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"quelle vivacité il a parlé de l'Indienne unie " à son sort! Et quelle est cette femme? "c'est cette Céluta connue de toute la co(6 lonie, pour avoir arraché aux flammes un "de nos plus braves officiers. Ne seroit-il pas possible que la beauté de cette géné66 reuse Sauvage eût allumé des passions

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qui poursuivent aujourd'hui leur vengeance 66 sur la tête d'un innocent? Je n'avance "point ceci sur de simples conjectures. "Cette nuit même j'ai examiné tous les papiers; j'ai fait des recherches, et je me "suis procuré la lettre que je vais lire au "conseil."

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Ici Pierre de Harlay lut une lettre datée du fort Rosalie: cette lettre étoit écrite par le grenadier Jacques à sa mère, qui demeuroit à la Nouvelle-Orléans. Le soldat exprimoit, dans toute la franchise militaire, son admiration pour son capitaine Artaguette, son estime pour René, sa compassion pour Céluta, son mépris pour Fébriano et pour Ondouré.

"Cette lettre, s'écrià le défenseur de

"René, porte un caractère d'honnêteté et "de vérité auquel on ne se peut méprendre. "La justice doit-elle aller si vite? N'est-il 66 pas de son devoir d'entendre les témoins "en faveur de l'accusé? Je sais qu'une "commission militaire juge sans appel et "sommairement; mais cette procédure ra66 pide n'exclut pas l'équité. Je ne veux 66 pour preuve de l'innocence de l'accusé

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que la démarche qui le livre aujourd'hui "au glaive des loix. Quoi! vous accepte"riez cette tête qu'il est venu vous offrir 66 pour la tête d'un vieillard? Il est aisé de

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persécuter un homme sans amis et sans "protecteurs; il est aisé de lui prodiguer "les épithètes de vagabond et de traître : la "seule présence de mon client a déjà donné "un démenti à ces basses calomnies. Enfin, "quand on s'obstineroit dans une accusa❝tion qui ne porte que sur des faits dénués "de preuve; je soutiens que René n'est plus "Français, et qu'il ne vous appartient pas ❝de le juger.

"J'ignore quels motifs ont pu porter

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"l'homme qui comparoît aujourd'hui devant vous, à quitter la France; mais que l'on "ait le droit de changer de patrie, c'est ce 66 que l'on ne sauroit contester. Des tyrans "m'auront enchaîné, des ennemis m'auront "persécuté, j'aurai été trompé dans mes "affections, et il ne me seroit pas permis "d'aller chercher ailleurs la liberté, le repos "et l'oubli de l'amitié trahie! La nature "seroit donc plus généreuse que les hom“mes, elle qui ouvre ses déserts à l'infortu

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"né, elle qui ne lui dit pas : Tu habiteras "telle forêt ou telle autre ;" mais qui lui "dit: "Choisis les abris les plus convena❝bles aux dispositions de ton âme." Sou"tiendriez-vous que les Sauvages de la "Louisiane sont sujets du roi de France? "Abandonnez cette odieuse prétention. As66 sez long-temps ont été opprimés ces peu"ples qui jouissoient du bonheur et de "l'indépendance, avant que nous eussions "introduit la servitude et la corruption dans "leur terre natale. Soldats-juges, vous por❝tez aujourd'hui deux épées; Dieu vous a

"remis le glaive de sa puissance et celui "de sa justice; prenez garde de les lui "rendre ébréchés ou couverts de taches: on "émousse le premier en frappant la liberté, 66 on souille le second en répandant le sang "innocent."

L'orateur cessa de parler. L'auditoire étoit visiblement ému. Adélaïde, cachée dans une tribune, ne se put empêcher d'applaudir; ce fut la plus douce récompense de Harlay: ce couple que les liens d'un amour heureux alloient unir, prenoit seul, par une sympathie touchante, la défense d'un étranger qui devoit à une passion tous ses mal

heurs.

On fit retirer l'accusé; les juges délibérèrent. Ils inclinoient à trouver René coupable; mais ils se divisèrent sur la question de droit, relative au changement de patrie. Ils remirent au lendemain la prononciation de la sentence. René dit à Harlay: " Je "ne vous connoissois pas quand j'ai refusé "de vous entendre; je ne vous remercie 66 pas, car vous m'avez trop bien défendu.

“Dites à la fille du gouverneur que je lui "souhaiterois le bonheur, si mes vœux n'é"toient des malédictions."

Le frère d'Amélie fut reconduit en prison, entre deux rangs de marchands d'esclaves, de mariniers étrangers, de trafiquans de tous les pays, de toutes les couleurs, qui l'accabloient d'outrages sans savoir pourquoi.

Rentré dans la tour de la geôle, René désira écrire quelques lettres. Le gardien lui apporta une mauvaise feuille de papier, un peu d'encre dans le fond d'un vase brisé, et une vieille plume; laissant ensuite le prisonnier, il ferma la porte qu'il assujettit avec les verrous. Demeuré seul, René se mit à genoux au bord du lit de camp dont la planche lui servit de table, et éclairé par le foible jour qui pénétroit à travers les barreaux d'une fenêtre grillée, il écrivit à Chactas; il chargeoit le Sachem de traduire les deux lettres qu'il adressoit en même temps à Céluta et à Outougamiz.

La femme du geôlier entra; un enfant de

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