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Le théâtre des mystères, que les confrères de la Passion avaient exploité à Paris durant tout le cours du siècle précédent, continua ses représentations pendant la première moitié du seizième siècle. Les sotties et moralités de la Bazoche eurent aussi, par la protection de Louis XII, un moment brillant sous son règne. Cependant le public commençait à s'apercevoir de la grossièreté de ce spectacle et de l'insuffisance des auteurs, artisans et petits bourgeois, qui jouaient par intervalles, les jours de fète, et qui ne devenaient guère plus habiles quand leurs représentations se prolongeaient, comme il arrivait quelquefois, des mois entiers. A la fin de l'année 1544, comme la troupe se disposait, pour le printemps suivant, à jouer le mystère du Vieil Testament, c'est-à-dire à représenter les principales scènes contenues dans la Bible entière, et qu'elle sollicitait, suivant l'usage, la permission du roi, le procureur général au Parlement s'opposa vivement à ce que la permission fût accordée. « Car, disait-il, tant les entrepreneurs que les joueurs sont gens ignares, artisans mécaniques, ne sachant ni A ni B, qui oncques ne furent instruits ni exercez en théâtres et lieux publics à faire tels actes, et d'avantage n'ont langue diserte, ni propre, ni les accens de prononciation décente, ni aulcune intelligence de ce qu'ils dient; tellement, que le plus souvent advient que d'un mot ils en font trois, font point on pause au milieu d'une proposition, ou autre geste, prolation ou accent contraires à ce qu'ils dient, dont souvent advient dérision et clameur publicque dedans le théâtre même, tellement qu'au lieu de tourner à édification, leur jeu tourne à scandale et dérision... Ce sont tels gens non lettrez ni entenduz en telles affaires, de condition infime, comme un menuisier, un sergent à verge, un tapissier, un vendeur de poisson, qui ont fait jouer les Actes des Apostres, et qui, ajoutant, pour les allonger, plusieurs choses apocryphes, et entremeslant à la fin ou au commencement du jeu farces lascives et momeries, ont fait durer leur jeu l'espace de six à sept mois; d'où sont advenues et adviennent cessation de service divin, refroidissement de charitez et d'aumônes, adultères et fornications infinies, scandales, dérisions et mocqueries... Tant que les dicts jeux ont duré, le commun peuple, dès huit à neuf heures du matin, ès jours de festes, délaissoit sa messe paroissiale, sermon et vespres, pour aller és dicts jeux garder sa place, et y estre jusqu'à cinq heures du soir; ont cessé les prédications, car n'eussent eu les prédicateurs qui les eussent escoutez. Et retournant des dicts jeux, se mocquoyent hautement et publicquement par les rues des dicts jeux des joueurs, contrefai

sant quelque langage impropre qu'ils avoient ouï des dicts jeux, ou autre chose mal faite, criant par dérision que le Saint-Esprit n'avoit point voulu descendre, ou autres mocqueries. Et le plus souvent les prêtres des paroisses, pour avoir leur passetemps d'aller és dicts jeux, ont délaissé dire vespres les jours de feste, ou les ont dictes tout seuls, dès l'heure de midy, heure non accoustumée; et mesme les chantres et chapelains de la saincte chapelle de ce palais, tant que les dicts jeux ont duré, ont dict vespres les jours de feste à l'heure de midy, et encores les disoyent en poste et à la légère pour aller ès dicts jeux.

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Ainsi ces fameuses représentations de mystères qui se donnaient sur des tréteaux adossés aux églises, formant une sorte de cérémonie religieuse et comme une décoration vivante en harmonie avec les scènes sculptées et peintes sur le monument, qui, au milieu du seizième siècle encore, attiraient à elles toute la population, commençaient cependant à soulever le mépris. Les moralités, farces politiques et sotties que jouaient la Bazoche et les Enfants sans souci n'étaient pas trop grossières pour le goût du temps, mais trop françaises; elles n'avaient pas assez du parfum à la mode, celui des Grecs et des Latins. C'est, en effet, de l'amour de l'antiquité que vint la réforme du théâtre comme celle de la poésie.

