secrets de la divine providence. Dieu tient, duplus | de confusion et de trouble, où nul n'est à sa place; la mort; il peut faire descendre du haut des cieux | Que l'autorité cesse dans le royaume, tout sera naut des cieux, les rênes de tous les royaumes; il a tous les cœurs en sa main: tantôt il retient les passions, tantôt il leur lâche la bride, et par là il remue tout le genre humain. Veut-il faire des conquérants, il fait marcher l'épouvante devant eux, et il inspire à eux et à leurs soldats une hardiesse invincible. Veut-il faire des législateurs, il leur envoie son esprit de sagesse et de prévoyance; il leur fait prévenir les maux qui menacent les États, et poser les fondements de la tranquillité publique. Il connaît la sagesse humaine, toujours courte par quelque endroit : il l'éclaire, il étend ses vues, et puis l'abandonne à ses ignorances: il l'aveugle, il la précipite, il la confond par elle-même: elle s'enveloppe, elle s'embarrasse dans ses propres subtilités, et ses précautions lui sont un piége. Dieu exerce par ce moyen ses redoutables jugements, selon les règles de sa justice toujours infaillible. C'est lui qui prépare les effets dans les causes les plus éloignées, et qui frappe ces grands coups dont le contrecoup porte si loin '. DE LA PROVIDENCE. BOSSUET. Que le monde est grand, qu'il est magnifique! Que le gouvernement des États et des empires offre à nos yeux de sagesse, d'ordre et de magnificence, quand nous y voyons une Providence qui dispose de tout, depuis une extrémité jusqu'à l'autre, avec poids, avec nombre, avec mesure; qui voit les événements les plus éloignés dans leurs causes; qui renferme dans sa volonté les causes de tous les événements; qui donne au monde des princes et des souverains, selon ses desseins de justice ou de miséricorde sur les peuples; qui donne la paix, ou qui permet les guerres, selon les vues de sa sagesse; qui donne aux rois des ministres sages ou corrompus; qui dispense les bons ou les mauvais succès, selon qu'ils deviennent plus utiles à la consommation de son ouvrage ; qui règle le cours des passions humaines, et qui, par des ménagements inexplicables, fait servir à ses desseins la malice même des hommes! Que le monde, considéré dans ce point de vue, et avec l'ouvrier souverain qui le conduit est plein d'ordre, d'harmonie et de magnificence ' Mais, si on en sépare la Providence, et qu'on le regarde tout seul, si on n'y voit plus que les passions humaines qui semblent mettre tout en mouvement, ce n'est plus qu'un chaos, qu'un théâtre Voyez, en vers, Morale religieuse, etc. où l'impie jouit de la récompense de la vertu; où l'homme de bien a souvent pour partage l'abjection et les peines du vice; où les passions sont les seules lois consultées ; où les hommes ne sont liés entre eux que par les intérêts mêmes qui les divisent; où le hasard semble décider des plus grands événements; où les bons succès sont rarement la preuve et la récompense de la bonne cause; οἱ l'ambition et la témérité s'élèvent aux premières places que le mérite craint, et qu'on refuse au mérite; enfin, où l'on ne voit point d'ordre, parce que l'on n'y voit que l'irrégularité des mouvements, sans en comprendre le secret et l'usage. Voilà le monde séparé de la Providence. LA RELIGION. MASSILLON. Qu'est-ce que la religion? Une philosophie sublime qui démontre l'ordre, l'unité de la nature, et explique l'énigme du cœur humain; le plus puissant mobile pour porter l'homme au bien, puisque la foi le met sans cesse sous l'œil de la Divinité, et qu'elle agit sur la volonté avec autant d'empire que sur la pensée; un supplément de la conscience, qui commande, affermit et perfectionne toutes les vertus, établit de nouveaux rapports de bienfaisance sur de nouveaux liens d'humanité; nous montre dans les pauvres des créanciers et des juges, des frères dans nos ennemis, dans l'Étre suprême un père; la religion du cœur, la vertu en action, le plus beau de tous les codes de morale, et dont tous les