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ne pouvait être au foyer du seigneur de Liré qu'une cause d'inquiétudes et de dramatiques aventures.

René rencontra sa femme près de la sœur de celle-ci chez Jeanne de Malestroit, femme de Joachim de la Roche, seigneur du Ponceau, à six kilomètres au sud de la Turmelière. Il s'éprit d'elle sans prévoir les malheurs dans lesquels cette union allait l'entraîner. Il assit son douaire sur la seigneurie de Gonnord (1).

Madeleine de Malestroit avait la nostalgie de la maison où elle était née. Oudon confisqué par le roi, puis vendu par lui à un Bas-Breton, Raoul du Juch, était l'objet des regrets de tous les Malestroit: de Julien, d'abord, qui commit les pires violences pour rentrer en sa possession; de Mme du Ponceau, de Mme de Liré, ensuite, qui, capables de s'entendre pour enlever à leur frère l'héritage paternel (2), étaient destinées à se brouiller mortellement,

(1) Deux enfants au moins naquirent de ce mariage: 1o Jean, né en 1531, dont Jehan Guilloteau, recteur de Drain, nous a conservé le souvenir en ces termes : « Nota que le vendredy 1578, au << cabinet de la Turmelière, trouvé en ung vieil escript ô la plume « comme fut baptisé Jehan, fils de René du Bellay et de Madeleine << de Malestroit, le 20 août 1531, et cela Guilloteau. » 2o Claude, mort à 22 ans, à Paris, dans la nuit de Noël 1562, d'après le même Guilloteau. Je ne vois pas sur quoi M. Séché s'appuie pour dire que Jean du Bellay fut baptisé à Drain en 1531. Jean Guilloteau ne le dit en aucune manière.

(2) De 1531 à 1537, la chose est pour nous indiscutable, les dames du Ponceau et de Liré, ainsi que leurs maris furent unies dans une haine commune contre Julien de Malestroit. Celui-ci faisait une véritable guerre à ses deux beaux-frères. Il employait contre eux un aventurier nommé Boisgency. Celui-ci tua même, dans le voisinage de la Turmelière, un serviteur de René du Bellay et de Joachim de la Roche, nommé Jehannot. Accompagné d'un certain nombre d'amis et de serviteurs, René du Bellay tenta, quelques jours après Pâques 1532, de s'emparer de Boisgency. Au cours de cette tentative, Boisgency trouva la mort à Ancenis près du Couvent des Cordeliers, sous les yeux mêmes de Julien de Malestroit. Poursuivi par les officiers de la Châtellenie d'Ancenis, René du Bellay obtint du roi François Ier des lettres de rémission

lorsque l'une d'elles parviendrait à se l'approprier. C'est en pleine connaissance de cause que Joachim a écrit dans l'Olive le sonnet CIe, description magnifique des effets de la cupidité :

O que l'enfer étroitement enserre

Cet ennemy du doulx repos humain,
De qui premier la sacrilège main
Arracha l'or du ventre de la terre !

Cestuy vraiment mena premier la guerre
Contre le ciel ce fier, cet inhumain
Tua son père et son frère germain
Et fut puni justement du tonnerre!

O peste ! ô monstre ! ô Dieu des maléfices I
Par toy premier la cohorte des vices
Sortit du creux de la nuit plus profonde.

Par toy encor' s'en revola d'icy

L'antique foy, et la justice aussy

Avec l'Amour, l'autre soleil du monde.

Mieux que personne Joachim sut à quels excès peut conduire la soif maudite de l'or!

Madeleine de Malestroit alluma dans l'esprit de son mari le désir d'acheter pour eux et leurs enfants la magnifique terre d'Oudon. Elle lui fit vendre dans ce but la seigneurie de Gonnord (1) à son cousin René de Cossé-Bris

datées de Vannes, le 26 juillet 1532, quelques jours après le départ de Guillaume du Bellay-Langey pour son ambassade en Angleterre. Nous avons l'intention de publier intégralement ce document fort curieux que nous avons trouvé tout récemment. Il éclaire d'une façon très vive les relations de famille de René du Bellay.

(1) La vente de Gonnord est du 26 juin 1532. Cette terre fut cédée pour 23.000 1. à René de Cossé. A ce propos, le factum 22402, p. 11, dit que « R. du Bellay vendit Gonnord qui lui appartenait « en propre, afin d'acheter Oudon et de payer les procès suscités « par Julien. Sa femme Madeleine de Malestroit déclara consentir « et accorda que tout ce qui pourrait provenir des deniers de lad.

sac, gouverneur des enfants de France. Mais tant que vécut son beau-frère Joachim de la Roche, M. de Liré n'osa accéder aux désirs de sa femme. Il éloigna quelque temps son attention d'Oudon pour la reporter sur d'autres points. Nous le trouvons en 1534, à Rocheservière (1) sur la limite du Poitou et de la Bretagne; pendant six mois il porte le nom de seigneur de Rocheservière. Les Volvire venaient de vendre cette antique châtelennie à l'évêque de Nantes, François Hamon du Bouvet qui l'avait fait acquérir pour son neveu. Évidemment, René du Bellay, en élevant ses prétentions sur Rocheservière, voulait rentrer en possession d'un fief qui avait été pendant des siècles le principal domaine de ses ancêtres maternels, si bien que son grand père, Christophe Chabot (2) en prenait

« terre de Gonnord tournerait au profit dud. René du Bellay, « son mari et des siens sans qu'elle et les siens y peussent rien << demander, fors son douaire seulement, comme elle férait sur « les autres héritages appartenant à son mari. » Cette dernière transaction est postérieure à 1532, et doit être placée vers 1539, date de la vente définitive de Gonnord.

