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La Tour Saint-Aubin, dont le plan, la description et la coupe si curieuse ont été donnés dans le Bulletin Monumental, dépasse en largeur tous les clochers connus aussi bien ceux de Chartres et de Rouen que celui de Vendôme et des grandes cathédrales. La disposition des arcs entrecroisés au-dessus de la voûte, afin d'assurer la rigidité des poutres du beffroi sur une largeur de plus de 10 mètres d'une part et de l'autre les encorbellements faisant insensiblement passer la tour du carré à l'octogone, sur lequel devait reposer l'immense flèche, qui n'a jamais été construite, donnent non moins que ses heureuses proportions et sa riche ornementation la plus haute idée du talent d'un maître de l'œuvre, au XIIe siècle. Il n'en est pas de même de la tour de l'abbaye Saint-Nicolas elle était aussi pauvre que possible, si on en juge par le dessin de Ballain; il n'en subsiste plus que la base.

Y avait-il aussi à Saint-Serge, avant le clocher terminé en 1469, une tour isolée pour les cloches de l'abbé? C'est probable, cependant aucun document ne permet de l'affirmer.

En 1451 et en 1535, après les incendies qui détruisirent le clocher de bois situé entre les deux flèches, le chapitre de la Cathédrale fut tenté, sur le conseil des architectes, de faire construire une tour séparée pour les grosses cloches, comme à la cathédrale de Bordeaux et à celle de Beauvais. Il recula devant la dépense et fut bien inspiré, puisque Jean de l'Espine trouva le moyen de loger les bourdons dans une tour, suspendue entre les deux flèches.

Forme et décoration des clochers

Jusqu'ici je me suis attaché surtout à étudier l'emplacement des clochers en Anjou; examinons maintenant rapidement leur forme et leur décoration.

Jusqu'au xve siècle la pyramide est la seule terminaison du clocher souvent à quatre faces, assez basse, en simple charpente couverte d'ardoise, à Saint-Martin d'Angers, à Villevêque, à Brion (voûte au-dessus des cloches), à Blaison, à Blou et en vingt autres localités, rarement ronde et en pierre, comme à Cuon et à Saint-Florent de Saumur (s'il faut s'en rapporter au Gallicamum Monasticon), enfin octogonale en charpente ou en pierre. Dans ce dernier cas, des lucarnes et des pinacles décorent la base de la pyramide, comme à Cunault, à Notre-Dame de Chemillé, à Saint-Eusèbe et ailleurs. La superbe flèche de Vernoil avec ses quatre clochetons de 28 pieds d'élévation a été détruite, mais un procès-verbal de 1790 permet de s'en faire une idée exacte c'était avec l'étage du beffroi existant encore un ensemble vraiment remarquable, dont il faut souhaiter le rétablissement.

Parmi les plus belles flèches de l'Anjou, citons encore celles de la Cathédrale, de Vernantes restaurées tout récemment et de Saint-Georges-Châtelaison.

La Renaissance modifia complètement le couronnement des clochers et par suite leur silhouette dans le ciel. Adieu les flèches élancées; on leur substitue des dômes et des lanternes, plus ou moins compliquées, inspirées des monuments d'Italie. Voyez les clochers de Saint-Gatien de Tours, ceux de Jean de Lespine à la Cathédrale et à la Trinité d'Angers de la même ville.

Tout à fait exceptionnellement, les paroissiens de Saint-Martin-de-la-Place firent construire en 1634 un clocher, surmonté d'une flèche en pierre. On dirait qu'ils ont eu la maligne intention de tromper les archéologues futurs, tant au premier coup d'œil ce clocher ressemble à ceux de l'époque romane. Quelques détails comme les quatre pinacles à la base de la flèche, trahissent la véritable date. On a probablement voulu tout simplement

reproduire le clocher de l'ancienne église paroissiale, que les inondations forcèrent d'abandonner.

Au XVIIe et au XVIIIe siècles, les communautés se plurent à construire des clochers en charpente, tout à jour et surmontés de dômes dans lesquels les cloches de moyenne ou petite dimension se balançaient au grand air..... véritables pourissoirs, s'il est permis d'employer ce barbarisme, dont la pluie et la neige eurent bien vite raison. Tels étaient les clochers du collège de La Flèche, des Ursulines et de l'hôpital de Château-Gontier, des Carmes, de l'Oratoire et des religieux de Toussaint, à Angers, dont les plomberies tentèrent la cupidité des révolutionnaires.

Les curés de campagne eux-mêmes eurent l'ambition de posséder un clocher en forme de dôme le dessin de celui du Louroux-Béconnais et le devis (Archives de Maine-et-Loire, série G. N° 1258, p. 744), nous montrent à quelle aberration on était arrivé en 1739. Un ancien curé de la Salle-de-Vihiers n'avait-il pas aussi imaginé vers 1840 de reproduire en bois le dôme de Saint-Pierre de Rome sur le toit de sa modeste église!

La décoration extérieure se modifia suivant les époques et la même décadence peut être constatée que celle signalée tout à l'heure dans la forme et la silhouette.

Très logiquement l'étage inférieur des clochers romans est sobre de sculpture les arcatures aveugles sont ornées de moulures sommaires et très simples. Audessus, la maçonnerie s'allégit et le clocher dominant les toitures voisines se pare de sculptures. Tout d'abord, les baies ajourées sont assez courtes et se superposent en plusieurs étages comme à Cunault et à Chemillé. Plus tard, elles s'allongent et prennent un aspect plus élégant : voyez les clochers de Blaison, Vernoil, Vernantes, Brion, Saint-Denis-de-Doué, Asnières, et ceux de la Cathédrale d'Angers. En même temps, les flèches en pierre deviennent

de plus en plus aiguës et se chargent de crochets sur leurs arêtes et de riches ornements.

La Renaissance change l'ordonnance de la décoration des clochers et y introduit une réminiscence des ordres classiques, des bas reliefs, des têtes de feuillage et des

mascarons.

Aux galeries à jour flamboyantes, placées à la naissance des flèches, elle substitue des balustres, comme aux parapets de la tour de la Trinité d'Angers; enfin, elle remplace les pyramides par des lanternes à jour et des dômes en pierre ou en charpente. Souvent de belles tours du XVIe siècle restent inachevées, maussadement couronnées de toitures bizarres comme à Beaufort, à Rochefort ou à Baugé.

En résumé, la belle époque du clocher en Anjou a été le xire et surtout le xe siècle. Il en reste malheureusement très peu de spécimens. Bien rares sont ceux, élevés de nos jours, qui présentent un aspect, une décoration et une silhouette véritablement satisfaisants: parmi les mieux réussis, je citerai celui de Saint-Georges-du-Puyde-la-Garde et celui de Morannes.

L. DE FARCY.

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