préceptes sont autant de bienfaits du ciel. Le cardinal MAURY. L'ORATEUR CHRÉTIEN. Le christianisme élevait une tribune où les plus sublimes vérités étaient annoncées hautement pour tout le monde, où les plus pures leçons de la morale étaient rendues familières à la multitude ignorante; tribune formidable, devant laquelles'étaient humiliés les empereurs souillés du sang des peuples; tribune pacifique et tutélaire, qui, plus d'une fois, donna refuge à ses mortels ennemis; tribune où furent longtemps défendus des intérêts partout abandonnés, et qui, seule, plaidait éternellement la cause du pauvre contre le riche, du faible contre l'oppresseur, et de l'homme contre lui-même. Là, tout s'ennoblit et se divinise : l'orateur, maître des esprits, qu'il élève et qu'il consterne tour à tour, peut leur montrer quelque chose de plus grand que la gloire et de plus effrayant que en confusion. Ramassez tout ce qu'il y a de grand et d'auguste, voyez un peuple immense réuni en une seule personne; voyez cette puissance sacrée, paternelle et absolue; voyez la raison secrète qui gouverne tout le corps de l'État, renfermée dans une seule tête: vous voyez l'image de Dieu, et vous avez l'idée de la majesté royale. Oui, Dieu l'a dit: voUS ÊTES DES DIEUX; mais, ô dieux de chair et de sang! ô dieux de boue et de poussière, vous mourrez comme des hommes! O rois! exercez donc hardiment votre puissance, car elle est divine et salutaire au genre humain; mais exercez-la avec humilité, car elle vous est appli une éternelle espérance sur ces tombeaux où Périclès n'apportait que des regrets et des larmes. Si, comme l'orateur romain, il célèbre les guerriers de la légion de Mars, tombés au champ de bataille, il donne à leurs âmes cette immortalité que Cicéron n'osait promettre qu'à leur souvenir 1; il charge Dieu lui-même d'acquitter la reconnaissance de la patrie. Veut-il se renfermer dans la prédication évangélique, cette science de la morale, cette expérience de l'homme, ces secrets des passions, étude éternelle des philosophes et des orateurs anciens, doivent être dans sa main. C'est lui, plus encore que l'orateur de l'antiquité, qui doit connaître tous les détours du cœur hu-quée par le dehors; au fond, elle vous laisse fai main, toutes les vicissitudes des émotions, toutes les parties sensibles de l'âme, non pour exciter ces affections violentes, ces animosités populaires, ces grands incendies des passions, ces feux de vengeance et de haine où triomphait l'antique éloquence, mais pour apaiser, pour adoucir, pour purifier les âmes. Armé contre toutes les passions, sans avoir le droit d'en appeler aucune à son secours, il est obligé de créer une passion nouvelle, s'il est permis de profaner, par ce nom, le sentiment profond et sublime qui, seul, peut tout vaincre et tout remplacer dans les cœurs, l'enthousiasme religieux qui doit donner à son accent, à ses pensées, à ses paroles, plutôt l'inspiration d'un prophète que le mouvement d'un orateur. VILLEMAIN. Discours d'ouverture, LA MAJESTÉ ROYALE. Je n'appelle pas majesté cette pompe qui environne les rois, ou cet éclat extérieur qui éblouit le vulgaire : c'est le rejaillissement de la majesté, et non pas la majesté elle-même. La majesté est l'image de la grandeur de Dieu dans le prince. Le prince, en tant que prince, n'est pas regardé comme un homme particulier, c'est un personnage public; tout l'État est en lui; la volonté de tout le peuple est renfermée dans la sienne. Quelle grandeur, qu'un seul homme en contienne tant! La puissance de Dieu se fait sentir, en un instant, de l'extrémité du monde à l'autre. La puissance royale agit, en même temps, dans tout le royaume; elle tient tout le royaume en état, comme Dieu y tient tout le monde. Que Dieu retire sa main, le monde retombera dans le néant. Voyez Cicéron, à la fin de la 11e Philippique. Le discours de Périclès, auquel l'auteur fait allusion, se trouve dans Thucydide, liv, 11, chap. 33. (Ν. Ε.) bles, elle vous laisse mortels; et elle