'éblouissants troupeaux, dont on n'exige que le lait superflu ou l'abondante toison, en dédommagement des soins qu'on leur donne, et qui n'ont à craindre ni le couteau du boucher, ni la dent cruelle des loups dévorants. Les animaux féroces sont inconnus dans ces lieux paisibles; leur approche n'appela jamais au combat le chien fidèle, qui ne veille à la garde des moutons et des brebis que pour donner à son maître le temps de chanter de constantes amours, auxquelles ne se mêle jamais l'inquiétude ou la jalousie. Le miel, naturellement purifié, y découle du tronc des chênes; le vin lé plus généreux, une huile parfumé, n'ont pas besoin que l'homme les vienne extraire des fruits qui les prodiguent, et nul climat, dans l'univers, ne rappela mieux ces champs Élyséens, où l'antiquité plaçait le séjour de paix promis aux âmes des justes.

Mais que la réalité est loin de la pompeuse réputation que, depuis les Romains jusqu'à nos jours, on s'est complu à donner au plus triste des fleuves.

Des bords arides âprement coupés à pic, un lit généralement torrentueux, embarrassé et rétréci, des eaux jaunâtres presque continuellement bourbeuses, voilà ce qui caractérise véritablement ce

1 Le caribou, plus connu sous le nom de renne, est un mammifère de l'ordre des ruminants, célèbre par les services qu'il rend aux Lapons. Voilà ce qu'en disent les natu

ralistes. Il est donc à supposer, ou que M. de Chateaubriang s'est trompé dans cet endroit, ou qu'on donne ce nom en Amérique à une autre espèce d'animal. (N. E.)

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Tage, parcourant une campagne ordinairement | sort moins prospère. Son pied délicat se pose

dépouillée, sèche, abandonnée, où l'ardeur du soleil dévore une végétation dure, courte, ligneuse, quand le soufile des tempêtes n'en élève pas une poussière rougeâtre qui pénètre les vête- | ments, et va donner sa teinte sinistre aux traits du ❘ campagnard, ainsi qu'aux tristes bosquets d'yeuses échappés à la destruction parmi des rocs dépouillés, épars. Le vautour seul, entre les oiseaux carnassiers habitants de l'austère vallée, y domine les airs, en menaçant des bandes malpropres de mérinos, guidés par des pâtres plus malpropres encore, malheureux et grossiers compagnons des animaux qu'ils défendent, non-seulement contre les loups, mais encore contre les nombreux lynx, dont les monts de Grédos et les monts Lusita

étourdiment sur une grappe de raisin, elle glisse: en vain elle étend ses bras, en vain elle se balance pour rétablir l'équilibre; elle tombe, et sa chute fut telle, qu'après s'être relevée à la hâte, elle courut cacher son visage dans le sein de sa mère.

Plus loin, un des vendangeurs déjà sur le retour fuit les atteintes d'une jeune fille à qui il vient d'adresser quelques paroles un peu libres. La jeune vendangeuse le poursuit: il veut esquiver son approche; elle le joint, le saisit, et, pour se venger, elle presse sur son visage barbu plusieurs grappes de raisin dont elle s'était armée dans sa course: il détourne la tête, mais il n'en reçoit pas moins sur son front, dans ses yeux, la liqueur hors d'haleine, vole rejoindre ses compagnes. Au pied du coteau, on voyait assis auprès d'une table, et sous une épaisse feuillée, un groupe de

niques sont tous remplis. Nulle partie de l'Espagne | exprimée par la main de sa folâtre ennemie qui,

n'est plus sauvage ni plus pauvre que celle qu'on feignit en être la plus riante et la plus riche, et quelques points un peu moins déshérités de la nature, qu'on rencontre çà et là le long du fleuve | vieillards qui, avec du vin et de jeunes pensées,

que nous avons représenté tel qu'il est, ne sauraient lui mériter ce nom de Tage doré et cette célébrité qu'on lui donna, en adoptant comme des vérités les exagérations des poëtes.

BORY DE SAINT-VINCENT. Guide du Voyageur
en Espagne.

