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être désuets, connus seulement de très vieilles gens, et que rougissent d'employer nos jeunes ruraux —

qui en reste tous tendant à devenir citadins!

le peu

Heureusement, par un retour dont il faut se féliciter, la ville, les citadins, reprennent pour leur compte ces vieilleries dont les ruraux ont hâte de se dépouiller.

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... Il se produit même une étrange interversion qui est bien un des signes de l'anarchie qui sévit sur notre époque. Tandis que le village renie tout ce qui constituait sa vie propre, architecture, mobi. lier, costume, objets usuels, la ville s'en empare avec avidité. Pendant, notamment, que l'ambition suprême du villageois est de dépouiller l'habit si bien adapté à la race et au pays, pour revêtir quelque confection, ou de posséder un mobilier dont le modèle court tous les bazars de la ville, le citadin se livre à la chasse effrénée de tout ce qui porte le cachet spécial d'une région ou d'une époque. Bientôt, si ce n'est déjà fait, ce n'est que dans les villes que l'on pourra trouver des épaves de la vie rurale.

« Et le citadin, non plus que le villageois ne se rend compte qu'un meuble, un bibelot, même un ustensile familier, ne possèdent toute leur valeur que comme partie d'un ensemble.

« Cette interversion se manifeste aussi vivement dans le domaine moral. Tout ce qui était traditionnel, populaire, fait pour ou par la masse, destiné à des esprits simples, devient de plus en plus le fait d'un petit nombre et d'esprits raffinés. A mesure que la «< plèbe >> se détourne de ses usages ancestraux et abandonne ses goûts, ils deviennent l'apanage d'une aristocratie cérébrale. Les légendes, les croyances, les pratiques qui remontent à l'enfance des races, et qui jouèrent le rôle « d'articles de première nécessité » — moralement parlant sont maintenant articles de luxe. » (ANSELME CHANGEUR. « LA PROTECTION DU VILLAGE. » Le Temps, 10 janvier 1911.)

Ce que font quelques-uns pour « l'architecture, le mobilier, la coutume, les objets usuels », nous avons essayé de le faire, nous, pour le vieux langage et les vieux usages de notre Anjou, dans les onze cent quinze pages de notre Glossaire. A la bonne heure; mais, m'objecteront des contradicteurs obstinés, et l'accent, cet horrible accent provincial, comment le défendrez-vous, l'illustrerez-vous ?

Déjà A. THEURIET a répondu, plus haut, à cet argument. Mais, ici encore, je laisserai la parole à l'un des plus spirituels défenseurs de « l'accent » que je con

naisse :

L'accent?... Mais c'est un peu le pays qui vous suit!
C'est un peu, cet accent, invisible bagage,

Le parler de chez soi qu'on emporte en voyage!
C'est, pour les malheureux, à l'exil obligés,

Le patois qui déteint sur les mots étrangers! (MIGUEL ZAMACOIS. LA FLEUR MERVEILLEUSE, acte II, sc. 5.)

Vous souriez, sans être désarmés. Voulez-vous l'opinion d'un diplomate, d'un homme plus sérieux du moins par destination qu'un joyeux poète comique?

<< On ferait un volume sur les travaux du port (Rosario de Santa Fé) exécutés par une Compagnie française sous la direction d'un de mes excellents compatriotes, M. FLANDROIS, originaire de mon village vendéen. Ces sortes de rencontres, à l'autre bout du monde, sont d'un charme particulier. On a navigué de longs jours et, l'imagination aidant, on se fait des prodiges de l'inconnu. Après des péripéties, la toile se lève, et le premier visage qui se présente, la première voix qui se fait entendre, évoque le pays natal. Des noms, des images, des souvenirs surgissent pour retentir au plus profond de l'âme en émotions inattendues. Fallait-il donc venir si loin pour se retrouver soudainement tout près de la terre dont aucun voyage ne peut détacher? Jusque dans les montagnes du Brésil, n'ai-je pas rencontré une aimable Vendéenne avec ce bel « accent » de langue d'oil dont s'imprègne le verbe de notre RABELAIS? (NOTES DE VOYAGE EN ARGENTINE ET AU BRÉSIL. par G. CLÉMENCEAU. Illustration du 1er avril 1911, p. 249.)

Une dernière observation.

« Pourquoi donc notre pauvre langue vulgaire, qui avait donné de si belles promesses dans le ROMAN DE LA ROSE, au lieu de s'épanouir dans des œuvres maîtresses, comme l'italien, n'avait-elle produit depuis lors que des fleurs pâles, maladives, dégénérées? Parce que nos savants la dédaignaient et continuaient de penser et d'écrire en latin, et que nos rimeurs, au lieu de prendre la jeune poésie par la main, et de la conduire sur les hauteurs où l'air et

l'esprit sont plus purs, l'avaient promenée dans les bouges, comme maître François Villon, ou sur les coteaux de Meudon, comme maître Clément Marot et ceux de son école... (L. SÉCHÉ. NOTES ET COMMENTAIRE sur J. DU BELLAY, p. 72.)

Me voici arrivé au point où je dois appuyer de preuves toutes les affirmations que je viens d'avancer, et ne voyez point là une vaine figure de rhétorique je me sens pris d'une véritable inquiétude. Je me demande si l'on ne m'applique pas le vers de mon cher Horace :

Quid dignum tanto feret hic promissor hiatu?...