vous charge devant Dieu d'un plus grand compte. BOSSUET. Éducation de Mgr le Dauphin. CE QUE C'EST QU'UN ROI. Je n'appelle pas roi celui que le bonheur de la naissance a placé sur le trône, et qui, n'ayant de roi que le nom, esclave en effet des vices les plus honteux, sans talents, sans vertu, n'offre aux yeux de l'univers qu'un vain fantôme de la royauté. J'appelle roi celui qui, étant l'image de Dieu sur la terre par la participation de sa puissance, lui ressemble encore plus par la participation de ses vertus; qui, maître de ses passions, ne règne pas moins sur son cœur que sur les peuples qui lui sont soumis; qui, au-dessus des autres hommes par la hauteur de sa dignité, est au-dessus de sa dignité par la supériorité de ses talents; qui, versé dans la science profonde du gouvernement, suffit à tout par ses lumières, et qui, jaloux de ses devoirs, ne se repose que sur lui-même du pénible soin de les remplir; qui, redoutable à la guerre, facile à la paix, réunit en soi les qualités rarement compatibles de guerrier et de pacifique; qui, dans un juste milieu de clémence et de fermeté, sait tempérer la rigueur des lois sans affaiblir l'obéissance; pour tout dire, en un mot, qui, faisant de la justice le principe de ses délibérations et de ses conseils, la fait régner avec lui sur le même trône. MABOUL. Oraison funebre de Louis XIV. LE RICHE ET LE PAUVRE DANS L'ESPRIT DU MONDE ET Qu'est-ce qu'un riche dans l'esprit du monde? C'est un homme de jeux, de fêtes, de spectacles d'amusements, dont toute la gloire consiste à être orgueilleusement frivole, tout le mérite à ne rien refuser à ses passions, et qui, ne mettant de | des familles, sur les législateurs du gouvernement bornes à ses désirs que celles de sa fortune, n'est grand le plus souvent qu'à force de crimes et de scandales. Dans l'ordre de la Providence, c'est un ange de paix et de consolation placé entre Dieu et les hommes, pour achever la distribution des biens dela terre: c'est l'ambassadeur du ciel et comme l'apôtre de la Providence, obligé de la faire connaître à ceux qui l'ignorent, de la disculper auprès de ceux qui l'accusent. Et tel que l'astre du jour, dont la marche éclatante parle à tous les yeux de la gloire de son auteur, le riche, par ses bienfaits, parle au cœur de tous les hommes de la sagesse et de la bonté divine; et, selon qu'il est avare ou généreux, sensible ou inexorable, il devient pour les peuples un objet, ou de terreur, ou de consolation: un dieu, s'il est bienfaisant; un monstre, s'il est barbare. de la société, sur les rois de la conduite des empires, elle a fait les riches pour se reposer sur eux du soin des pauvres, et elle ne leur a donné plus de biens que pour les distribuer à ceux qui en manquent, pour remplir par leurs largesses l'intervalle que la misère a mis entre eux et leurs frères. LA VÉRITÉ. CAMBACÉRÈS. De même, qu'est-ce qu'un pauvre selon le monde? Hélas! quelles couleurs pourraient nous le dépeindre? C'est un être isolé, proscrit, triste rebut de la nature entière; qui semble, dit le | la récompense intérieure de la vertu ; elle seule sage, comme échappé à la Providence; qui rampe avec dédain sur la surface de la terre; à qui la misère a comme imprimé sur le front un caractère de honte et d'ignominie: errant, fugitif, et comme retranché du reste des humains, semblable à ces lieux que la foudre a frappés, et dont on n'approche qu'en tremblant, on ne le rencontre qu'avec peine, on ne l'approche qu'avec horreur; La vérité, cette lumière du ciel, est la seule chose ici-bas qui soit digne des soins et des recherches de l'homme. Elle seule est la lumière de notre esprit, la règle de notre cœur, la source des vrais plaisirs, le fondement de nos espérances, la consolation de nos craintes, l'adoucissement de nos maux, le remède de toutes nos peines; elle seule est la source de la bonne conscience, la terreur de la mauvaise, la peine secrète du vice, immortalise ceux qui l'ont aimée, illustre les chaînes de ceux qui