(1) En juin 1532, René du Bellay fit à Jean Hamon du Bouvet, acquéreur de Rocheservière, une première offre de retrait lignager de la terre de Rocheservière. Jean Hamon refusa. René du Bellay appuyait sa demande sur les descendants de sa mère, Renée Chabot de Liré, dont les ancêtres étaient issus des Chabot de Rocheservière. Il fut soutenu dans sa demande par René de Volvire, fils de François de Volvire, le premier vendeur de Rocheservière. Un instant, René du Bellay occupa le château de ses ancêtres les Chabot de Rocheservière sur les bords charmants de la Boulogne. Mais le 13 septembre 1534, une sentence de Louis Chambret, sénéchal de Thouars, débouta René de Volvire, et à plus forte raison René du Bellay de ses prétentions au retrait lignager de Rocheservière.

Chroniques paroissiales du diocèse de Luçon, t. VIII, p. 69 et Beauchet-Filleau. Dict. des Familles du Poitou, première édition, art. Hamon.

Rocheservière fut acheté le 6 avril 1531, par le curateur de Jean Hamon du Bouvet, Jacq. de Sesmaisons.

(2) Christophe Chabot, d'après la généalogie des du Bellay, conservée à Angers, m. 992, provenant du cabinet de Le Laboureur,

de temps à autre le titre, sans cependant y posséder le moindre pouce de terrain. Rebuté de ce côté, René du Bellay reporta son activité aux environs de Liré. Il acheta à Jean de Maillé de la Tour-Landry, la terre de la Gallouère en Drain, puis il opéra le retrait lignager de la terre de Vieillecour que ses parents avaient aliénée à un clerc de noble origine, Jean Bonnet. Là ne se bornèrent pas ses rêves de grandeur, il acheta à son suzerain, Jean de Bretagne, toujours à court d'argent, la moitié de la forêt du Parc, antique honneur de la baronnie de Champtoceaux (1).

En 1535, Jean de la Roche du Ponceau mourut, René du Bellay n'hésita plus : il entra immédiatement en pourparlers avec Mme du Boisboissel, mère de Raoul du Juch et tutrice de la fille de celui-ci, pour racheter Oudon. Une dernière circonstance acheva de le décider. Son beaufrère, Julien de Malestroit, après avoir tenté les plus grands efforts pour reconquérir Oudon, s'attira sur les bras de nouveaux ennemis par le meurtre malencontreux d'un de ses voisins, le sire de la Musse-Ponthus, Jean Chauvin. René du Bellay, persuadé que son beau-frère,

portaient les titres de seigneur de Liré, Claunay en Laudunois, Rocheservière, du Pellerin, de Beaufort, p. 41. Dès 1435, les Chabot de Liré sont en possession de nombreuses rentes féodales en Claunay. Chaque année leur receveur Jeh. de la Berrière note avec soin les arrivages du blé qu'ils tiraient de cette terre lointaine. Ils le faisaient venir par challans que conduisaient leurs métayers du port de Candé au port de Liré. Arch. de la Turmelière.

(1) En 1538, René du Bellay tenta une nouvelle acquisition. Il acheta la seigneurie de Pouillé près Ancenis. Voici, en effet, un petit texte que nous trouvons dans les registres de la Chancellerie de Bretagne, B. 38, à la date du 5 octobre 1538 : « maintenue et « sauvegarde aux alloué et lieutenant de Nantes pour René du Bellay, sire de Liré sur le lieu, terre et seigneurie de Pouillé. » Mais les du Bellay ne gardèrent pas longtemps cette terre. Dès 1552, elle est entre les mains de leurs amis les Urvoy, dont nous parlerons bientôt.

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le malheureux Julien, ne se tirerait point de cette nouvelle affaire, en profita pour acheter Oudon. Il le paya une somme minime, il est vrai, 8.000 écus, mais il ne l'obtint qu'à des conditions peu dignes d'un honnête homme. Pour défendre son acquisition contre Julien de Malestroit, Raoul du Juch n'avait pas reculé devant de longs procès, de dangereuses entreprises à mains armées, soit à Oudon, soit à Champtoceaux, où plusieurs personnes avaient trouvé la mort : il avait encourru de ce fait de lourdes amendes et ses acolythes le risque de porter leur tête à la potence. Du Bellay se chargea de toutes ces amendes, il s'engagea même à payer toutes les démarches nécessaires pour épargner aux serviteurs de du Juch les conséquences de leurs sanglantes entreprises.

Cette acquisition suscita une haine mortelle entre les deux sœurs, Jeanne et Madeleine de Malestroit. Toute relation fut brisée entre la Turmelière et le Ponceau. Madame de la Roche épousa immédiatement les intérêts de Julien de Malestroit: ils étaient également les siens, car en vertu du droit de dévolution la propriété des deux tiers de la fortune des Malestroit d'Oudon aurait dû lui revenir à la mort de son frère, elle était l'aînée des filles de Guillaume de Malestroit et de Jeanne de la Noue. Julien, il est vrai, ne possédait point l'héritage paternel confisqué sur son frère aîné et sur luimême, mais il espérait bien rentrer en grâce près du roi et par là même redevenir le maître indiscuté de l'imposante tour d'Oudon. Nul doute qu'aux yeux de tout le voisinage l'acte de René du Bellay n'ait été regardé comme peu digne d'un chevalier et d'un homme d'hon

neur.

En 1539, puis en 1540, malgré ses malheurs, Julien de Malestroit fut sur le point de réussir dans son entreprise, tant il semblait bien établi dans les mœurs du temps qu'une terre ne devait pas sortir de la famille

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