gloire de son âge, et, par ses vertus, la gloire de | Il savait trop pour ne pas commencer par le doute, l'humanité, Fénélon. Chacun des ouvrages de Fénélon, le Traité de l'existence de Dieu, celui de l'Éducation des Filles, les Dialogues des Morts, les Lettres au duc de Bourgogne, l'excellente Remontrance au Roi, dont notre temps doit la découverte à M. Renouard, enfin son immortel Télémaque, respire, avec la morale la plus pure et l'amour le plus ardent des hommes, ce suave parfum d'antiquité que son siècle a rarement connu, et une élégance pleine de goût et de grâce, aussi parfaite que celle même de Racine et qui paraît plus naïve. Télémaque est devenu en France et chez l'étranger le livre type, pour ainsi dire, de la langue française. On ne sait qu'y admirer le plus, ou la richesse d'imagination qui l'anime et le varie, ou l'abondance de doctrine qu'il renferme, ou l'enchaînement si aisé des idées, en sorte qu'on le dirait écrit d'un premier et unique trait, ou la pure et harmonieuse simplicité de cette prose si admirable encore qu'un peu trainante, comme disait Voltaire. Au reste, toutes les formules de l'éloge ont été épuisées en faveur de Fénélon, et c'est un de ces hommes qu'il suffit de nommer pour l'avoir apprécié. mais la rigueur de son esprit et celle de sa secte ne lui permirent pas, comme à Montaigne, de s'y arrêter, et l'obstination de son examen fut telle qu'avec la santé il faillit en perdre la raison. Après avoir épuisé toute la science humaine, il se jeta dans la foi; il voulut ramener l'homme à Dieu en lui prouvant son imbécillité et en le forçant à recourir à une révélation par le sentiment de son impuissance, car qui pouvait être fort là où Pascal s'avouait faible? Telle paraît avoir été la pensée fondamentale de cet ouvrage. Le caractère du style est une vigueur pleine de logique, une singulière nouveauté de tours, et une façon tout originale de relever la familiarité des termes par l'énergie de l'idée. C'est au milieu de ce grand travail que Pascal, indigné des atteintes que la doctrine des jésuites portait à la moralité de la religion et aux intérêts de ses amis, écrivit, comme en se jouant, ses fameuses Lettres provinciales, un de ces écrits polémiques qui obtiennent le privilége si rare de survivre aux circonstances qui les ont inspirés. Les Lettres provinciales, chef-d'œuvre d'érudition, de dialectique et d'éloquence, fixèrent dans la prose française le style de la bonne plaisanterie. Elles frappèrent le jésuitisme au cœur, et contribuèrent, plus que tout autre coup, à sa chute dans l'âge suivant. Cependant quelque nuance qui ait distingué entre eux les écrivains illustres dont nous venons de parler, leurs principes, qu'ils penchent vers l'ultramontanisme, le gallicanisme, ou le quiétisme, sont toujours ceux d'une Église monarchique en quelque sorte. Mais auprès d'eux s'était élevée une secte plus rigoureuse, plus indépendante, plus républicaine, une sorte de Fronde | listes proprement dits. C'est à d'autres que ce religieuse qui, aux honneurs du talent, réunit, comme le protestantisme, ceux de la persécution. Ce sont les jansénistes et surtout les graves solitaires de ce Port-Royal, dont Racine a écrit l'Histoire. Là se distinguaient, par un savoir également sûr et profond, Lancelot, Lemaître, l'avocat de Sacy, dont la Traduction de Pline le jeune fut longtemps estimée le meilleur travail en ce genre; Arnaud surtout, qu'on appelait le grand Arnaud, le plus habile dialecticien de son temps; Duguet, Nicole, qui, dans ses Essais de Morale, trop souvent arides, il est vrai, renferme des pages excellentes, pleines de sens et d'énergie; enfin, le génie le plus prodigieux peutêtre du xvne siècle, Blaise Pascal. Jusqu'ici nous avons vu le dogme religieux inséparable de la morale; aussi