souffrent pour elle, attire des honneurs publics aux cendres de ses martyrs et de ses défenseurs, et rend respectables l'abjection et la pauvreté de ceux qui ont tout quitté pour la suivre; enfin, elle seule inspire des pensées magnanimes, forme des âmes héroïques, des âmes dont le monde n'est pas digne, c'est, ce semble, lui faire grâce que de lui par- | des sages seuls dignes de ce nom. Tous nos soins ler; l'humanité en lui n'a plus de droits, le malheur plus de dignité; on ne le plaint même pas, on ne le secourt qu'avec dégoût; et, réduit à rougir de son existence, il semble qu'en devenant malheureux il a cessé d'être homme. Dans l'ordre de la Providence, au contraire, un pauvre, c'est en quelque sorte le plus intéressant de ses ouvrages, et comme le secret de sa sagesse, qui a rendu le pauvre précieux et nécessaire au riche; qui a voulu que le riche fût le protecteur du pauvre, et le pauvre le sauveur des riches qu'il délivre du danger des richesses sur la terre, en leur offrant les moyens de les convertir en charités qui leur servent à acheter le ciel; en sorte que le pauvre, dans l'ordre de la Providence, est tout à la fois un juge qui tient dans sa main le sort des grands et des riches, qui entasse sur leur tête ou des bénédictions ou des anathèmes. devraient donc se borner à la connaitre, tous nos talents à la manifester, tout notre zèle à la défendre; nous ne devrions donc chercher dans les hommes que la vérité, et ne souffrir qu'ils voulussent nous plaire que par elle : en un mot, il semble qu'il devrait suffire qu'elle se montråt à nous pour se faire aimer, et qu'elle nous montràt à nous-mêmes pour nous apprendre à nous connaître. L'HYPOCRISIE. MASSILLON. Quand je parle de l'hypocrisie, ne pensez pas que je la borne à cette espèce particulière qui consiste dans l'abus de la piété, et qui fait les faux dévots; je la prends dans un sens plus étendu, et d'autant plus utile à votre instruction, que peutêtre, malgré vous-mêmes, serez-vous obligés de convenir que c'est un vice qui ne vous est que C'est-à-dire, en un mot, que le riche et le pauvre, dans l'ordre de la Providence, sont le contraire de nos idées : le riche en est le ministre, Je pauvre en est le bien-aimé ; le riche a ses ordres, ❘ trop commun; car j'appelle hypocrite quiconque, et le pauvre a ses droits, l'un pour donner, l'autre pour recevoir. Et de même que cette Providence s'est reposée sur les parents de l'éducation sous de spécieuses apparences, a le secret de cacher les désordres d'une vie criminelle. Or, en ce sens, on ne peut douter que l'hypocrisie ne soit répandue dans toutes les conditions, et que parmi les mondains il ne se trouve encore bien plus d'imposteurs et d'hypocrites que parmi ceux que nous nommons devots. En effet, combien dans le monde de scélérats travestis en gens d'honneur! combien d'hommes corrompus et pleins d'iniquité, qui se produisent avec tout le faste et toute l'ostentation de la probité! combien de fourbes insolents à vanter leur sincérité! combien de traîtres, habiles à sauver les dehors de la fidélité et de l'amitié! combien de sensuels, esclaves des passions les plus infames, en possession d'affecter la pureté des mœurs, et de la pousser jusqu'à la sévérité ! combien de femmes libertines, fières sur le chapitre de leur réputation, et, quoique engagées dans un commerce honteux, ayant le talent de s'attirer toute l'estime d'une exacte et d'une parfaite régularité! Au contraire, combien de justes faussement accusés et condamnés! combien de serviteurs de Dieu, par la malignité du siècle, décriés et calomniés! combien de dévots de bonne foi traités d'hypocrites, d'intrigants, et d'intéressés! combien de vraies vertus contestées! combien de bonnes œuvres censurées! combien d'intentions droites mal expliquées, et combien de saintes actions empoisonnées ! BOURDALOUE. Sermon sur le jugement de Dieu. DES FAUSSES VERTUS. Le monde se vante qu'au milieu de la dépravation et de la décadence des mœurs publiques, il