mentation, un art par l'élégance de la forme et le charme du récit, auquel chacun de nous s'est bientôt laissé prendre. Pour me rassurer, je me dis que les ordonnances des rois de France, d'où j'ai extrait le peu de choses intéressantes que j'ai à vous dire, sont cataloguées, à la bibliothèque d'Angers, à la Jurisprudence, où je me sens un peu chez moi; et que, d'autre part, si je fais de l'histoire comme M. Jourdain faisait de la prose, un savant et un artiste, vraiment digne du beau nom d'historien, me sera plus indulgent qu'un primaire. Parmi mes confrères, il y en a au moins deux dont j'escompte, sans crainte de me tromper, la bienveillance spéciale; ce sont les deux rapporteurs, celui des prix de vertu, mon vieux camarade du Lycée d'Angers, Germain Dufour, et celui de la poésie, M. Verrier, notre vieux maître à tous les deux, qui, il y a plus de 40 ans, savait déjà nous inspirer l'amour de la poésie... et aussi celui de la vertu. Ainsi rassuré, j'aborde avec vous, en toute simplicité, l'étude de quelques dispositions législatives de l'ancien régime qui tendaient à réprimer le luxe : luxe des habits, de la table, des carosses, de la livrée, etc... Il est d'abord assez curieux de noter que, si la plupart des textes en vigueur sous l'ancienne monarchie n'ont fait qu'être adaptés, grâce à des modifications plus ou moins profondes, aux conditions de vie de la société moderne, la partie de la législation dont nous parlons ce soir, et qu'on appelle les lois somptuaires, a complètement disparu. On s'occupait déjà sous Louis XIV et bien auparavant quoiqu'on fasse croire le contraire à la plupart des Français de l'assistance aux vieillards et de la police des logements garnis; de l'engagement dans la flotte des pupilles des hospices et de la surveillance des nourrices; de l'assistance par le travail et du droit des pauvres sur le produit des spectacles, de la répression du vagabondage et de la réglementation des débits de boissons; des mesures prophylactiques contre les maladies contagieuses, de l'administration des hôpitaux, etc... Il faut être ignorant comme un maître d'école, pour croire que ces lois, dites sociales, n'ont pas fait l'objet de la préoccupation de tous les gouvernements civilisés. Mais on s'occupait aussi, sous l'ancien régime et de cela les gouvernements modernes n'ont plus aucun souci d'empêcher les citoyens d'afficher, dans leur toilette ou leurs menus, un luxe plus ou moins insolent, et de se ruiner par un train de maison hors de proportion avec leur fortune. Ce serait toutefois une erreur de croire que les lois somptuaires aient eu, dans l'ancienne France, pour but principal de sauvegarder les citoyens contre les entraînements de prodigalités déraisonnables. Si, en effet, quelques ordonnances paraissent procéder de cet esprit de protection domestique, qui fait donner par certains pères de familles des conseils judiciaires à leurs fils, l'ensemble de la législation sur cette matière paraît inspirée par des considérations très diverses. La plupart des ordonnances du XIe au XVIe siècle semblent avoir surtout visé à maintenir entre les diverses classes sociales une hiérarchie réputée en ce temps-là nécessaire. C'est ainsi que, d'après une ordonnance de Philippe-le-Bel, de 1294, « sur les suparfluitez »>, les bourgeois ne pouvaient porter ni vair, ni (petit) gris, ni hermines, ni pierres précieusse, or ou argent; les ducs, les comtes et les barons pouvaient avoir quatre robes par an; les chevaliers trois robes, les prélats deux, les écuyers deux, les garçons une seule. Les damoiselles ne devaient avoir qu'une paire de robes, à moins qu'elles ne fussent châte laines, ou qu'elles n'aient 2.000 écus de terre. Un édit de 1485 défendait à tous autres qu'aux nobles de porter des draps d'or ou de soie. Les chevaliers, ayant 2.000 livres de revenu, pouvaient porter tous draps de soie, de quelque étoffe qu'ils soient. Les écuyers, ayant le même revenu, pouvaient porter des draps de damas et satin figuré, mais non de velours, etc... Certaines catégories de personnes, dont le luxe avait une origine suspecte, ou dont un enrichissement trop rapide aurait pu éveiller les susceptibilités des contribuables, avaient donné lieu à un édit spécial, du 8 juin 1532, dit «< contre le luxe des financiers » : ils ne peuvent, non plus que leurs femmes et leurs enfants, porter draps de soie, ni fourrures de martre zibeline ou autre, ni chaîne d'or pesant plus de dix écus, ni bagues et pierres d'une valeur de plus de 30 écus. Mais en