Bourdaloue, Bossuet, Fénélon, Pascal, sont plutôt des orateurs et des philosophes chrétiens que des mora nom doit s'appliquer plus spécialement. La Rochefoucauld, dans le livre si court et si célèbre des Maximes, voulut prouver que l'amour de soi, la vanité égoïste est le seul mobile de nos actions; si l'on peut reprocher quelque chose d'étroit et d'incomplet à cette vue de la nature humaine, excusable d'ailleurs dans un contemporain de Richelieu et de Mazarin, et dans un acteur de la Fronde, on doit reconnaître une perspicacité presque toujours très-heureuse et une foule d'aperçus vrais et fins dans ces remarques dictées sous la forme et du ton décisif et tranchant des axiomes. La morale de La Bruyère est meilleure, son intelligence de la société plus large; son style surtout, si pittoresque dans sa rapidité, est bien supérieur à celui de La Roche foucauld. Nul écrivain, peut-être, n'a enrichi la langue d'un plus grand nombre de tournures neuves et d'expressions originales. L'heureux mélange des réflexions et des portraits donne aux Caractères et mœurs de ce siècle un attrait piquant qui manque souvent aux écrits des moralistes. La Bruyère trace en quelques lignes un portrait exempte d'un certain apprêt qui annonce de prochaines altérations dans le gout littéraire de la France. Ses Dialogues posthumes sur le quiétisme ne peuvent en aucune façon se rapprocher des Provinciales. Ses immenses travaux dans les sciences exactes dont, à vingt-trois ans, il avait parcouru le cercle entier en marquant chacun de ses pas par une création, ont donné à son style quelque chose d'élevé et de rigoureux tout à la fois qui n'appartient qu'à lui, surtout dans ces pages effrayantes de profondeur qu'on a intitulées les Pensées, et qui ne sont que des pierres d'attente du grand édifice qu'il voulait élever en faveur de la religion. ❘ entier, vivant et agissant. Mais si la précision no nuit jamais à la clarté, elle n'est pas toujours | arsenal où il vint puiser toutes ses armes. Toute En métaphysique, le xvne siècle a produit Descartes qui eut une si puissante influence sur son âge, mais dont l'appréciation appartient plutôt à la philosophie qu'à la littérature, et son disciple Mallebranche. L'imagination poétique de Mallebranche lui fut nuisible peut-être dans l'analyse philosophique; mais elle a souvent embelli la pensée et le style de sa Recherche de la Vérité d'une couleur presque platonicienne. cette école, en dehors du xvu siècle, préparait le xvii, et Fontenelle parut être l'anneau destiné à les lier l'un à l'autre. Fontenelle n'attaqua pas les préjugés de front, comme on fit après lui; mais son Histoire des Oracles, ses Entretiens sur la pluralité des mondes, etc., levèrent à demi le voile qui les couvrait. Il eut le tort de s'essayer dans trop de genres. Ses tragédies, ses opéras, ses odes, toutes ses poésies sont spirituelles, mais froides; ses Dialogues des Morts rappellent, en l'es L'exagérant encore, la manière affectée de Saint-Évremont. Le premier il se fit un nom dans l'éloquence académique que Racine seul avait illustrée jusquelà, le jour qu'il fit l'éloge du grand Corneille. Les Eloges académiques de Fontenelle abondent en saillies ingénieuses. Son intelligence de toutes les matières, sa facilité à s'approprier les créa Pendant ce temps, les doctrines d'Épicure étaient professées par Gassendi, l'émule de Descartes, par Bernier, par Saint-Évremont, par Charleval, par cette voluptueuse société de Ninon de l'Enclos où Chaulieu initia Voltaire, par celle ❘tions des savants par la forme sous laquelle il les présentait, la clarté et l'élégance trop souvent recherchée de son style lui donnèrent une grande vogue. Mais il ne fit que laisser échapper d'une main avare les opinions que le siècle suivant devait prodiguer et développer avec tant du