« Défendre et illustrer le patois angevin!... Assurément ce serait déjà « un honneur de l'avoir entrepris »>; j'espère mieux encore, gagner une cause si bien préparée par les excellents avocats dont j'ai invoqué l'autorité.

LE FOND DU PATOIS ANGEVIN EST FORMÉ
DE VIEUX MOTS FRANÇAIS, AUJOURD'HUI DÉSUETS

Dans une lettre, aussi aimable que généreuse, écrite par M. RENÉ BAZIN, à M. le Président du Conseil général de Maine-et-Loire pour recommander notre Glossaire à sa bienveillante sollicitude, notre illustre et bien sympathique compatriote s'exprimait ainsi :

« ... Je dis « langue populaire », car il suffit de lire quelques colonnes du Glossaire pour voir qu'on n'y trouve pas seulement des mots français mal prononcés, mal orthographiés ou détournés de leur sens, mais encore et surtout une abondance de vocables de la vieille langue française, combinés à l'angevine, mais autheniques, de filiation certaine, ainsi qu'en témoignent les innombrables citations que les auteurs ont empruntées aux maîtres écrivains des siècles passés.

«Ne craignez donc pas, Messieurs, de marquer votre intérêt à un ouvrage qui traite du patois rural. Comme je viens de le dire, ces prétendus patois ne sont souvent qu'une langue pure qui a

cessé de plaire. Et le jour viendra peut-être où nos arrière-neveux auront besoin de nouveaux VERRIER et ONILLON pour comprendre, dans le détail, les délibérations que vous rédigez, et la lettre que j'ai l'honneur de vous écrire. »

Je n'ai pu résister au plaisir de citer ces lignes qui, d'abord, viennent corroborer mes affirmations, et où l'on ne sait ce que l'on doit le plus admirer, l'esprit ou le cœur de celui qui les écrivit.

Je retrouve, dans le patois angevin, près de 1.000 mots employés par nos vieux auteurs, et désormais désuets et dialectaux, depuis la CHANSON DE ROLAND, jusqu'à la fin du xvire siècle, où je m'arrête. Je suis donc obligé d'opérer une sélection. Je dois même à mon grand regret !— éliminer des articles du Glossaire tout ce qui ne servirait pas directement à la soutenance de ma thèse, en priant les lecteurs que pourraient intéresser ces extraits, de vouloir bien se reporter à notre œuvre.

Abrier. Abriter, couvrir.

Bien le saichiez, chrestiens fidèles,

Qui la donra

Charité soubs ses grands aëles
L'abryera.

(Ms. 16. Cité par DOTTIN. GLOSS. DES PATOIS DU BAS-MAINE.)

« Je leur donne loy de me commander de m'abrier chaudement. » (MONTAIGNE, ESSAIS.)

« Si se tapirent et abrierent eulx et leurs chevaulx, dessobz chênes et grans arbres. >> (FROISSARD.)

Acaignarder. S'accoutumer à une vie oisive. C'est proprement, mener la vie fainéante d'un chien.

<< Jamais en nulle saison

Ne cagnarde en ta maison,

Voy les terres estrangères. >>

(RONSARD.)

« Vous avez secouru des personnes qui étoient dans les rues ou accagnardées près du feu: je vous demande l'aumône pour des

personnes qui ont servi. » (Lettre de HENRI IV au Parlement de Paris.)

Le mot Contrehâtier désigne une sorte de grands chenets de cuisine. De là, RABELAIS (III, 25) appelle : fol contrehastier un homme qui s'acagnardit auprès du feu, qui est toujours près des contrehâtiers. (LA CURNE.)

Accomparer. Comparer.

Accoubler. Accoupler.

Excepté le poulce et le doigt indice, desquels il accoubla mollement les deux ongles ensemble. » (RAB., PANT., 20 et passim.).

Accourser. S'accourser, s'habituer, s'abonner, avoir un traité pour une fourniture.

« Ledit exposant étoit mieux accoursez, c'est assavoir mieux achalandez. » (D. C. vo Accursus.) Le marchand accoursé est celui chez lequel il y a accours, ou affluence de clients. On trouve dans RAB., II, 2, Accoursiers, au sens de marchands, chalands.

Achener. Acharner.

:

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« Il est aussi achené contre lui comme un ors. » (XIVo.) «En ce temps estoient les Arminaz (Armagnacs) plus achenez à cruaulté que oncques mais. » (1420.) Dans GODEFROY.

Aclasser. Tomber de lassitude, être fourbu, éreinté, exténué.

<< Celle se coche qui fu lasse Après son duel un pot s'aclasse.

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(ATHIS. Cité par L. C.)

« Et les déchace et les conciut (poursuit),

Cum funt li chien le cerf alasse

Qui del tut estanche e aclasse

Et cel qu'il prent oscit maneis. » (D. C.)

Adent. Courbé, penché vers la terre.

« L'un gist sur l'altre e envers e adenz. »

(CH. DE ROLAND, 1624.

<< Toutes les fois que le roy Sapor montait à cheval, l'empereur Valérian se metoit adens sur les piedz et mains, et le roy Sapor montait sur son dos et de là montoit sur son cheval. »> (BOUCHARD, CHRON. DE BRET.

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GODEFROY.)

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