L'étude des chefs-d'œuvre du théâtre antique, des comédies de Térence et de Plaute, des tragédies de Sophocle, d'Euripide et de Sénèque, était fort répandue dès le commencement du seizième siècle, et sollicitait les esprits à désirer des représentations dramatiques plus élevées et plus sérieuses qu'on n'en avait eu jusqu'alors. Les premiers pas dans ce genre furent des traductions. Octavien de Saint-Gelais avait traduit, dans les premières années du siècle ou à la fin du précédent, six comédies de Térence, et Lazare de Baïf, en 4537, l'Electre de Sophocle, puis l'Hécube d'Euripide. D'autres les imitèrent Bonaventure des Périers, Charles Estienne, Thomas Sébilet, Guill. Bochetel; d'autres encore faisaient également passer dans notre langue les comédies italiennes ou espagnoles. En Italie, le théâtre religieux était délaissé depuis la fin du quinzième siècle, depuis qu'Ange Politien avait fait représenter un drame d'Orphée, en 4483, à la cour de Mantoue.

En 1549, un poëte déjà fameux, quoique bien jeune encore, Ronsard, donna plus d'autorité à ces premiers exemples en mettant lui-même aussi en vers français le Plutus d'Aristophane. Il achevait alors ses études, et joua la pièce avec ses condisciples devant leur maître commun, le grammairien Dorat. Le succès fut grand, et tous les beaux esprits se mirent à composer des scènes dramatiques en vers, quelquefois en prose, quelquefois en se bornant au rôle de simples traducteurs, ou peu à peu s'élevant à celui d'imitateurs de plus en plus libres. Étienne Jodelle commença, dès l'année 4552, à composer pour la scène avec une certaine liberté;

il fit deux tragédies, Cléopâtre captive et Didon se sacrifiant, plus une comédie licencieuse en cinq actes intitulée Eugène ou la Rencontre. Mellin de Saint-Gelais composa une traduction en prose de la Sophonisbe de Trissino, avec des chœurs en vers, qu'on joua au château de Blois, en 1559, devant Henri II. Vinrent ensuite Jean de la Péruse, auteur d'une Médée; Jean de la Taille, auteur de deux tragédies, Saül le Furieux et la Famine ou les Gabéonites, et de deux comédies, le Négromant, traduit de l'Arioste, et les Co-rivaux; Jacques de la Taille, auteur d'un Daire (c'est-à-dire Darius) et Alexandre; Jacques Grévin, auteur de la Trésorière, des Ébahis, comédies, et de la Mort de César; Remi Belleau, auteur d'une comédie intitulée la Reconnue; Jean-Antoine de Baïf, fils de Lazare, traducteur de l'Antigone de Sophocle, de l'Eunuque de Térence, et imitateur du Miles gloriosus de Plaute (le Brave ou Taillebras).

Notre goût épuré ne saurait plus rien trouver qui lui parût digne d'estime ni même d'attention dans tout ce théâtre, improvisé par de jeunes enthousiastes pleins de l'érudition que donnent les fortes études faites sur l'antiquité, mais dépourvus de toute expérience des conditions de l'art scénique, et aux prises avec la difficulté de faire parler convenablement à leurs héros une langue qui n'était pas fixée encore. C'étaient presque des écoliers, et leurs pièces ne se jouaient guère que dans les colléges, parce que les confrères de la Passion ne permettaient pas des représentations publiques qui eussent été une atteinte au privilége exclusif qu'ils exploitaient. Une contrefaçon scrupuleuse des formes antiques, une action simple, des actes courts, un dialogue coupé par des chœurs poétiques où le langage s'efforce de s'élever; «nulle invention dans les caractères, les situations et la conduite de la pièce» tel est le jugement sévère et juste qu'on a porté (Suard et Sainte-Beuve) des tentatives dramatiques de Jodelle et de ses contemporains. Il faut cependant tenir compte à ces premiers dramaturges, qui croyaient avoir créé une scène française grande et magnifique, de leurs illusions mêmes et de leurs infructueux essais, que d'autres bientôt surpassèrent.