Temple, plus licencieuse, qui succéda à la DIX-HUITIÈME SIÈCLE. Jusqu'ici, et surtout dans le xvne siècle, la lit- | religion, comme on l'avait fait au xvie siècle, térature n'a semblé que le résultat et l'expression de la société existante; la société agit énergiquement sur elle; elle réagit faiblement sur la société. Au xvu siècle, la scène change, au moins mais avec beaucoup plus de hardiesse encore, puis la politique, la législation, le gouvernement tout entier. Flattés par les souverains du Nord, ils sentirent tout ce qu'ils pouvaient être. Ils se en partie : si l'action reste la même, la réaction | réunirent. L'Encyclopédie fut le fruit de cette union. L'autorité, qui aurait dû chercher à diriger l'Encyclopédie, la proscrivit. La discorde entre les opinions et les institutions n'en fut que plus flagrante. Bientôt elle devint une lutte acharnée qui ensanglanta les dernières années du xvme siècle. Attaquées de toutes parts, les institutions croulèrent enfin toutes à la fois, et leur chute, en ébranlant toute l'Europe, lui ouvrit une ère nouvelle. Ce n'est pas à la littérature qu'il faut attribuer cet immense résultat préparé acquiert une bien plus grande intensité. Au milieu de la décadence générale des pouvoirs constitués ou consentis, la littérature à son tour de vient un pouvoir; tout en se fortifiant, elle tend aussi à se concentrer; elle se personnifie spécialement dans quelques hommes qui donnent l'impulsion à tout le reste. L'histoire doit, autant que possible, représenter cette nouvelle phase littéraire. L'ordre que nous avons adopté jusqu'à présent se modifiera donc avec la nature des faits. La poésie cède la première place à la prose, ❘ depuis si longtemps et par tant de causes; mais dont l'influence plus générale se fait mieux sentir: c'est aussi par cette grande division littéraire que nous commencerons; et comme elle se résume dans les écrivains qui la dominèrent, ces écrivains paraîtront les premiers; nous descendrons ensuite aux hommes et aux genres dont l'action sociale fut moins significative. Louis XIV, tout en commandant le respect pour les mœurs publiques, avait donné lui-même l'exemple de les enfreindre. Quand les deux générations contemporaines de sa grandeur eurent disparu, celle qui leur succéda n'hérita point de leur enthousiasme pour le grand roi. L'illusion était dissipée; le peuple souffrait; la victoire avait passé aux ennemis. La fermeté que montra Louis dans ses derniers malheurs ne ramena point à lui les cœurs qu'avaient aliénés ses ministres, ses confesseurs et ses maîtresses. Il mourut. Le respect pour la monarchie, qui n'était déjà plus qu'habitude ou hypocrisie, tomba avec lui. Rien ne pouvait plus le rappeler. La licence était montée sur le trône avec le duc d'Orléans, régent de France. Louis XV joignit bientôt à la honte de sa politique extérieure le scandale de sa vie privée. Le mécontentement fut universel. On y répondit par des coups d'autorité. Cependant les gens de lettres se répandaient de plus en plus dans le monde; soutenus par les mœurs et l'opinion, ils soumirent à l'examen et à l'analyse, d'abord la elle obéit aux opinions qui l'amenèrent, elle travailla à les seconder, à les formuler, et par là même ajouta à leur énergie. Un homme surtout s'en constitua le représentant; ce fut Voltaire. PROSE DIDACTIQUE; PHILOSOPHIE, POLITIQUE, CRITIQUE. Si Voltaire reçut de son siècle et de la postérité le titre de génie universel, on ne prétend point signifier par là qu'il fut parfait dans tous les genres, ni même également supérieur dans tous ceux où il a excellé; on veut dire que, doué d'une merveilleuse flexibilité de talents, il les a abordés tous, et que son influence a puissamment, quoiqu'à divers degrés, modifié chacun d'eux. Aucun écrivain français n'a mieux connu et mieux