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à Rome ancienne et nouvelle le desir de l'ímiter; et on n'a pas même cessé de rendre cet hommage depuis que les immenses collections de tableaux d'Italie, amassées par le roi et par le duc d'Orléans, et les chefs-d'œuvre de sculpture que la France a produits, nous ont mis en état de ne point chercher ailleurs des maîtres.

C'est principalement dans la sculpture que nous avons excellé, et dans l'art de jeter en fonte d'un seul jet des figures équestres colossales.

Si l'on trouvait un jour sous des ruines des morceaux tels que les bains d'Apollon, exposés aux injures de l'air dans les bosquets de Versailles, le tombeau du cardinal de Richelieu, trop peu montré au public dans la chapelle de Sorbonne, la statue équestre de Louis XIV, faite à Paris pour décorer Bordeaux, le Mercure dont Louis XV a fait présent au roi de Prusse, et tant d'autres ouvrages égaux à ceux que je cite; il est à croire que ces productions de nos jours seraient mises à côté de la plus belle antiquité grecque.

Nous avons égalé les anciens dans les médailles. Varin fut le premier qui tira cet art de la médiocrité sur la fin du regne de Louis XIII. C'est maintenant une chose admirable que ces poinçons et ces quarrés qu'on voit rangés par ordre historique dans l'endroit de la galerie du louvre occupé par les artistes: il y en a pour deux millions, et la plupart sont des chefs-d'œuvre.

On n'a pas moins réussi dans l'art de graver les pierres précieuses : celui de multiplier les tableaux, de les éterniser par le moyen des planches en cuivre,

de transmettre facilement à la postérité toutes les représentations de la nature et de l'art, était encore très informe en France avant ce siecle. C'est un des arts les plus agréables et les plus utiles. On le doit aux Florentins, qui l'inventerent vers le milieu du quinzieme siecle; et il a été poussé plus loin en France que dans le lieu même de sa naissance, parcequ'on y a fait un plus grand nombre d'ouvrages en ce genre. Les recueils des estampes du roi ont été souvent un des plus magnifiques présents qu'il ait faits aux ambassadeurs. La ciselure en or et en argent, qui dépend du dessin et du goût, a été portée à la plus grande perfection dont la main de l'homme soit capable.

Après avoir ainsi parcouru tous ces arts qui contribuent aux délices des particuliers et à la gloire de l'état, ne passons pas sous silence le plus utile de tous les arts, dans lequel les Français surpassent toutes les nations du monde; je veux parler de la chirurgie, dont les progrès furent si rapides et si célebres dans ce siecle, qu'on venait à Paris des houts de l'Europe pour toutes les cures et pour toutes les opérations qui demandaient une dextérité non commune. Non seulement il n'y avait guere d'excellents chirurgiens qu'en France, mais c'était dans ce seul pays qu'on fabriquait parfaitement les instruments nécessaires: il en fournissait tous ses voisins; et je tiens du célebre Cheselden, le plus grand chirurgien de Londres, que ce fut lui qui commença à faire fabriquer à Londres, en 1715, les instruments desonart. La médecine, qui servait à perfectionner la chirurgie, ne s'éleva pas en France au-dessus de ce qu'elle était en Angleterre, et sous le fameux Boerhaave en Hol-lande; mais il arriva à la médecine, comme à la philosophie, d'atteindre à la perfection dont elle est capable en profitant des lumieres de nos voisins.

Voilà en général un tableau fidele des progrès de l'esprit humain chez les Français dans ce siecle qui - commença au temps du cardinal de Richelieu, et qui finit de nos jours. Il sera difficile qu'il soit surpassé; et s'il l'est en quelques genres, il restera le modele des âges encore plus fortunés qu'il aura fait naitre.

CHAPITRE XXXIV.

Des beaux-arts en Europe, du temps de Louis XIV.

