rées par les buissons et les ronces, et de la nudité de son corps découloit une eau glacée; la fièvre vint habiter ses os; et ses dents commencèrent à se choquer avec un bruit sinistre. Outougamiz saisit René de nouveau, le réchauffa sur son cœur, et quand la lumière du soleil eut pénétré sous la voûte des cyprès, elle trouva le Sauvage tenant encore son ami dans ses bras. Mère des actions sublimes! toi qui depuis que la Grèce n'est plus, as établi ta demeure sur les tombeaux indiens, dans les solitudes du Nouveau-Monde! toi qui parmi ces déserts est pleine de grandeur parce que tu es pleine d'innocence! Amitié sainte ! prêtemoi tes paroles les plus fortes et les plus naïves, ta voix la plus mélodieuse et la plus touchante, tes sentimens exaltés, tes feux immortels, et toutes les choses ineffables qui sortent de ton cœur, pour chanter les sacrifices que tu inspires! Oh! qui me conduira aux champs des Rutules, à la tombe d'Euryale et de Nisus, où la Muse console encore des mânes fidèles! Tendre divinité de Virgile, tu n'eus à soupirer que la mort de deux amis; moi j'ai à peindre leur vie infortunée. Que dira les douces larmes du frère d'Amélie, qui fera voir ses lèvres tremblantes, où son âme venoit errer; qui pourra représenter sous l'abri d'un cyprès, parmi des roseaux, Outougamiz, sa chaîne d'or, Manitou de l'amitié, serrée à triple nœud sur sa poitrine, Outougamiz soutenant dans ses bras l'ami qu'il a délivré, cet ami couvert de fange et de sang, et dévoré d'une fièvre ardente? Que celui qui le peut exprimer nous rende le regard de ces deux hommes, quand se contemplant l'un l'autre en silence, les sentimens du ciel et du malheur rayonnoient et se confondoient sur leur front. Amitié! que sont les empires, les amours, la gloire, toutes les joies de la terre, auprès d'un seul instant de ce douloureux bonheur ? Outougamiz, par cet instinct de la vertu qui fait deviner le crime, avoit ajouté peu de foi au récit d'Ondouré; ce qu'il recueillit de la bouche de divers guerriers, augmenta ses doutes. Dans tous les cas, René étoit mort ou pris, et il falloit ou lui donner la sépulture ou le délivrer des flammes. Outougamiz cache ses desseins à Céluta; il n'avertit qu'une troupe de jeunes Natchez qui consentent à le suivre. Il se dépouille de tout vêtement, et ne garde qu'une ceinture pour être plus léger; il peint son corps de la couleur des ombres, ceint le poignard, s'arme du tomahawk ;* attache sur son cœur la chaîne d'or, suspend de petits pains. de maïs à son côté, jette l'arc sur son épaule, et rejoint dans la forêt ses compagnons. Il se glisse avec eux dans les ténèbres: arrivé au Bayouc des Pierres, il le traverse, aborde la rive opposée, pousse le cri du castor qui a perdu ses petits, bondit, et il disparoît dans le désert. Huit jours entiers il marche, ou plutôt il vole, pour lui plus de sommeil, pour lui plus de repos. Ah! le moment où il fermeroit la paupière, ne pourroit-il pas être le moment même qui lui raviroit son ami? Montagnes, * Hache. précipices, rivières, tout est franchi on diroit un aimant qui cherche à se réunir à l'objet qui l'attire à travers les corps qui s'opposent à son passage. Si l'excès de la fatigue arrête le frère de Céluta, s'il sent, malgré lui, ses yeux s'appesantir, il croit entendre une voix qui lui crie du milieu des flammes: "Outougamiz! Outougamiz! où "est le Manitou que je t'ai donné ?” A cette voix intérieure, il tressaille, se lève, baise la chaîne d'or, et reprend sa course. La lenteur avec laquelle les Illinois retournèrent à leurs villages, donna le temps à Outougamiz d'arriver avant la consomption de l'holocauste. Ce Sauvage n'est plus le simple, le crédule Outougamiz: à sa résolution, à son adresse, à la manière dont il a tout prévu, tout calculé, on prendroit ce soldat pour un chef expérimenté. Il sauve René, mais en perdant ses nobles compagnons, troupe d'amis qui offre à l'amitié ce magnanime sacrifice! il sauve René, l'entraîne dans le marais, mais que de périls il reste encore à surmonter ! Le lieu où les deux amis se reposèrent d'abord étant trop voisin du rivage, Outougamiz résolut de se réfugier sous d'autres cyprès qui croissoient au milieu des eaux : lorsqu'il voulut exécuter son dessein, il sentit toute sa détresse. Un peu de pain de maïs n'avoit pu rendre les forces à René; ses douleurs s'étoient augmentées, ses plaies s'étoient rouvertes; une fièvre pesante l'accabloit, et l'on ne s'apercevoit de sa vie qu'à ses souffrances. Accablé par ses chagrins et ses travaux, affoibli par la privation presque totale de nourriture, le frère de Céluta eût eu besoin pour lui-même des soins qu'il prodiguoit à son ami. Mais il ne s'abandonna point au désespoir; son âme, s'agrandissant avec les périls, s'élève comme un chêne qui semble croître à l'œil, à mesure que les tempêtes du ciel s'amoncèlent autour de sa tête. Plus ingénieux dans son amitié qu'une mère indienne, qui ramasse de la mousse pour en faire un berceau à son fils, Outougamiz |