représenté son temps et sa nation. Dans ses premiers écrits il est plus grave et plus modéré: on voit que, attentif à ne pas heurter l'opinion, il ne veut pas rompre encore les liens qui l'attachent à l'âge précédent. Son séjour en Angleterre lui donne d'abord l'occasion d'attaquer les abus dominants dans son pays, en paraissant n'avoir d'autre dessein que de lui faire connaître la politique, la philosophie, les travaux scientifiques des Anglais. Bientôt la renommée qu'il s'est acquise dans le drame, dans l'épopée, dans l'histoire, le progrès des idées nouvelles, l'en thousiasme que témoignent pour lui les plus grands rois, la conscience de son génie et de sa puissance morale, l'enhardissent à soulever toutes les questions. Sans doute on peut lui reprocher, dans cette lutte qui anima toute sa vie, un défaut habituel de patience et de réflexion, de fréquents sacrifices de sa gloire à venir aux applaudissements du présent, l'abus de sa facilité pour poursuivre d'un persiflage inconvenant des opinions et des hommes honorables, l'inconstance et l'incertitude de ses propres doctrines; mais il faut reconnaître aussi qu'il est peu de perfectionnements modernes, en quelque genre que ce soit, qu'on ne retrouve, du moins en germe, dans Voltaire; et qu'il a rendu à son pays d'immenses services, en popularisant, par ses ouvrages didactiques, les idées de tolérance, de justice, d'égalité, la philosophie de Locke, la physique de Newton, la jurisprudence de Beccaria. Ce qui distingue le style de ces ouvrages, parmi lesquels il faut ranger la Correspondance, émule de celle de Sévigné, aussi bien que le Dictionnaire philosophique, le Commentaire sur Corneille comme les Lettres sur les Anglais, c'est la facilité, la clarté, la fécondité, le mordant, la variété, le goût toujours pur, et l'inaltérable élégance. Beaucoup d'autres écrivai..s illustres marchaient alors au même but que lui, et, sans embrasser une aussi vaste superficie, creusaient et qui, cependant, toujours modéré, s'attacha à faire sentir la nécessité du respect pour les lois existantes plus encore que celle même de la liberté. Le langage de Montesquieu est grave, concis, ingénieux, éloquent, et tout animé d'une intime poésie. Une critique sévère a pu blâmer ces élans poétiques dans l'Esprit des Lois, mais qui n'aime à les trouver dans ces morceaux détachés où ils sont si bien à leur place, et brillent d'un éclat si éblouissant, dans le Temple de Gnide, dans le Dialogue de Sylla et d'Eucrate, dans Lysimaque, etc.? Montesquieu avait expliqué les mystères des sociétés humaines, Buffon expliqua ceux de la nature, et il fut fécond, majestueux, harmonieux comme elle; son style et son ouvrage la représenteraient parfaitement s'il avait pu jeter dans le premier cette infinie variété, dans l'autre cet ordre parfait dont les œuvres seules de la nature réalisent la merveilleuse alliance. Qui d'ailleurs a mieux fait sentir la grandeur des lois qui la gouvernent? Qui a plus dignement chanté et ses bienfaits et ses rigueurs apparentes qui sont souvent des bienfaits réels? Qui a su nous intéresser ❘ plus vivement à tous les êtres qu'elle a produits? L'Esprit des Lois et l'Histoire naturelle sont les plus parfaits monuments du style de la prose, que le xvme siècle ait légués à ceux qui l'ont suivi. Il faut y joindre l'Emile. Le nom de Rousseau est devenu inséparable de celui de Voltaire. Cependant ces deux grands hommes n'eurent de commun que l'extrême in fluence qu'ils exercèrent sur leurs contemporains, Voltaire en s'appropriant les sentiments de son siècle et en les lui renvoyant ensuite fécondés et développés, Rousseau en imposant à ses concitoyens ses propres sentiments parce qu'ils se à une plus grande profondeur le terrain auquel ils se bornaient. Montesquieu, Buffon, Rousseau, voilà