a encore sauvé des débris, des restes d'honneur et de droiture; que, malgré les vices et les passions qui le dominent, paraissent encore sous ses étendards des hommes fidèles à l'amitié, zélés pour la patrie, rigides amateurs de la vérité, esclaves religieux de leur parole, vengeurs de l'injustice, protecteurs de la faiblesse; en un mot, partisans du plaisir, et néanmoins sectateurs de la vertu. Voilà les héros d'honneur et de probité que le monde fait tant valoir. Mais ces hommes vertueux, dont il se fait tant d'honneur, n'ont au fond souvent pour eux que l'erreur publique. Amis fidèles, je le veux; mais c'est le goût, la vanité ou l'intérêt qui les lient, et, dans les amis, ils n'aiment qu'eux-mêmes. Bons citoyens, il est vrai; mais la gloire et les honneurs qui nous reviennent en servant la patrie sont l'unique lien et le seul devoir qui les attachent. Amateurs de la vérité, je l'avoue; mais ce n'est pas elle qu'ils cherchent; c'est le crédit et la confiance qu'elle leur acquiert parmi les hommes. Observateurs de leur parole; mais c'est un orgueil qui trouverait de la lácheté et de l'inconstance à Qu'est-ce que l'esprit dont les hommes paraissent si vains? Si nous le considérons selon la nature, c'est un feu qu'une maladie et qu'un accident amortissent sensiblement. C'est un tempérament délicat qui se dérègle, une heureuse conformation d'organes qui s'usent, un assemblage et un certain mouvement d'esprits qui s'épuisent et qui se dissipent. C'est la partie la plus vive et la plus subtile de l'âme qui s'appesantit, et qui semble vieillir avec le corps. C'est une finesse de raison qui s'évapore, et qui est d'autant plus faible et plus sujette à s'évanouir, qu'elle est plus délicate et plus épurée. Si nous le considérons selon Dieu, c'est une partie, de nous-mêmes, plus curieuse que savante, qui s'égare dans ses pensées. C'est une puissance orgueilleuse qui est souvent contraire à l'humilité et à la simplicité chrétiennes, et qui, laissant souvent la vérité pour le mensonge, n'ignore que ce qu'il faudrait savoir, et ne sait que ce qu'il faudrait ignorer 1. FLÉCHIER. Oraisons funebres. MÊME SUJET. Penser peu, parler de tout, ne douter de rien, n'habiter que les dehors de son âme, et ne cultiver que la superficie de son esprit, s'exprimer heureusement, avoir un tour d'imagination agréable, une conversation légère et délicate, et savoir plaire sans se faire estimer; être né avec le talent équivoque d'une conception prompte, et se croire par là au-dessus de la réflexion; voler d'objets en objets, sans en approfondir aucun; cueillir rapidement toutes les fleurs, et ne donner jamais aux fruits le temps de parvenir à leur maturité : c'est une faible peinture de ce qu'il a plu à notre siècle d'honorer du nom d'esprit. Esprit plus brillant que solide, lumière souvent trompeuse et infidèle, l'attention le fatigue, la raison le contraint, l'autorité le révolte; incapable de persévérance dans la recherche de la 1 Voyez Définitions en vers, même sujet. vérité, elle échappe encore plus à son inconstance qu'à sa paresse. D'AGUESSEAU. Nécessile de la science. L'ESPRIT ET LE GÉNIE. Lorsque quelqu'un voudra reconnaître si la nature lui a donné le génie, qu'il lise avec attention les ouvrages qu'une admiration universelle et soutenue a reconnus pour appartenir au génie; qu'il contemple dans les arts les monuments qu'un consentement général a rapportés à ce même génie, et qu'il apporte à cette étude et à cette contemplation les connaissances préliminaires nécessaires. S'il lit froidement et sans enthousiasme s'il n'est ému ou transporté qu'à demi, s'il n'est pas ravi, pour ainsi dire, en extase à la vue de l'empreinte sacrée du génie, si un trait sublime l'effleure lorsqu'il devrait le percer, la nature lui a refusé sa céleste lumière; non-seulement il ne possède pas le génie développé, il n'en a seulement pas reçu le plus faible rayon: il ne doit pas s'attendre à dévoiler les grands secrets de la nature; il pourra découvrir