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beneïst, où la présence de la voyelle i suffit. Quelle monotonie !

On a bien tenté d'introduire ce système de longues et de brèves dans notre poésie française; cela peut réussir pour quelques vers isolés.

Le ciel n'est pas plus pur que le fond de mon cœur.

Mais notre langue ne se prêterait pas à cette prosodie, et l'essai n'a pas réussi.

Puis, Monsieur, rappelez-vous que la rime n'a jamais gêné un vrai poète, comme Molière, quoique l'ait affirmé Fénelon. BOILEAU lui demandait :

Dans les combats d'esprit, savant maître d'escrime,
Enseigne-moi, Molière, où tu trouves la rime.

Pour lui, il trouvait, et encore difficilement :

...au coin d'un bois le mot qui l'avait fui.

Croyez-en les conseils courtois et paternels de vos aînés, que leur âge ne rend pas forcément rétrogrades; ayez, Monsieur, comme eux, le culte de la rime riche. Cela ne vous coûtera pas un grand effort, et vous seriez, d'ailleurs, magnifiquement récompensé de vos peines.

Notre Commission fut émue également en apprenant que dans un numéro récent de La Revue de l'Anjou, vous aviez employé et presque glorifié les vers de

quatorze pieds

Les autres m'ont ordonné de prêcher tout l'univers :
Moi, j'abandonne aux pervers

La Morale et la Métrique...

Des vers de quatorze pieds, craindrais-tu qu'on s'en moquât? Nous, poètes, n'avons qu'à

Choisir, comme je préfère.

Nous n'avions pas à juger cette pièce, qui ne figure pas dans votre envoi, mais, tout de même, nous étions

inquiets. Une « interview » me rassura. Vous m'avez gentiment avoué qu'il ne fallait voir là qu'une « bravade juvénile ». A la bonne heure! Notre vieillesse n'est ni morose, ni chagrine, et, si je l'osais, j'avouerais que je regrette parfois l'âge où l'on commet ces écarts. Ici je parle pour moi.

Vous m'avez d'ailleurs communiqué un numéro de la Revue, où se trouve une autre pièce de vers, intitulée : VERS LIBRES Poetis minoribus aux Poètes inférieurs qui est bien l'une des plus jolies, des plus spirituelles, des plus verveuses satires dont on puisse cingler les verslibristes, les pointillistes, les cubistes, et autres fumistes en poésie que j'aie jamais lues. Allez donc, et ne péchez plus.

Quand la borne est franchie, il n'est plus de limite

disait le poète Belmontet (sauf erreur). On se moqua fort de ce vers, un peu pompeux, je l'avoue, ou même pompier, mais, à mon gré, plein de sens; je me chargerais de le défendre, comme idée, et même comme expression. De 12 pieds, on passe à 14, puis à 17, pourquoi pas à 21?

Non, je n'ai pas trouvé ce vers si ridicule,

conclurait l'auteur du Petit Épicier de Montrouge.

VERLAINE, on ne peut le nier, fut un grand poète; mais s'il avait présenté à ce concours ces vers de 17 pieds, la Commission l'eût, sans doute, couvert de fleurs, d'abord, comme l'eût fait Platon, puis blacboulé impitoyablement.

Cette nouvelle École, que n'écrit-elle en prose, en belle prose?

« Légers vaisseaux de l'Ausonie, fendez la mer calme et brillante! Esclave de Neptune, abandonnez la voile au souffle amoureux

des vents. Courbez-vous sous la rame agile. Reportez-moi, sous la garde de mon époux et de mon père, aux rives fortunées du Pamisus.

Volez, oiseaux de Lybie, dont le cou flexible se courbe avec grâce au sommet de l'Ithome, et dites que la fille d'Homère va revoir les lauriers de la Messénie ». (Les Martyrs, livre XXIII.)

Ainsi, dans sa prison, la jeune Cymodocée soupirait ces paroles harmonieuses, plus que bien des poésies que j'ai lues; mais la dernière strophe a 45 pieds, et ce n'est pas de la poésie.

Gardons-nous de tout bouleverser, de détruire sans rien mettre de mieux à la place.

Mais peut-être, Monsieur, serez-vous tenté de nous récuser pour cause de suspicion légitime, alléguant que les membres de la Commission ne sont pas « dans le mouvement »>, mais «< vieux jeu », fanatiques partisans des vieilles règles et récalcitrants aux dernières évolutions qui ont renouvelé tant la forme que le fond de notre poésie.

Nous nous couvrirons donc de l'autorité de plus jeunes critiques, et nous citerons le passage suivant, extrait de « La Renaissance contemporaine », rédacteur en chef M. Robert Veyssié (un compatriote, et, encore, un de mes anciens élèves).

... En 1885, il advint que, fatigués de la pompe du Parnassisme, des draperies somptueuses du romantisme, de la sécheresse du réalisme, les jeunes poètes furent amenés à exprimer les sensations, les rêves, les pensées d'une génération pour qui le mystère avait arboré toutes ses séductions.