les noms que le xvme siècle place à côté du nom de Voltaire. Montesquieu, dans les Lettres persanes, avait, comme Voltaire, uni au paradoxe et à la satire souvent amère des institutions de son temps, l'amour des hommes et de la liberté, et il avait su animer le sérieux des doc- ❘ trouvaient, sous un certain point de vue, d'accord avec les leurs. Le xvme siècle, en effet, tendait à la destruction des institutions existantes, parce qu'elles n'étaient plus en rapport avec ses opinions; Rousseau eût voulu l'anéantissement de toute espèce d'institutions sociales, parce que s'étant trouvé dès le principe, par sa position, par son caractère, par sa conduite privée, en trines par les piquantes observations d'un voyageur et la peinture chaleureuse d'une passion orientale. A ce premier essai qui eût été le chef-d'œuvre d'un autre écrivain, succéda bientôt la Grandeur et la Décadence des Romains : il y examina Rome, non pas en homme du xvme siècle, mais du point de vue qu'aurait choisi Tacite; il se fit Romain pour juger la république | lutte ouverte avec ces institutions, il en avait été compositeur, dans ses Lettres sur la musique et sur les spectacles, il maudit les spectacles et la musique; publiciste, dans le Discours sur l'inégalité des conditions, dans le Contrat social, en cherchant à expliquer comment les sociétés ont pu se former et s'organiser, il regarde l'homme en société comme un animal dépravé, et le rap- ❘ que comme le rêve d'un homme vertueux. Melon, et l'empire. Enfin parut, après vingt ans de recherches et d'études, l'admirable livre de l'Esprit des Lois, semé de quelques erreurs, afin, sans doute, comme disait Chénier, que l'on pût y reconnaître la main de l'homme; mais qui jeta une lumière inattendue sur toutes les questions civiles et politiques; qui, par la simple analyse de la nature des gouvernements, inspira une haine plus forte pour le despotisme et un enthousiasme plus vif pour la vraie liberté que n'auraient pu faire les plus fougueuses diatribes; heurté et froissé dans tous les sens. De là la sympathie qui existe entre son siècle et lui; de là aussi ses paradoxes continuels et cependant le profond sentiment de verité qui anime son cœur et sa voix. Rousseau aime l'humanité en théorie, c'est-à-dire l'humanité telle qu'il se la figure possible; il hait et méprise les hommes en pratique, c'est-à-dire tels qu'ils sont réellement. Et cette contradiction s'étend à toutes choses. Homme de lettres, dans son premier Discours il anathématise les sciences et les lettres; musicien et Dès le commencement du xvme siècle, Boisguilbert, sous la dictée de Vauban, avait éclairci, dans sa Dime royale, quelques points d'économie sociale. L'abbé de Saint-Pierre aborda les mêmes matières, mais son Projet de paix perpétuelle ne pouvait être considéré, surtout lorsqu'il parut, pelle à l'état sauvage, comme à la perfection de sa nature; moraliste, il nous offre dans la Nouvelle Héloïse des personnages qui, vertueux en sentiments et en paroles, violent cependant sans cesse, dans leur conduite, les règles de moralité reconnues parmi les hommes; dans les Confessions, il s'avoue coupable de l'oubli des devoirs d'ami, d'amant, de fils, de père, et il se présente en même temps comme le plus vertueux des hommes, et sa conviction est tellement profonde qu'il finit par la communiquer à ses lecteurs; dans l'Emile, enfin, il développe un système d'éducation dont le résultat est de mettre son élève en guerre avec tout ce qui l'entourera dans la suite, un système où tout est basé sur la nature et le positif, et où il ne procède que par suppositions et par fictions, un système impossible enfin, car, comme on l'a remarqué, proscrire l'éducation publique, c'est obliger toute la génération actuelle à s'occuper d'élever la suivante pour que