LES VENDANGES.

se consolaient entre eux des ravages du temps. Ces souvenirs, ces douces réverbérations de la jeunesse sur l'âge avancé, semblables aux derniers rayons du soleil dans une soirée d'hiver, régénèrent par une sorte de palingénésie, hélas! trop fugitive, les premières émotions de la vie. C'est ainsi que l'astre du jour réchauffe de ses feux décroissants les membres appesantis du vieillard qui ne peut s'en approcher qu'avec lenteur, et qui ne les voit pas sans regret disparaître sous l'horizon. Enfin, avoir vu, avoir éprouvé, le dire, c'est voir, c'est éprouver encore. De là ses épanchements, ces ineffables effusions du cœur, ces doux projets pour l'avenir. Le père, jusqu'alors indécis, accorde, en remplissant le verre de son vieux voisin, sa fille bien-aimée au fils de son ancien ami, et l'Amour, du haut des airs, sourit au dieu des

Vers la gauche, un riche et immense vignoble étale ses trésors. Le Dieu du vin et celui des amours saluent à l'envi leur domaine : tous deux sourient d'espérance. De joyeux vendangeurs ont déjà signalé, depuis l'aube du jour, leur bruyante allégresse par des ritournelles redoublées, et les actives vendangeuses à genoux, ou penchées près ❘ vendanges 1. des ceps, détachent les grappes parfumées, et les entassent dans des paniers; ensuite des enfants et des jeunes filles les versent dans des hottes déjà humides et arrosées de ce jus, dont l'innocence apparente et la perfide douceur, semblables aux décevantes promesses du malicieux Amour, recèlent les éléments du délire et des querelles odieuses.

POUGENS. Les quatre Ages, ch. III.

LES FORÊTS AGITÉES PAR LES VENTS.

Qui pourrait décrire les mouvements que l'air communique aux végétaux ? Combien de fois, loin des villes, dans le fond d'un vallon solitaire couronné d'une forêt, assis sur le bord d'une prairie agitée des vents, je me suis plu à voir les mélilots dorés, les trèfles empourprés, et les vertes grami

Non loin de là, on voit un groupe d'autres jeunes filles qui s'amusent à charger outre mesure un pauvre villageois dont la physionomie un peu naïve excite le rire et la malice de l'essaim folâtre. ❘ nées, former des ondulations semblables à des

Il fléchit sous le faix, il chancelle, le coteau est rapide; mais il se cramponne, il s'arrête à propos, et parvient sans accident jusqu'à la cuve, où il jette d'un seul coup d'épaule son lourd fardeau. Une des jeunes espiègles, qui s'était montrée plus impitoyable que ses compgnes, éprouve un

flots, et présenter à mes yeux une mer agitée de fleurs et de verdure! Cependant les vents balançaient sur ma tête les cimes majestueuses des ar

1. Voyez, 2 partie, Descriptions, même sujet.

bres. Leretroussis de leur feuillage faisait paraître chaque espèce de deux verts différents. Chacun a son mouvement. Le chêne au tronc roide ne courbe que ses branches, l'élastique sapin balance sa haute pyramide, le peuplier robuste agite son feuillage mobile, et le bouleau laisse flotter le sien dans les airs comme une longue chevelure. Ils semblent animés de passions: l'un s'incline profondément auprès de son voisin comme devant un supérieur, l'autre semble vouloir l'embrasser comme un ami; un autre s'agite en tous sens comme auprès d'un ennemi. Le respect, l'amitié,

la colère, semblent passer tour à tour de l'un à l'autre comme dans le cœur des hommes, et ces passions versatiles ne sont au fond que les jeux des vents. Quelquefois un vieux chêne élève au milieu d'eux ses longs bras dépouillés de feuilles et immobiles. Comme un vieillard, il ne prend plus de part aux agitations qui l'environnent; il a vécu dans un autre siècle. Cependant ces grands corps insensibles font entendre des bruits profonds et mélancoliques. Ce ne sont point des accents distincts; ce sont des murmures confus comme ceux d'un peuple qui célèbre au loin une fête par des acclamations. Il n'y a point de voix dominantes: ce sont des sons monotones, parmi lesquels se font entendre des bruits sourds et profonds, qui nous jettent dans une tristesse pleine de douceur. Ainsi les murmures d'une forêt accompagnent les accents du rossignol, qui de son nid adresse des vœux reconnaissants aux amours. C'est un fond de concert qui fait ressortir les chants éclatants des oiseaux, comme la douce verdure est un fond de couleur sur lequel se détache l'éclat des fleurs et des fruits.

