physicien assez délié pour vouloir réconcilier la théologie avec la métaphysique; poëte latin même, et enfin mathématicien assez bon pour disputer au grand Newton l'invention du calcul de l'infini, et pour faire douter quelque temps entre Newton et lui. C'était alors le bel âge de la géométrie : les mathématiciens s'envoyaient souvent des défis, c'està-dire des problèmes à résoudre, à-peu-près comme on dit que les anciens rois de l'Égypte et de l'Asie s'envoyaient réciproquement des énigmes à deviner. Les problêmes que se proposaient les géometres étaient plus difficiles que ces énigmes: il n'y en eut aucun qui demeurât sans solution en Allemagne, en Angleterre, en Italie, en France. Jamais la correspondance entre les philosophes ne fut plus universelle; Leibnitz servait à l'animer. On a vu une république littéraire établie insensiblement dans l'Europe, malgré les guerres et malgré les religions différentes. Toutes les soiences, tous les arts ont reçu ainsi des secours mutuels: les académies ont formé cette république. L'Italie et la Russie ont été unies par les lettres. L'Anglais, l'Allemand, le Français, allaient étudier à Leyde. Le célebre médecin Boerhaave était consulté à la fois par le pape et par le czar. Ses plus grands éleves ont attiré ainsi les étrangers, et sont devenus en quelque sorte les médecins des nations; les véritables savants dans chaque genre ont resserré les liens de cette grande société des esprits répandue par-tout, et par-tout indépendante. Cette correspondance dure encore; elle est une des consolations des maux que l'ambition et la politique répandent sur la terre. L'Italie, dans ce siecle, a conservé son ancienne gloire, quoiqu'elle n'ait eu ni de nouveaux Tasse, ni de nouveaux Raphaël; c'est assez de les avoir produits une fois. Les Chiabrera, et ensuite les Zappi, les Filicaia, ont fait voir que la délicatesse est toujours le partage de cette nation. La Mérope de Maffei, et les ouvrages dramatiques de Metastasio sont de beaux monuments du siecle. L'étude de la vraie physique, établie par Galilée, s'est toujours soutenue malgré les contradictions d'une ancienne philosophie trop consacrée. Les Cassini, les Viviani, les Manfredi, les Bianchini, les Zanotti, et tant d'autres, ont répandu sur l'Italie la même lumiere qui éclairait les autres pays; et quoique les principaux rayons de cette lumiere vinssent de l'Angleterre, les écoles italiennes n'en ont point enfin détourné les yeux. Tous les genres de littérature ont été cultivés dans cette ancienne patrie des arts autant qu'ailleurs, excepté dans les matieres où la liberté de penser donne plus d'essor à l'esprit chez d'autres nations. Ce siecle sur-tout a mieux connu l'antiquité que les précédents. L'Italie fournit plus de monuments que toute l'Europe ensemble; et plus on a déterré de ces monuments, plus la science s'est étendue. On doit ces progrès à quelques sages, à quelques génies, répandus en petit nombre dans quelques partiés de l'Europe, presque tous long-temps obscurs, et souvent persécutés: ils ont éclairé et consolé la terre, pendant que les guerres la désolaient. On peut trouver ailleurs des listes de tous ceux qui ont illustré l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie. Un étranger serait peut-être trop peu propre à apprécier le mérite de tous ces hommes illustres. Il suffit ici d'avoir fait voir que dans le siecle passé les hommes ont acquis plus de lumieres d'un bout de l'Europe à l'autre que dans tous les âges précédents. CHAPITRE XXX V. Affaires ecclésiastiques. Disputes mémorables. DES trois ordres de l'état le moins nombreux est l'église; et ce n'est que dans le royaume de France que le clergé est devenu un ordre de l'état. C'est une chose aussi vraie qu'étonnante, on l'a déja dit, et rien ne démontre plus le pouvoir de la coutume. Le clergé donc, reconnu pour ordre de l'état, est celui qui a toujours exigé du souverain la conduite la plus délicate et la plus ménagée. Conserver à la fois l'union avec le siege de Rome, et soutenir les libertés de l'église gallicane, qui sont les droits de l'ancienne église; savoir faire obéir les évêques comme sujets, sans toucher aux droits de l'épiscopat; les soumettre en beaucoup de choses à la juridiction séculiere, et les laisser juges en d'autres; les faire contribuer aux besoins de l'état, et ne pas choquer leurs privileges.: tout cela demande un mélange de dextérité et de fermeté que Louis XIV eut presque toujours. Le clergé en France fut remis peu-à-peu dans un ordre et dans une décence dont les guerres civiles et la licence des temps l'avaient écarté. Le roi ne souffrit plus enfin, ni que les séculiers possédassent des bénéfices sous le nom de confidentiaires, ni que ceux qui n'étaient pas prêtres eussent des évéchés, comme le cardinal Mazarin qui avait possédé l'évêché de Metz n'étant pas même sousdiacre, et le duc de Verneuil qui en avait aussi joui étant séculier. Ce que payait au roi le clergé de France, et des villes conquises, allait, année commune, à environ deux millions cinq cents mille livres; et depuis, la valeur des especes ayant augmenté numériquement, ils ont secouru l'état d'environ quatre millions par année, sous le nom de décimes, de subvention extraordinaire, de don gratuit. Ce mot et ce privilege de don gratuit se sont conservés comme une trace de l'ancien usage où étaient tous les seigneurs de fiefs d'accorder des dons gratuits aux rois dans les besoins de l'état. Les évêques et les abbés étant seigneurs de fiefs, par un ancien abus, ne devaient que des soldats dans le temps de l'anarchie féodale: les rois alors n'avaient que leur domaines, comme les autres seigneurs. Lorsque tout changea depuis, le clergé ne changea pas; il conserva l'usage d'aider l'état par des dons gratuits. A cette ancienne coutume qu'un corps qui s'assemble souvent conserve, et qu'un corps qui ne s'assemble point perd nécessairement, se joint L'immunité, toujours réclamée par l'église, et cette maxime, que son bien est le bien des pauvres : non qu'elle prétende ne devoir rien à l'état dont elle tient tout; car le royaume, quand il a des besoins, est le premier pauvre: mais elle allegue pour elle le droit de ne donner que des secours volontaires; et Louis XIV exigea toujours ces secours de maniere à n'être pas refusé. On s'étonne dans l'Europe et en France que le clergé paie si peu; on se figure qu'il jouit du tiers du royaume. S'il possédait ce tiers, il est indubitable qu'il devrait payer le tiers des charges, ce qui se monterait, année commune, à plus de cinquante millions, indépendamment des droits sur les consommations, qu'il paie comme les autres sujets;' mais on se fait des idées vagues et des préjugés sur tout. Il est incontestable que l'église de France est de toutes les églises catholiques celle qui a le moins accumulé de richesses. Non seulement il n'y a point d'évêque qui se soit emparé, comme celui de Rome, d'une grande souveraineté, mais il n'y a point d'abbé qui jouisse des droits régaliens, conme l'abbé du Mont-Cassin, et les abbés d'Allemagne. En général les évèchés de France ne sont pas d'un revenu trop immense: ceux de Strasbourg et de Cambrai sont les plus forts; mais c'est qu'ils appartenaient originairement à l'Allemagne, et que l'église d'Allemagne était beaucoup plus riche que l'empire. Giannoue, dans son Histoire de Naples, assure que les ecclésiastiques ont les deux tiers du revenu S. DE LOUIS XIV. 3. 9 |