celle-ci rende à son tour le même service à ses successeurs. Et malgré tout, Rousseau est, sous le rapport de l'art, le plus parfait écrivain que la France ait produit. On se récrie bien contre cette religion sans culte, contre cette morale sans application, contre cette politique sans base; mais on obéit à l'enthousiasme dévoué qui prêche cette étrange doctrine, à celui qui s'est volontairement constitué l'apôtre et le confesseur de la verité; exalté par les sublimes idées de Dieu et du devoir, on tombe à genoux, tout en larmes, devant l'éloquent interprète du vicaire savoyard, devant le peintre inspiré d'Émile et de Sophie. On se laisse entraîner au charme de ce style harmonieux et passionné, noble et riche, dont les expressions rapellent nos vieux écrivains et dont le tissu est d'une pureté si classique. On secrétaire du régent, fut plus positif : il examina la question du crédit. Les économistes qui lui succédèrent, entre autres Mirabeau, le père, dans son Traité de la population, et tous les partisans du produit net, ne firent qu'entrevoir quelques vérités de détail au milieu d'une foule d'erreurs. La science de l'économie politique, proprement dite, devait naître plus tard; mais les écrits de Montesquieu et de Jean-Jacques avaient fixé l'attention sur les principes de gouvernement et de droit public. Mabli se distingua dans cette sorte d'étude; malheureusement son enthousiasme pour l'antiquité grecque et romaine, et son vertueux mépris pour l'égoïsme et l'inertie de ses contemporains, ôtent en grande partie à ses ouvrages l'utilité que son siècle aurait pu en retirer. Dans ses Observations sur l'histoire de France, ecrites d'ailleurs d'un style peu agréable, il ne rend pas assez de justice aux anciennes constitutions de son pays, il embrasse le passé dans la proscription du présent; mais on estime, dans ses Entretiens de Phocion, l'homme de bien qui voulut faire dépendre la politique de la morale. Le règne de Louis XVI vit naître des travaux plus positifs. Forbonnais traita savamment des finances; Turgot se montra plus avancé que les autres économistes dont il avait d'ailleurs embrassé les doctrines; Necker éclaira la théorie par la pratique, et tandis que ses écrits sur le revenu public et ses discussions avec Calonne rendaient accessible au vulgaire une science qui jusqu'alors avait eté un mystère pour lui, son Traité de l'importance des opinions religieuses réunissait à une morale pure et touchante un style élevé quoiqu'un peu emphatique. On ne peut donner ici un aperçu, même rapide, de tous partage avec délices les rêves de cette imagina- | les ouvrages de circonstance que fit naître l'ap tion que n'arrêtent jamais les limites du réel dans ce monde tout idéal qu'elle a choisi pour son domaine; on s'enflamme de cette éloquence qui substitue le sentiment à l'idée, et arrive toujours au cœur parce que c'est toujours du cœur qu'elle s'échappe. proche de la révolution française, de tous les pamphlets qui préparèrent alors les travaux des assemblées législatives. Deux noms cependant se distinguent dans la foule. Dans l'Essai sur les priviléges, et dans la fameuse brochure: Qu'estce que le tiers état? Sieyes embellissait une Autour de ces quatre grands hommes viennent invincible dialectique par une expression pleine se grouper une foule d'écrivains que la conformité d'énergie et d'originalité. Dans le livre des Letd'idées, ou une imitation évidente range sous les tres de cachet, dans ses Conseils aux républicains mèmes bannières. Ici les économistes, là les endes Etats-Unis, aux Bataves sur le stathoudérat, cyclopédistes, plus loin les savants, les métaphysià Frédéric-Guillaume, dans l'Essai sur le desciens, les critiques, les littérateurs de toute espèce. I potisme. et dans un grand nombre d'autres écrits, 0000000 |