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ous avons assez insinué dans tout le cours de cette histoire que les désastres publics dont elle est composée, et qui se succedent les uns aux autres presque sans relâche, sont à la longue effacés des registres des temps. Les détails et les ressorts de la politique tombent dans l'oubli; les bonnes lois, les instituts, les monuments produits par les sciences et par les arts subsistent à jamais.

La foule des étrangers qui voyagent aujourd'hui à Rome, non en pélerins, mais en hommes de goût, s'informe peu de Grégoire VII et de Boniface VIII; ils admirent les temples que les Bramante et les Michel Ange ont élevés, les tableaux des Raphaël, les sculptures des Bernini: s'ils ont de l'esprit, ils S. DE LOUIS XIV. 3.

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lisent l'Aríoste et le Tasse; et ils respectent la cendre de Galilée. En Angleterre on parle un moment de Cromwell: on ne s'entretient plus des guerres de la rose blanche; mais on étudie Newton des années entieres; on n'est point étonné de lire dans son épitaphe qu'il a été la gloire du genre humain, et on le serait beaucoup si on voyait en ce pays les cendres d'aucun homme d'état honorées d'un pareil titre.

Je voudrais ici pouvoir rendre justice à tous les grands hommes qui ont comme lui illustré leur patrie dans le dernier siecle. J'ai appelé ce siècle celui de Louis XIV, non seulement parceque ce monarque a protégé les arts beaucoup plus que tous les rois ses contemporains ensemble, mais encore parcequ'il a vu renouveler trois fois toutes les générations des princes de l'Europe. J'ai fixé cette époque à quelques années avant Louis XIV, et à quelques années après lui; c'est en effet dans cet espace de temps que l'esprit humain a fait les plus grands progrès.

Les Anglais ont plus avancé vers la perfection presque en tous les genres, depuis 1660 jusqu'à nos jours, que dans tous les siecles précédents. Je ne répéterai point ici ce que j'ai dit ailleurs de Milton. Il est vrai que plusieurs critiques lui reprochent la bizarrerie dans ses peintures, son paradis des sots, ses murailles d'albâtre qui entourent le paradis terrestre; ses diables qui, de géants qu'ils étaient, se transforment en pygmées, pour tenir moins de place au conseil, dans une grande salle toute d'or, bâtie en enfer; les canous qu'on tire dans le ciel, les mon tagnes qu'on s'y jette à la tête; des auges à cheval, des anges qu'on coupe en deux, et dont les parties serejoignent soudain. On se plaint de ses longueurs, de ses répétitions; on dit qu'il n'a égalé ni Ovide ni Hésiode dans sa longue description de la maniere dont la terre, les animaux, et l'homme furent formés. On censure ses dissertations sur l'astronomie, qu'on croit trop seches, et ses inventions, qu'on croit plus extravagantes que merveilleuses, plus dégoûtantes que fortes; telles sont une longue chaussée sur le chaos; le péché et la mort, amoureux l'un de l'autre, qui ont des enfants de leur inceste ; et la mort « qui « leve le nez pour renifler à travers l'immensité du * chaos le changement arrivé à la terre, comme « un corbeau qui sent les cadavres » ; cette mort qui flaire l'odeur du péché, qui frappe de sa massue pétrifique sur le froid et sur le sec; ce froid et ce see avec le chaud et l'humide, qui, devenus quatre braves généraux d'armée, conduisent en bataille des embryons d'atomes armés à la légere. Enfin on s'est épuisé sur les critiques; mais on ne s'épuise pas sur les louanges. Milton reste la gloire et l'admiration de l'Angleterre: on le compare à Homere, dont les défauts sont aussi grands; et on le met audessus du Dante, dont les imaginations sont encore plus bizarres.

Dans le grand nombre des poëtes agréables qui décorerent le regne de Charles II, comme les Waller, les comtes de Dorset et de Rochester, le duc de Bukingham, ete. on distingue le célebre Dryden, qui s'est signalé dans tous les genres de poésie: ses ouvrages sont pleins de détails naturels

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