Robert Garnier, poëte lauréat des jeux Floraux de Toulouse, né à la Ferté-Bernard et devenu avocat à Paris, commença en 4568, par la publication d'une tragédie de Porcie (fille de Caton), une série de sept grandes compositions dramatiques inspirées surtout de Sénèque, et de beaucoup supérieures aux précédentes, non par le talent scénique, mais par la noblesse des pensées et la régularité pompeuse des discours. La langue avait avancé, et un faible progrès s'accomplissait tout seul. Il ne tarda pas à apparaître aussi dans la comédie. En 1579, un Champenois, Pierre de Larivey, fit imprimer, puis représenter, une comédie en prose intitulée le Laquais, imitée de l'italien, et dont le succès fut beaucoup plus grand qu'il n'avait espéré. Il composa une dizaine d'autres comédies, parfois vraiment

gaies et originales, parmi lesquelles il faut distinguer celle qu'il intitula les Esprits, d'où Molière emprunta plus tard les meilleurs traits de son Harpagon. L'introduction des noms, des mœurs et de la vie modernes sur la scène française était un nouveau progrès beaucoup plus décisif que l'amélioration du style. Larivey mourut dans l'une des premières et Robert Garnier dans la première année du dix-septième siècle. Il restait un dernier pas à faire avant de préparer l'avénement de Corneille et de Racine : c'était de donner à la tragédie et à la comédie leur vrai public, les masses populaires. Les auteurs manquaient de l'une des sources essentielles où ils s'instruisent, la communication avec le public; ils étaient lus autant que joués, et joués, la plupart du temps, par eux et leurs amis, dans les colléges, devant des gens du monde et des savants. Le peuple n'entrait pas là; il continuait d'aller au théâtre des confrères de la Passion, qui s'étaient transportés de l'hôpital de la Trinité à l'hôtel de Bourgogne (rue Mauconseil), en 4548, et avaient essayé de se rajeunir un peu. Il n'y avait de vrais acteurs que ceux des troupes nomades, généralement italiennes, qu'on voyait quelquefois. Grâce au respect qu'inspirait un vieux privilége concédé sous la signature du roi, les confrères prolongèrent de quarante ans encore la lutte inégale qu'i 'ils soutenaient, au nom du drame chrétien, contre la science et l'esprit modernes. Enfin ils furent obligés de s'avouer vaincus; ils louèrent leur privilége et leur salle à une de ces troupes. ambulantes dont nous venons de parler, en se réservant à perpétuité quelques loges et quelque part dans les bénéfices. C'était vers l'année 1588.

Mais la France avait laissé passer le siècle de la renaissance sans rien produire qui approchât du génie dramatique.

POÉSIE.

La France poétique subissait les conséquences nées d'un passé brillant dont elle ne pouvait se détacher; elle excellait encore dans le rondeau, le madrigal et toutes les nuances du soupir amoureux. Les guerres d'Italie et la lutte contre CharlesQuint avaient ouvert les idées, aiguisé le sentiment national; le calvinisme avait élevé sa voix austère; l'épée, les bûchers et le poignard sévissaient déjà; les versificateurs promenaient encore leurs pas languissants dans les sentiers musqués du Roman de la Rose. Ainsi étaient ceux dont les noms méritent à peine d'être rappelés : Guillaume Crestin, Jean Lemaire de Belges (4), Jean Meschinot, Jean Marot; ainsi était encore Clément Marot, le prince des poëtes français avant que Ronsard ne parùt.

Clément, né à Cahors, était le fils de Jean. Celui-ci remplissait l'office de poëte et valet de chambre d'Anne de Bretagne et de Louis XII; il avait

(') Le même qui figure plus haut, p. 124.

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fait à la suite de la cour les premières guerres d'Italie, et rimé la Prise de Gènes et le Voyage de Venise. Son fils, d'abord clerc de procureur, mais fort mauvais clerc, avait préféré de beaucoup · entrer comme page au service du sire de Villeroy, puis de Marguerite de Valois, sœur de François Ier. Quand ce prince monta sur le trône, Clément Marot, alors âgé de vingt ans, lui offrit un petit ouvrage en vers intitulé le Temple de Cupido, dans la préface duquel il lui disait qu'en sa jeunesse,

En sa jeunesse, ung prince de valeur,
Pour éviter ennui plain de malheur,

Le noble estat des armes doibt comprendre,
Et le beau train d'amourettes apprendre.

