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"Mais comment exprimer cette foule de sensations fugitives que j'éprouvois dans mes promenades? Les sons que rendent les passions dans le vide d'un cœur solitaire ressemblent au murmure que les vents et les eaux font entendre dans le silence d'un désert on en jouit, mais on ne peut les peindre.

"L'automne me surprit au milieu de ces incertitudes: j'entrai avec ravissement dans les mois des tempêtes. Tantôt j'aurois voulu être un de ces guerriers errant au milieu des vents, des nuages et des fantômes; tantôt j'enviois jusqu'au sort du pâtre que je voyois réchauffer ses mains à l'humble feu de broussailles qu'il avoit allumé au coin d'un bois. J'écoutois ses chants mélancoliques, qui me rappeloient que dans tout pays, le chant naturel de l'homme est triste, lors même qu'il exprime le bonheur. Notre cœur est un instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes, et où nous

sommes forcés de rendre les accens de la joie sur le ton consacré aux soupirs.

"Le jour, je m'égarois sur de grandes bruyères terminées par des forêts. Qu'il falloit peu de choses à ma rêverie! une feuille séchée que le vent chassoit devant moi, une cabane dont la fumée s'élevoit dans la cime dépouillée des arbres, la mousse qui trembloit au souffle du nord sur le tronc d'un chêne, une roche écartée, un étang désert où le jonc flétri murmuroit! Le clocher solitaire s'élevant au loin dans la vallée, a souvent attiré mes regards; souvent j'ai suivi des yeux les oiseaux de passage qui voloient au-dessus de ma tête. Je me figurois les bords ignorés, les climats lointains où ils se rendent ; j'aurois voulu être sur leurs ailes. Un secret instinct me tourmentoit; je sentois que je n'étois moi-même qu'un voyageur; mais une voix du ciel sembloit me dire: "Homme, la saison "de ta migration n'est pas encore venue;

"attends que le vent de la mort se lève, "alors tu déploieras ton vol vers ces ré"gions inconnues que ton cœur demande.”

"Levez-vous vite, orages désirés, qui devez emporter René dans les espaces d'une autre vie! Ainsi disant, je marchois à grands pas, le visage enflammé, le vent sifflant dans ma chevelure, ne sentant ni pluie, ni frimas, enchanté, tourmenté, et comme possédé par le démon de mon cœur.

"La nuit, lorsque l'aquilon ébranloit ma chaumière, que les pluies tomboient en torrent sur mon toit, qu'à travers ma fenêtre je voyois la lune sillonner les nuages amoncelés, comme un pâle vaisseau qui laboure les vagues, il me sembloit que la vie redoubloit au fond de mon cœur, que j'aurois eu la puissance de créer des mondes. Ah! si j'avois pu faire partager à une autre les transports que j'éprouvois! O Dieu! si tu m'avois donné une femme selon mes désirs ; si, comme à notre premier père, tu m'eusses

amené par la main une Eve tirée de moimême....Beauté céleste! je me serois prosterné devant toi, puis te prenant dans mes bras, j'aurois prié l'Eternel de te donner le reste de ma vie.

"Hélas, j'étois seul, seul sur la terre ! Une langueur secrète s'emparoit de mon corps. Ce dégoût de la vie que j'avois ressenti dès mon enfance revenoit avec une force nouvelle. Bientôt mon cœur ne fournit plus d'aliment à ma pensée, et je ne m'apercevois de mon existence que par un profond sentiment d'ennui.

"Je luttai quelque temps contre mon mal, mais avec indifférence et sans avoir la ferme résolution de le vaincre. Enfin, ne pouvant trouver de remède à cette étrange blessure de mon cœur, qui n'étoit nulle part et qui étoit partout, je résolus de quitter la

vie.

“Prêtre du Très-Haut, qui m'entendez,

pardonnez à un malheureux que le ciel avoit presque privé de la raison. J'étois plein de religion, et je raisonnois en impie; mon cœur aimoit Dieu, et mon esprit le méconnoissoit; ma conduite, mes discours, mes sentimens, mes pensées, n'étoient que contradiction, ténèbres, mensonges. Mais l'homme sait-il bien toujours ce qu'il veut, est-il toujours sûr de ce qu'il pense?

"Tout m'échappoit à la fois, l'amitié, le monde, la retraite. J'avois essayé de tout, et tout m'avoit été fatal. Repoussé par la société, abandonné d'Amélie, quand la solitude vint à me manquer, que me restoit-il ? C'étoit la dernière planche sur laquelle j'avois espéré me sauver, et je la sentois encore s'enfoncer dans l'abîme!

"Décidé que j'étois à me débarrasser du poids de la vie, je résolus de mettre toute ma raison dans un acte insensé. Rien ne me pressoit; je ne fixai point le moment du départ, afin de savourer à longs traits les

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