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Si une terre ne devrait rappeler que le nom de ceux qui l'habitèrent le plus longtemps, ce n'est pas celui de Joachim du Bellay que rappellerait le village de Liré ou le château de la Turmelière, mais bien plutôt celui des ancêtres du poète, les d'Avoir, les de l'Isle-Bouchard, les Chabot, ou celui de ses neveux, les du Breil et les La Bourdonnaye. Liré ne fut guère entre les mains des du Bellay que l'espace d'un demi-siècle, de 1504 à 1562. Cependant la seule gloire qu'il évoque, le seul nom dont il se pare, c'est celui du poète qui l'a immortalisé dans un mélancolique sonnet que rediront à jamais les amis de la belle poésie, tant qu'il y aura des lettres en France.

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy la qui conquit la toison,

Et puis est retourné plein d'usage et de raison
Vivre entre ses parents le reste de son aage!

Quand revoiray-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Revoiray-je le clos de ma pauvre maison,

Qui m'est une province et beaucoup d'avantage?

Plus me plaist le séjour qu'ont basty mes ayeux,
Que des palais Romains le front audacieux :
Plus que le marbre dur me plaist l'ardoise fine,

Plus mon Loyre Gaulois que le Tybre Latin,
Plus mon petit Lyré que le mon Palatin
Et plus que l'air marin la doulceur Angevine.

De par la force de la poésie, les vieux noms qui ont fait l'honneur de la féodalité française, en Anjou, en Touraine, en Poitou, se sont effacés devant celui du jeune gentilhomme qui, né sur la colline de Liré, l'a trouvée plus douce à ses yeux que le mont Palatin et l'a célébrée dans le délicieux sonnet que nous venons de citer.

Pour bien connaître le poète qu'un latiniste du xvie siècle appela le prince des élégances et que ses contemporains aimèrent avec une prédilection d'enfant gâté, il importe de faire connaître ses parents et le pays qu'il habita. Dans son pays, sur le sol natal, plus encore que dans la fréquentation des poètes grecs, latins ou italiens, il trouva les véritables sources de son inspiration. La meilleure part de son œuvre a trait à sa vie privée, à ses amitiés, à ses malheurs, aux événements de son existence agitée, inquiète et souffrante. C'est parmi les siens. qu'il a trouvé les objets de ses chants tristes ou joyeux, comme aussi dans son esprit de famille l'inspiration de ses principaux ouvrages l'Olive et les Regrets. C'est pourquoi nous nous efforcerons dans cette étude de faire connaître cette terre de Liré qu'il a tant aimée, ses parents, ses amis, ses ennemis.

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CHAPITRE PREMIER

Les Parents du Poète

Clara progenie et domo vetusta

Epitaphe du poète.

I. - LE

ANCÊTRES PATERNELS: LES DU BELLAY

DE GIZEUX ET LES BEAUMONT DU PLESSIS-MACÉ

On a cherché à faire du père de Joachim du Bellay un demi-breton. La vérité est toute autre. Quand Jean du Bellay vint s'établir à Liré, il n'y possédait pas un pouce de terrain, il était étranger au pays, il n'avait dans la Bretagne que de très lointains parents: c'était un pur Angevin. Né au château du Bellay, près Saumur, ou plus probablement à celui de Gizeux, séjour préféré de son père (1), il appartenait à une race belliqueuse, célèbre dans les annales françaises depuis Hugues Capet, nous disent deux de ses panégyristes, Salmon Macrin (2) et Sainte Marthe (3), non seulement par ses luttes contre les Anglais, mais encore par ses exploits contre les Bretons.

(1) Son frère Louis du Bellay, archidiacre de Paris, est dit « clericus Malleacensis », clerc du diocèse de Maillezay, c'est qu'évidemment il était né à la Forêt-sur-Sèvre, lieu d'origine de sa mère Catherine de Beaumont. (Arch. Nat. LL. 241, fol. 223.)

(2) Bellaii, proavis edite martiis

Quorum gloria erit clara perenniter

Per fastos memores atque diaria

Francorum, a Capeto tempus ad hoc duce.

Salmonii Macrinii Juliodunensis Hymorum libri sex. Parisiis. R. Stephanus, 1537, p. 3-4.

(3) Sainte Marthe. Elogia, 1598, p. 12.

Il était le troisième fils et probablement le cinquième enfant d'Eustache du Bellay, chambellan du roi René d'Anjou, chevalier de l'ordre du Croissant et de Catherine de Beaumont, de la Forêt-sur-Sèvre, en Poitou (1). Demeuré veuf après seize ans de mariage, Eustache du Bellay se fit prêtre dès 1478 : il abandonna sans difficulté nombre de biens à ses frères cadets: Louis du Bellay, seigneur de Leangey, d'Ambrières, de Lavenay, afin de lui permettre de faire son chemin dans le monde; Jean, seigneur de la Flotte, qui se distingua surtout dans les guerres des Français contre la Bretagne. Pour lui, exempt d'ambition, il se retira dans la solitude de son château de Gizeux, situé au milieu de bois et de marais, sur la rive droite du Changeaux, à la limite de l'Anjou et de la Touraine, pour y pleurer son épouse et penser au salut de son âme. Seul l'amour de son père et de sa mère (1),

(1) Eustache du Bellay épousa par contrat passé à la Forêt-surSèvre, le 14 avril 1461, Catherine de Beaumont, fille de Louis de Beaumont, seigneur de la Forêt-sur-Sèvre, du Plessis-Macé, de Commequiers et de Jeanne Jousseaume. Qu'on nous permette d'indiquer ici les témoins de ce mariage tels que les a cités Trincant: ils aident à connaître la situation des du Bellay dans la noblesse angevine et poitevine: R. P. en Dieu Jean du Bellay, évêque de Fréjus, puis de Poitiers, à la fin de la même année et abbé de SaintFlorent de Saumur; Louis du Bellay, évêque de Maillezay; Jean Aménard, seigneur du Pallet (Loire-Inférieure); Jean d'Angennes, chevalier, seigneur de Rambouillet; Gilles de Maillé, seigneur de Brezé; Jean de Chourses, seigneur de Vallon; Jean Chabot, écuyer, seigneur de Liré; Pierre Chevalier; Fr. Vaudigny, seigneur dudit lieu; Jean Aménard, seigneur du Mesnil-Hardouin; Guy de la Forest, chevalier; Hugues Payen, lieutenant de Saumur.

Trincant, fol. 215-216.

(2) Par ses soins, Jean du Bellay et Jeanne de Logé furent inhumés, en la chapelle Notre-Dame, dans l'église de l'abbaye du Louroux. Ils furent représentés gisants sur leur tombeau autour duquel leurs armes furent gravées et représentées ainsi que dans les vitraux de la chapelle. Celles de Jean du Bellay étaient soutenues d'un grand croissant avec cette inscription : « Lors en crois

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