Le roi, qui n'avait pas besoin de cette leçon, distingua cependant le poème, se fit présenter l'auteur, et lui conserva durant toute sa vie une faveur marquée. Le Temple de Cupido, qui se compose d'un peu plus de cinq cents vers de différentes mesures, commence « sur le printemps, quand la belle Flora couvre les champs de diverses fleurs que son ami Zéphyrus évente. » Le jeune enfant Cupido, dieu d'aimer, promène ses regards sur ses nombreux sujets, et délibère de lancer une de ses flèches droit au cœur de Marot, rebelle jusqu'alors. Pas n'y faillit, et le poète, rudement atteint, mais ne pouvant fléchir son amante, trop forte et fière forteresse pour chevalier si faible qu'il était, s'éloigne d'elle et se met à la recherche d'une haute déesse, Ferme-Amour, la dame pure et chaste. Il se dirige donc vers le temple Cupidique, car c'est là qu'il doit la trouver. Espoir l'admoneste en chemin, et Bel-Accueil le bien appris, lui tendant sa main droite, le fait, par un étroit sentier, entrer au beau pourpris dont il est le portier. Il entre enfin; il décrit les merveilles qu'il voit en ce lieu, les autels du dieu d'amour et les groupes d'adorateurs qui s'y prosternent; mais Ferme-Amour ne s'y trouvait nulle part, ou du moins il ne l'apercevait pas, quand Bel-Accueil le conduisant au choeur mème du temple, il contemple enfin la déesse qu'il cherchait assise entre un grand prince portant écu de fleurs de lis et une dame excellente vêtue d'hermines ducales, c'est-à-dire entre François Ier et son épouse, la reine Claude. Ravi de joie, il remercie Cupido, salue Vénus, ainsi que ses suivantes les Gràces, et se laisse engager au service de Ferme-Amour, « désormais le plus heureux, dit-il, de tous les pauvres soudars recueillis sous ses étendars. »

Ce conte galant n'est pas dépourvu d'élégance; mais il est encore assaisonné des fades allégories du temps passé, sans avoir la tendresse fine et profonde d'une ballade de Charles d'Orléans (voy. t. Ier, p. 556). C'est par le tour ingénieux des détails et le bonheur des expressions que Marot se rachète :

De Cupido le diadesme

Est de roses un chapelet
Que Vénus cueillit elle-mesme

Dedans son jardin verdelet,

Et sur le printemps nouvelet
Le transmit à son cher enfant,
Qui de bon cœur le va coiffant;
Puis donna, pour ces roses belles,
A sa mère un char triumphant
Conduit par douze colombelles.

Il brode ainsi les moindres choses et leur donne une grâce qui le fait lire avec plaisir encore aujourd'hui, à moins qu'il ne tombe, ce qui lui arrive souvent, dans les grossièretés érotiques. Il est d'ailleurs demeuré, jusqu'à la fin de ses jours, un poëte au bagage léger (quoique ses œuvres forment ordinairement cinq volumes in-12), un compositeur d'élégies, d'épîtres, de rondeaux, d'épigrammes, de petites pièces. Voici, à ce qu'il nous semble, la plus jolie; elle porte le titre de Chanson et la date de 4524:

Puisque de vous je n'ai autre visage,

aborder

Je m'en vais rendre hermite en un désert Pour prier Dieu. Si un autre vous sert, Qu'autant que moi en vostre honneur soit sage. Adieu amours, adieu gentil corsage, Adieu ce teint, adieu ces frians yeux; Je n'ai pas eu de vous grand advantage, Un moins aymant aura peut-estre mieux. Dès qu'il s'éloigne des amourettes pour des sujets plus virils, il devient d'une faiblesse extrême, et l'on ne peut guère rien lire de plus pauvre et de plus mauvais que les vers, par exemple, qu'il offrit à la reine Éléonore d'Autriche, à son arrivée d'Espagne avec « messieurs les deux enfants du roy, délivrés des mains des Espagnols », ou dont il orna les fètes qui furent données à Charles-Quint à son passage en France (4), ou ceux mêmes dans lesquels il décrivit le Châtelet de Paris, sous le titre d'Enfer, pour se venger d'y avoir été emprisonné comme protestant. Marot était trop un bel esprit de son temps pour ne pas aimer les auteurs latins et chercher quelquefois à les imiter; mais il eut beau faire, il resta ce qu'il était naturellement, le dernier héritier de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun, le dernier représentant de la poésie du moyen âge. Il était parfaitement dans son rôle quand il se fit l'éditeur du Roman de la Rose (1529) et des œuvres de Villon (1532). N'oublions cependant pas qu'il fut aussi le premier traducteur des psaumes de David, et que s'il se montra bien faible encore comme versificateur inspiré par la Bible (2), il est du moins demeuré fidèle à ses

(') Voici, pour exemple, comment débute l'une des pièces composées en l'honneur de Charles-Quint :

Approche-toi, Charles, tant loing tu sois,
Du magnanime et puissant roi François ;
Approche-toi, François, tant loing sois-tu,
De Charles, plein de prudence et vertu.

(*) Voici son premier verset:

Qui au conseil des malins n'a esté,
Qui n'est au trac des pécheurs arresté,
Qui des moqueurs au banc place n'a prise,
Mais nuict et jour la loi contemple et prise
De l'Éternel, et en est désireux,
Certainement cestui-là est heureux.

!

affections et est allé pour elles mourir en exil, à Turin (1544).

:

A sa suite, on peut ranger un bon nombre de versificateurs qui remplirent du bruit de leurs rimes les deux premiers tiers du seizième siècle, mais dont aucun ne s'éleva au-dessus d'une pâle médiocrité Mellin de Saint-Gelais, né à Angoulème (1494-4558), et neveu d'Octavien; Estienne Dolet (4509-4546), plus connu comme savant que comme poëte, et célèbre surtout par la mort qu'il subit, comme protestant, sur les bûchers de la place Maubert; Victor Brodeau, mort en 1540, ami particulier de Marot, valet de chambre, comme lui, de François Ier, et auteur de beaucoup de vers chrétiens; la Borderie, que Marot appelait son mignon; François de Sagon, pédant de Sorbonne, qui, au contraire, l'attaqua; Antoine Heroët, auteur du poëme moral intitulé la Parfaite Amye; Charles Fontaine; Paul Angier; Gilles d'Aurigny; une dame lyonnaise appelée Louise Labé; Maurice Scève, également de Lyon, auteur d'un long poëme d'amour intitulé Délie; Thomas Sébilet, qui publia, en 1548, un Art poétique; et cent autres parmi lesquels il faut pourtant distinguer, à cause de son rang, la sœur de François Ier. Marguerite d'Alençon (1492-4549), appelée Marguerite de Navarre après son mariage avec Henri d'Albret, ne se contenta pas des titres de théologienne et de savante (voy. p. 42); elle composa, outre ses ouvrages en prose, des rondeaux, des dizains, des chansons, des pièces de théâtre, ou du moins des mystères, farces et moralités; des poëmes sacrés, comme « le Miroir de l'âme pécheresse », et des poëmes païens, comme « l'Histoire des satyres et des nymphes de Diane.» Sa fille, Jeanne d'Albret, la mère de Henri IV, hérita de ce goût littéraire; on a d'elle quelques sonnets. François Ier lui-même mérite amplement d'être associé aux poëtes de son temps; il a laissé un assez grand nombre de vers pour qu'on en ait publié récemment un volume in-4o. Nous aurons, plus loin, l'occasion d'en citer quelques-uns de Charles IX. Presque tout le monde connaît ceux que la mélancolie inspirait à Marie Stuart, lorsqu'en 1550 elle traversait la Manche et voguait vers les lieux où l'on devait un jour la faire monter sur l'échafaud:

Adieu, plaisant pays de France,

O ma patrie

La plus chérie,

Qui a nourri ma jeune enfance!
Adieu, France! adieu, mes beaux jours!
La nef qui disjoint nos amours
N'a cy de moi que la moitié;

Une part te reste, elle est tienne;

Je la fie à ton amitié

Pour que de l'autre il te souvienne.