des vérités, rendre des services à la science, et l'avancer; mais il n'aura que de l'esprit; et, s'il élève un monument durable, ce ne sera pas un monument immense. Mais, s'il écoute avec transport la voix du génie qui lui parlera dans les écrits des grands hommes; si cette voix forte et divine grave ses paroles dans son âme en caractères profonds; s'il est hors de lui-même en contemplant les vastes productions et les grands ensembles; si les chefs-d'œuvre des arts, au moins de ceux pour lesquels ses organes sont formés, si ces chefs-d'œuvre le ravissent, s'il les goûte, pour ainsi dire, intimement; si ses yeux se remplissent de larmes, si son cœur est oppressé, s'il s'identifie avec l'auteur de l'ouvrage qu'il admire, et s'applique tout entier avec lui à chaque partie de ce même ouvrage; s'il sent naître dans son âme un ardent désir de créer de grandes choses, et si la vue nette de grandes productions lui inspire une certaine confiance de les imiter, la nature a allumé pour lui le flambeau du génie: bientôt tout s'aplanira sous ses pas, les grandes découvertes lui sont réservées, il verra, pour ainsi dire, la nature sans aucun voile, et sera immortel comme elle. vre des sciences, pour lesquels le génie ne pourra jamais être remplacé par la sensibilité ; et s'il ressent l'état d'extase que nous avons tâché de peindre, qu'il soit toujours sûr d'avoir du génie. LAGÉPÈDE. Discours sur la maniere d'étudier et de traiter la physique. LE BEL ESPRIT. C'est un feu qui brille sans consumer, c'est une lumière qui éclate pendant quelques moments, et qui s'éteint d'elle-même par le défaut de nourriture; c'est une superficie agréable, mais sans profondeur et sans solidité; c'est une imagination vive, ennemie de la sûreté du jugement; une conception prompte, qui rougit d'attendre le conseil salutaire de la réflexion : une facilité de parler qui saisit avidement les premières pensées, et qui ne permet jamais aux secondes de leur donner leur perfection et leur maturité. Semblable à ces arbres dont la stérile beauté a chassé des jardins l'utile ornement des arbres fruitiers, cette agréable délicatesse, cette heureuse légèreté d'un génie vif et naturel, qui est devenue l'unique ornement de notre âge, en a banni la force et la solidité d'un génie profond et laborieux; et le bon esprit n'a point eu de plus dangereux ni de plus mortel ennemi que ce que l'on honore dans le monde du nom de bel esprit. C'est à cette flatteuse idole que nous sacrifions tous les jours, par la profession publique d'une orgueilleuse ignorance. Nous croirions faire injure à la fécondité de notre génie, si nous nous rabaissions jusqu'à vouloir moissonner pour lui une terre étrangère. Nous négligeons même de cultiver notre propre bien; et la terre la plus fertile ne produit plus que des épines, par la négligence du laboureur qui se repose sur sa fécondité naturelle. Que cette conduite est éloignée de celle de ces grands hommes, dont le nom fameux semble être devenu le nom de l'éloquence même ! Ils savaient que le meilleur esprit a besoin d'être formé par un travail persévérant et par une culture assidue; que les grands talents deviennent aisément de grands défauts, lorsqu'ils sont livrés et abandonnés à eux-mêmes, et que tout ce que le ciel a fait naître de plus excellent dégénère bientôt, si l'éducation, comme une seconde A la vérité, s'il est doué d'une sensibilité pro-mère, ne conserve l'ouvrage que la nature lui fonde, l'esprit seul pourra lui faire éprouver, à la vue des chefs-d'œuvre des arts, toutes les sensations que je viens de décrire. Mais que le jeune physicien qui sentira brûler dans son âme un feu trop vif de sensibilté, et se méfiera de cette faculté ardente dans l'épreuve qu'il voudra faire de ses forces, essaye son âme devant les chefs-d'œu confie aussitôt qu'elle l'a produit. D'AGUESSEAU. Decadence du barreau. LA CONVERSATION. Le ton de la bonne conversation est coulant et naturel; il n'est ni pesant ni frivole ; il est savant : |