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chirés et sanglans, les armes demi brisées, les casques fracassés, les chapeaux percés de balles, et tout le noble désordre de ces vaillans capitaines, tandis que les colombes, fidèles à leur retraite accoutumée, loin de fuir les feux, se venoient reposer avec les guerriers.

La résistance inattendue des Sauvages, avoit effrayé le commandant du fort Rosalie: il commençoit à craindre de s'être laissé trop emporter à l'humeur intéressée des colons. Il avoit livré le combat sans en avoir reçu l'ordre précis du gouverneur de la Louisiane, et avant l'arrivée des troupes annoncées d'Europe. Un nombre assez considérable de soldats et plusieurs officiers étoient restés sur le champ de bataille: l'absence du capitaine d'Artaguette alarmoit.

L'opinion des chefs rassemblés autour de Chépar, étoit partagée: les uns vouloient continuer le combat au lever du jour; les autres prétendoient que le châtiment infligé aux Sauvages étoit assez sévère: il s'agissoit moins, disoient-ils, d'exterminer ces peuples, que de les soumettre; sans doute

les Indiens seroient disposés à un arrangement, et dans tous les cas la suspension des hostilités donneroit aux Français le temps de recevoir des secours.

Fébriano ne parut point à ce conseil: sa conduite, sur le champ de bataille, lui fit craindre la présence de ses valeureux compagnons d'armes : c'étoit dans des secrètes communications avec Chépar, que le renégat espéroit reprendre son influence et son crédit.

Le feu du bivouac ne jetoit plus que des fumées; l'aube blanchissoit l'orient; les oiseaux commençoient à chanter le conseil n'avoit point encore fixé ses résolutions. Tout-à-coup retentit l'appel d'une sentinelle avancée; on voit courir des officiers: la grand'-garde fait le premier temps des feux. Un parti de jeunes Indiens, commandé par cet Outougamiz, dont l'armée française avoit admiré la valeur, se présentoit au poste : ces guerriers s'arrêtent à quelque distance; de leurs rangs sort un jeune homme pâle, la tête nue, portant un uniforme français taché de sang; c'étoit Artaguette. Il s'ap

puyoit sur le bras d'une négresse qui allaitoit un enfant on le reçut à l'avant-garde ; les Indiens se retirèrent.

Conduit au général, Artaguette parla de la sorte devant le conseil :

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"Blessé vers la fin du combat, le brave

grenadier Jacques me porta hors de la "mêlée. Jacques étoit blessé lui-même ; je

"le forçai de se retirer: il obéit à mes or"dres, mais dans le dessein de m'aller "chercher des secours. La nuit ayant fait " cesser le combat, je parvins à me traîner " à ce cimetière des Indiens, qu'ils appel"lent les bocages de la Mort là je fus "trouvé par le jongleur; on me condamna au "supplice des prisonniers de guerre. Ou"tougamiz me voulut en vain sauver : sa 66 sœur, non moins généreuse, fit ce qu'il "n'avoit pu faire. La loi indienne permet " à une femme de délivrer un prisonnier, en "l'adoptant ou pour frère ou pour mari. "Céluta a rompu mes liens; elle a déclaré 66 que j'étois son frère: elle réserve sans "doute l'autre titre à un homme plus digne que moi de le porter.'

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"Les Indiens, dont je suis devenu le "fils adoptif, m'ont chargé de paroles de

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paix. Outougamiz, mon frère sauvage, "m'a escorté jusqu'à l'avant-garde de notre "armée; une négresse appelée Glazirne, que

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j'avois connue au fort Rosalie et qui se "trouvoit aux Natchez, m'a prêté l'appui "de son bras pour arriver au milieu de vous. "Je ne dirai point au général que j'étois 66 opposé à la guerre : il a dû dans son auto"rité et dans sa sagesse, décider ce qui "convenoit le mieux au service du Roi; "mais je pense que les Natchez étant

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aujourd'hui les premiers à parler de paix, "l'honneur de la France est à couvert. "Les Indiens m'ont accordé la vie et rendu "la liberté. Chactas peut être échangé "contre moi: je serai glorieux d'avoir "servi de rançon à ce vieillard illustre."

Le sang et le courage du capitaine Artaguette, étoient encore plus éloquens que ses paroles: un murmure flatteur d'applaudissemens se répandit dans le conseil. Chépar vit un moyen de se tirer avec honneur du

pas dangereux où il s'étoit engagé: il déclara que, puisque les Sauvages imploroient une trêve, il consentoit à la leur accorder, leur voulant apprendre qu'on n'avoit jamais recours en vain à sa clémence. Chactas, qu'on envoya chercher au fort Rosalie, conclut une suspension d'armes qui devoit durer un an, et dans le cours de laquelle des Sachems expérimentés et de notables Français s'occuperoient à régler le partage des terres.

Quelques jours suffirent pour donner la sépulture aux morts; une nature vierge et vigoureuse eut bientôt fait disparoître dans les bois les traces de la fureur des hommes; mais les haines et les divisions ne firent que s'accroître.. Tous ceux qui avoient perdu des parens ou des amis sur le champ de bataille, respiroient la vengeance: les Indiens, rendus plus fiers par leur résistance, étoient impatiens de redevenir entièrement libres; les habitans de la colonie, trompés dans leur premier espoir, convoitoient plus que jamais les concessions

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