Rarement l'on trouve autant de grâce dans les vers tracés de main royale. Mais les tentatives en ce genre, même les moins heureuses, sont toujours d'un bon augure pour les muses. Il y eut plus de poëtes en France au seizième siècle, et de plus mé

diocres, qu'à aucune autre époque. Le goût du savoir et du bel esprit fermentait dans tous les rangs, sans que les vraies conditions de l'art fussent encore bien démêlées, sans même que l'on fût d'accord sur les règles du langage et la valeur des mots. L'idée même de poésie ne s'était pas encore dégagée nettement dans la pure atmosphère qui lui convient. Ce fut seulement au dix-septième siècle, lorsqu'on eut goûté des chefs-d'œuvre littéraires, que l'on sentit la distance qui sépare le talent de la faculté banale de rimer. Au seizième, la limite était flottante entre la science et l'art. Chacun rimait, et l'on est étonné, en lisant, par exemple, le Journal de Lestoile, de la place que les vers, et les latins aussi souvent que les français, prenaient alors dans la vie publique. Il ne se passait nulle part de petit événement qui ne fournît le sujet d'une pluie de rimes courant de main en main par la ville et la campagne. On croyait pouvoir faire des vers comme de la jurisprudence ou de la théologie, et s'éveiller poète une fois qu'on possédait la mesure et la rime.

La connaissance des langues anciennes pouvait, à cet égard, tromper les plus habiles. On pouvait, comme on peut encore, composer sans grand talent d'assez bons vers latins (ou grecs; la prosodie grecque offre encore plus de facilité), parce qu'alors l'écrivain, guidé d'ailleurs par des modèles excellents, était soutenu par une langue admirable et irrévocablement fixée. Bien loin de là, pour écrire des vers français qui ne fussent pas les éternelles redites des troubadours, il fallait créer beaucoup, chercher le tour nouveau à donner au style, forger des mots, reprendre avec un instrument devenu plus souple les nobles tentatives de la poésie sérieuse et grande du treizième siècle, rompre enfin avec les fadaises de « l'art d'amourette. » Il fallait quelque chose de plus encore, que nous explique la fortune singulière de Ronsard, qui fut le poëte et le novateur le plus célèbre du siècle de la renaissance, que ses contemporains placèrent de son vivant même sur un piédestal, en compagnie d'Homère et de Virgile, et qui, dans le cours du siècle suivant, fut voué au ridicule par l'école de Boileau. Il lui manqua ce qu'il n'était pas en lui d'obtenir, l'assistance du goût public, qui n'était pas encore formé, et auquel il fallait du temps pour peser des œuvres nouvelles, pour consacrer les hardiesses heureuses et rejeter celles que l'esprit français n'acceptait pas.

Pierre de Ronsard était fils d'un petit gentilhomme du Vendômois, et faisait remonter sa généalogie à un marquis hongrois établi en France au milieu du quatorzième siècle. Il a pris soin d'inscrire lui-même dans ses vers qu'il naquit le samedi 14 septembre 1524, année du désastre de Pavie (d'après l'ancienne manière de compter les années d'une pâque à l'autre); et, suivant ses anciens biographes, on pouvait douter « si la France, par la captivité malheureuse d'un grand prince, eust un plus grand dommage, ou un plus grand