approchant du xvIIe siècle, auquel, pour prendre une époque moyenne, nous avons voulu limiter ce travail, les ordonnances somptuaires perdent peu à peu ce caractère de règlement sur la tenue imposée aux sujets d'après leur catégorie sociale. Ces catégories deviennent d'ailleurs de moins en moins tranchées. Pour s'en convaincre, il suffit de rappeler les centaines de lettres de noblesse délivrées, moyennant finances, par Louis XIV à des roturiers, souvent plus remarquables par leur fortune que par les services rendus. à l'État : « Quand un homme est riche il vaut toujours son prix, « Et l'eût-on vu porter la mandille à Paris, « N'eût-il, de son vrai nom, ni titre ni mémoire, « D'Hozier lui trouvera cent aïeux dans l'histoire (1). » «Sosie, dit La Bruyère, de la livrée a passé, par une petite recette, à une sous-ferme, et par les concussions... (1) Boileau. Sat. V. il s'est élevé à quelque grade; devenu noble par une charge, il ne lui manquait que d'être homme de bien : une place de marguillier fait ce prodige. »« La domesticité, à cette époque, introduit un fils de paysan ou d'artisan dans la familiarité d'un homme en place; si le maître est puissant, si le valet est délié, la fortune de celui-ci est faite, il est lancé, il est appuyé, il réussit et il arrive (1). » Mais voici qui fait plus d'honneur au XVIIe siècle, c'est l'ordonnance de décembre 1701, dans laquelle Louis XIV exalte le grand commerce comme un des principaux facteurs de la prospérité nationale : << Louis, etc. L'attention que nous avons toujours eue pour faire fleurir le commerce dans notre royaume, nous ayant fait connaître l'avantage que l'État retire de l'application de ceux de nos sujets qui se sont attachés avec honneur au négoce, nous avons toujours regardé le commerce en gros comme une profession honorable, et qui n'oblige à rien qui ne puisse raisonnablement compatir avec la noblesse; ce qui nous a même porté plusieurs fois à accorder des lettres d'anoblissement en faveur de quelques-uns des principaux négociants, pour leur témoigner l'estime que nous faisons de ceux qui se distinguent dans cette profession. Nous avons cependant été informés que grand nombre de ceux de nos sujets qui sont nobles d'extraction ou qui le deviennent par les charges et offices qu'ils acquièrent, ainsi que ceux que nous anoblissons par grâce, font difficulté d'entreprendre, de faire ou de continuer aucun commerce, même en gros, (autre que celui de mer, que nous avons déjà déclaré ne point déroger à la noblesse), par la crainte de préjudicier à celle qui leur est acquise; et voulant exciter tous ceux de nos sujets, nobles et autres, qui peuvent avoir (1) A. Babeau Les artisans et les domestiques d'autrefois. de l'inclination ou du talent pour le commerce, à s'y adonner, et engager ceux qui ont embrassé cette profession à y demeurer et à y élever leurs enfants, nous avons cru ne pouvoir rien faire de plus convenable que de marquer au public le cas que nous avons toujours fait des bons négociants, qui par leurs soins et leur travail attirent de toutes parts les richesses, et maintiennent l'abondance dans nos états.... >> Même à cette époque, le xvIIe siècle, où la tenue des gens varie plus avec leur fortune qu'avec leur condition sociale, où l'éclat des fêtes, l'élégance des manières, l'amour des plaisirs brillants, auraient dû, semble-t-il, laisser se rouiller un peu l'arsenal des vieilles lois somptuaires, nous voyons les pouvoirs publics prohiber certaines dépenses; et il en sera ainsi jusqu'à une époque presque voisine de nos arrière grands-pères. Parlons d'abord des ordonnances relatives à la toilette, ou, comme l'on disait alors : « sur le luxe des habits. >> Très nombreuses d'abord sont les ordonnances ou déclarations prohibant l'usage des draps d'or et d'argent. Je donne seulement lecture de la déclaration du 31 mai 1644, qui énumère les considérations diverses desquelles s'inspiraient plus ou moins toutes les dispositions analogues désir de protéger les fortunes privées contre des prodigalités ruineuses; de maintenir à leur destination. monétaire, réputée exclusive, les matières d'or et d'argent et de les empêcher de sortir du royaume; croyance, aujourd'hui abandonnée, que les dépenses de luxe sont faites au préjudice des dépenses nécessaires; protection du travail national; louable intention d'empêcher un luxe insolent de provoquer des jalousies de classe : << Comme il n'y a pas de cause plus certaine de la ruine d'un État que l'excès d'un luxe déréglé qui, par la |