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louse Indienne, d'avoir fait commencer le règne du jeune Soleil. "Ma passion pour

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vous, dit-il, m'a emporté trop loin peut"être; disposez de moi et ne songez qu'à " établir votre puissance." Ondouré espé

roit se faire nommer édile par le crédit de la Femme-Chef, et gouverner la nation comme tuteur du souverain adolescent.

La mort du vieux Soleil opéroit une révolution dans l'état : en lui expiroit un des trois vieillards qui avoient aboli la tyrannie des anciens despotes des Natchez. Il ne restoit plus que Chactas et Adario, tous deux au moment de disparoître.

Chactas conçut des soupçons sur le genre de mort de son ami: on ne disoit point de quel côté la flèche avoit frappé le chef centenaire; on ne rapportoit point le corps de ce vénérable chef, bien qu'on eût obtenu la victoire. Un bruit couroit parmi les guerriers de la tribu de l'Aigle, que le Soleil avoit été blessé par derrière, qu'il étoit tombé sur le visage, et que, long-temps défendu à terre par le guerrier blanc, l'un

et l'autre, indignement abandonnés, étoient demeurés vivans aux mains de l'ennemi.

Ce bruit n'avoit que trop de fondement; telle étoit l'affreuse vérité; René et le Soleil avoient été faits prisonniers. Les Illinois se consolèrent de leur défaite, en se voyant maîtres du Grand Chef des Natchez: non poursuivis dans leur retraite, ils emmenèrent paisiblement leurs victimes.

Après un mois de marche, de repos, et de chasse, ils arrivèrent à leur grand village : là, les prisonniers devoient être exécutés. Par un raffinement de barbarie, on avoit pris soin de panser les blessures du frère d'Amélie et du Soleil: les prisonniers étoient gardés jour et nuit, avec les précautions que le Démon de la cruauté inspire aux peuples de l'Amérique.

Lorsque les Illinois découvrirent leur grand village, ils s'arrêtèrent pour préparer une entrée triomphante. Le chef de la troupe s'avança le premier en jetant les Cris de Les guerriers venoient ensuite rangés deux à deux: ils tenoient, par l'extrémité

mort.

d'une corde, René et le chef des Natchez, la moitié nu, les bras liés au-dessus du coude.

Le cortége parvint ainsi sur la place du village une foule curieuse s'y trouvoit déjà assemblée. Cette foule se pressoit, s'agitoit, dansoit autour du vieux Soleil et de son compagnon: telles dans un soir d'automne, d'innombrables hirondelles voltigent autour de quelques ruines solitaires; tels les habitans des eaux se jouent dans un rayon d'or qui pénètre les vagues du Meschacebé, tandis que les fleurs des magnolias, détachées par le souffle de la brise, tombent en pluie sur la surface de l'onde.

Lorsque l'armée et tous les Sauvages furent réunis dans le lieu de douleur, le GrandPrêtre donna le signal du prélude des supplices, appelé par l'horrible Athaënsic* : les caresses aux prisonniers.

Aussitôt les Indiens rangés sur deux lignes frappent avec des bâtons de cèdre le chef

* La Vengeance,

des Natchez: celui-ci, sans hâter sa marche, passe entre ses bourreaux, comme un fleuve qui roule la lenteur de ses flots entre deux rives verdoyantes. René s'attendoit à voir tomber la victime; il ignoroit que ces maîtres en supplice évitoient de porter les coups aux parties mortelles, afin de prolonger leurs plaisirs.

"Vénérable Sachem,

❝ s'écrioit le frère d'Amélie, quelle destinée ! "Moi, je suis jeune; je puis souffrir; "mais vous!"

Le Soleil, répondit: "Pourquoi me plains"tu? je n'ai pas besoin de ta pitié. Songe ❝ à toi; rappelle tes forces. L'épreuve du "feu commencera par moi, parce que je "suis un chêne desséché sur ma tige, et propre à m'embraser rapidement. J'espère

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jeter une flamme dont la lumière éclairera "ma patrie et réchauffera ton courage."

Après ces traitemens faits à la vieillesse, le jeune Français eut à supporter les mêmes barbaries; ensuite les deux prisonniers furent conduits dans une cabane, où on leur prodigua tous les secours et tous les plaisirs :

l'oiseau de Minerve canadienne, brise le pied de ses victimes, et les engraisse dans son aire durant les beaux jours, pour les dévorer dans la saison des frimas.

La nuit vint: René, couvert de blessures, étoit couché sur une natte à l'une des extrémités de la cabane. Des gardes veilloient à la porte. Une femme vêtue de blanc, une couronne de jasmin jaune sur la tête, s'avance dans l'ombre; on entendoit couler ses larmes. "Qui es-tu?" dit René, en se soulevant avec peine. "Je suis la

Vierge des dernières amours,*" répondit l'indienne. "Mes parens ont demandé

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pour moi la préférence; car ils haïssent "Venclao que j'aime. Voilà pourquoi je "pleure à ton chevet je m'appelle Né"lida."

:

René répondit dans la langue des Sauvages: "Les baisers d'une bouche qui n'est "point aimée sont des épines qui percent "les lèvres. Nélida, va retrouver Venclao;

* Voyez, pour l'explication de cet usage, l'épisode d'Atala.

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