Ce bruissement des prairies, ces gazouillements des bois, ont des charmes que je préfère aux plus brillants accords; mon âme s'y abandonne, elle se berce avec les feuillages ondoyants des arbres, elle s'élève avec leur cime vers les cieux, elle se transporte dans les temps qui les ont vus naître et dans ceux qui les verront mourir; ils étendent dans l'infini mon existence circonscrite et fugitive. Il me semble qu'ils me parlent, comme ceux de Dodone, un langage mystérieux; ils me plongent dans d'ineffables rêveries qui souvent ont fait tomber de mes mains les livres des philosophes. Majestueuses forêts, paisible solitude, qui plus d'une fois avez calmé mes passions, puissent les cris de la guerre ne troubler jamais vos résonnantes clairières ! N'accompagnez de vos religieux murmures que les chants des oiseaux, ou les doux entretiens des amis et des amants qui veulent se reposer | sous vos ombrages.

BERNARDIN DE SAINT-PIERRE Harmonies de

La Nature

LES DÉSERTS DE L'ARABIE PÉTRÉE,

Qu'on se figure un pays sans verdure et sans eau, un soleil brûlant, un ciel toujours sec, des plaines sablonneuses, des montagnes encore plus arides, sur lesquelles l'œil s'étend et le regard se perd, sans pouvoir s'arrêter sur aucun objet vivant; une terre morte et pour ainsi dire écorchée par les vents, laquelle ne présente que des ossements, des cailloux jonchés, des rochers debout ou renversés; un désert entièrement découvert ou le voyageur n'a jamais respiré sous l'ombrage, où rien ne l'accompagne, rien ne lui rappelle la nature vivante : solitude absolue, mille fois plus affreuse que celle des forêts; car les arbres sont encore des êtres pour l'homme qui se voit seul plus isolé, plus dénué, plus perdu dans ces lieux vides et sans bornes : il voit partout l'espace comme son tombeau; la lumière du jour, plus triste que l'ombre de la nuit, ne renaît que pour éclairer sa nudité, son impuissance, et pour lui présenter l'horreur de sa situation, en reculant à ses yeux les barrières du vide, en étendant autour de lui l'abîme de l'immensité qui le sépare de la terre habitée; immensité qu'il tenterait en vain de parcourir : car la faim, la soif et la chaleur brûlante pressent tous les instants qui lui restent entre le désespoir et la mort.

BUFFON. Histoire du chameau.

MOYEN DE CONNAITRE LES GRANDS EFFETS
VARIÉTÉS DE LA NATURE.

Ce n'est point en se promenant dans nos campagnes cultivées, ni même en parcourant toutes les terres du domaine de l'homme, que l'on peut connaître les grands effets des variétés de la nature: c'est en se transportant des sables brûlants de la zone torride aux glacières des pôles; c'est en descendant du sommet des montagnes au fond des mers; c'est en comparant les déserts avec les déserts que nous la jugerons mieux, ct l'admirerons davantage. En effet, sous le point de vue de ses sublimes contrastes, et des majestueuses oppositions, elle paraît plus grande en se montrant telle qu'elle est. Nous avons ci-devant peint les déserts arides de l'Arabie Pétrée; ces solitudes nues où l'homme n'a jamais respiré sous l'ombrage, où la terre, sans verdure, n'offre aucune subsistance aux animaux, aux oiseaux, aux insectes, où tout paraît mort, parce que rien ne peut naître, et que l'élément nécessaire au développement des germes de tout être vivant ou végétant, loin d'arroser la terre par des ruisseaux d'eau vive, ou de la pénétrer

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