En elle, vivait un besoin d'analyse, de dissection, en même temps qu'un vif besoin d'espérer et de croire, car seule une psychologie simpliste peut opposer en une antithèse le scepticisme à la foi. L'homme est infiniment plus complexe. Les affirmations de Pascal sont souvent les cris de désespoir d'une âme désireuse de se suggestionner, et tel railleur ne nie que par le besoin de croire. Les symbolistes participèrent, je pense, de cette double tendance. La volupté intellectuelle qu'ils goûtèrent à être inquiets suscita, chez eux, la culture intensive des nuances.

Pour les exprimer, la langue sonore de Hugo ne convenait pas plus que la langue sévère de Vigny. A chaque état particulier de l'âme convient une forme particulière d'expression, et l'outil varie avec la tâche; modifier l'outil, l'adapter au genre d'effort qu'on attendait de lui, tel fut l'objectif de la génération poétique dont je parle. De là cette ardeur à briser les règles et à innover, qui lui fit perdre toute mesure.

Jusque-là pensaient ces jeunes gens qui oubliaient qu'un nommé Racine avait vécu il ne s'agissait que de rendre une idée par l'image, une impression par un relief, une vision par un trait. Eux nés à la vie de l'esprit, il s'agissait de représenter le reflet d'une idée plus que l'idée elle-même, et d'animer dans l'âme du lecteur non ce qui y vit déjà, mais ce qui y sommeille. Le symbolisme prétendait être, en somme, le Prince charmant de la Poésie française.

Rôle délicat, et qui réclame un doigté infini. Au lieu de graver, de tailler ou de peindre, on va indiquer, au lieu d'imposer, on va suggérer. Fi de la vigueur qui précise. Remplacez-la par une sorte de nonchalance qui flottera sur la page pareille à ces nuées légères qui, à l'aube, s'étirent entre la terre et le ciel. La rime à la fin du vers sonnait en fanfare. L'assonnance va remplacer ce son trop brutal par une broderie de harpe. Le mètre alexandrin enferme la pensée dans un cadre par trop géométrique. Qu'à cela ne tienne, on le brisera. Le hiatus acquerra une mobilité infinie, sautillera au long des poèmes comme un moineau dans un jardin. Quant aux mots, ils seront choisis moins pour leur valeur propre que pour celle qu'ils acquerront au contact d'autres mots, ce sera le triomphe du voisinage. Enfin les contours se fondront, les reliefs disparaîtront et bientôt le cabinet de travail des symbolistes ne sera plus éclairé que par une triste veilleuse, comme une chambre de malade.

Depuis lors, les années ont sombré une à une dans les précipices du passé. Le groupe symboliste qui, en vertu des tendances de ses membres à l'individualisme, ne pouvait demeurer cohérent, s'est dispersé. MM. Gustave Kahn, Viele-Grifin, Laforgue, Mallarmé partaient en exploration dans des pays inconnus, à la recherche d'un vers assez désarticulé pour rendre sensible l'Inconscient. Quelques-uns, ayant oublié que la plus parfaite liberté ne se mesure point à la licence, mais au contraire à sa faculté de se discipliner volontairement, ne sont jamais revenus. D'autres sont morts après avoir gâché des dons inestimables, ou sont devenus des théoriciens impuissants. D'autres enfin je pense à Jean Moréas, je pense à Henri de Régnier — ont franchi le cap dangereux où tant de jeunes cerveaux sombrèrent et, pénétrant d'un pas toujours plus ferme dans une vie féconde et haute, ils ont reconnu la puis

sance incomparable des libres disciplines et que tout effort d'art comme tout effort social ne vaut que par ce qu'il renferme d'aptitude à l'ordre et à l'organisation. » (Martin-Mamy, no du 10 décembre 1912, pages 998-9.)

D'ailleurs, si les quelques libertés que vous avez cru devoir prendre avec les anciennes règles sont repréhensibles, elles sont si bien rachetées par tant et de si éminentes qualités, que notre sévérité a été désarmée.

Après un de ces derniers concerts qui sont la gloire de notre cité, où un illustre pianiste avait excité l'enthousiasme de l'auditoire, un de nos meilleurs artistes disait : <«< Au moins en voilà un qui fait des fausses notes ! »

Oui, peut-être, il lui échappa quelques notes fausses. Mais que d'âme dans cette virtuosité! et qu'il importe peu que dans l'égrènement de toutes ces perles dont je parlais plus haut, l'une d'entre elles s'échappe, ne fasse pas résonner la coupe d'or et roule sur le sol !

Le vase de très pur cristal, qui recèle en ses flancs, tel un Saint-Graal, les doux et suaves parfums de notre poésie, fut, en ces derniers temps, exposé au rude contact de mains lourdes et barbares :

Et la brutale meurtrissure

Mordant le cristal chaque jour,
D'une marche invisible et sûre
En a fait lentement le tour...
N'y portez pas, même légère,
Votre main, étouffez vos pas;
Son apparence est mensongère...
Il est brisé..., n'y touchez pas !...

Je vais lire, Monsieur, quelques-unes de vos poésies, parmi les quinze ou vingt que j'avais particulièrement remarquées et marquées :

IMITÉ DE L'ALLEMAND

Je veux toujours aimer sans jamais le lui dire
Celle qui, chaste et belle, a pris mon jeune cœur;

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