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bien par l'heureuse naissance de ce grand poëte. A l'âge de neuf ans, après qu'il eut fait six mois d'études à Paris, on le mit comme page chez le duc d'Orléans, troisième fils de François Ier. Peu de temps après, il devint page de Jacques, roi d'Écosse, qui était venu en France épouser Marie de Lorraine, et le suivit dans son royaume. Il y resta trois ans, et ce fut là qu'il prit le premier sentiment de la poésie auprès d'un seigneur de la cour de Jacques, qui se plaisait à développer l'àme de cet enfant intelligent et de bonne mine en lui faisant comprendre les beautés de la littérature antique. Il rentra ensuite dans la maison du duc d'Orléans, fit pour lui divers voyages dans le Nord, puis suivit en Allemagne Lazare de Baïf, et en Piémont du Bellay de Langey, ambassadeurs de François Ier. Une infirmité interrompit sa carrière; il devint presque sourd avant d'avoir atteint vingt ans. Aussitôt sa résolution fut prise. Il revint à Paris pour se livrer entièrement à l'étude, et s'enferma dans la maison d'un professeur célèbre, Jean Dorat, chez lequel se trouvait Jean-Antoine de Baïf, fils de Lazare (4544). Il y demeura sept années plongé dans des études profondes, entre son maître et les jeunes lettres qui fréquentaient sa demeure. Ronsard, ayant esté nourry jeune à la cour et dans l'habitude de veiller tard, demeuroit au cabinet, sur ses livres, jusques à deux ou trois heures après minuit, et, en se couchant, il réveilloit le jeune Baïf, qui, se levant et prenant la chandelle, ne laissoit pas refroidir la place. » (Colletet.)

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Parmi les jeunes érudits qui composaient le cénacle assemblé autour de Dorat se trouvait Joachim du Bellay (4525-1560), parent de l'ambassadeur, et dévoré comme Ronsard de l'amour des lettres. Tous deux n'étaient pas plus admirateurs des anciens que leurs amis; mais ils souffraient davantage de l'infériorité de leur langue maternelle, qui, dans sa forme la plus élevée, la forme métrique, ne pouvait produire que de banales chansonnettes. Ils conçurent l'ambitieux projet de s'inspirer des œuvres latines et grecques, et de se les assimiler assez pour en faire passer toutes les beautés dans la langue française, dussent-ils refondre celle-ci ou créer un idiome nouveau que les savants seuls auraient compris. « Dès qu'il vint à considérer (dit son dernier panégyriste, l'académicien Colletet; 4648) que les muses françoises jusques auparavant lui n'avoient jamais eu la hardiesse ny la force de s'eslever jusqu'au ciel; que tous ceux qui avoient escrit jusques à son temps n'avoient eu que des sentiments fort bas, avec des rymes simples et populaires, il eust le courage d'employer le premier toutes les grâces et les beautez qui rendent la poésie grecque et latine si florissante, et d'en orner nostre langage, de le fortifier de leurs belles doctes inventions, d'imaginer avec eux de nouveaux mots, de réparer les vides, comme il s'en glorifie si justement luy-mesme » :

Je vy que des François le langage trop bas

Se traisnoit sans vertu, sans ordre ny compas;
Adoncques, pour hausser ma langue maternelle,
Indompté du labeur, je travaillai pour elle :
Je fis de nouveaux mots, je rappelai les vieux;
Je fis, d'autre façon que n'avoient les antiques,
Vocables composez et phrases poéticques,
Et mis la poésie en tel ordre qu'après

Le François fust égal aux Romains et aux Grecs.

Plus ou moins obscurément, chacun avait quelque chose du même amour pour l'idiome national. François Ier avait été au-devant des vœux de toute la magistrature en bannissant le latin de l'usage des tribunaux (4). La langue française bouillonnait d'une secrète fermentation. Joachim du Bellay prit le premier la parole sur ce sujet en publiant un chaleureux écrit qu'il intitula la Défense et Illustration de la langue françoise (1549).

« Je ne puis assez blâmer, dit-il, la sotte arrogance et témérité d'aucuns de notre nation qui déprisent et rejètent d'un sourcil plus que stoïque toutes choses écrites en françois. Si nostre langue n'est si copieuse et riche que la grèque ou latine, cela ne doit estre imputé au défaut d'icelle, comme si d'elle-mesme elle ne pouvoit jamais estre sinon pauvre et stérile; mais bien on le doit attribuer à l'ignorance de nos majeurs (ancêtres), qui, ayans en plus grande recommandation le bien faire que le bien dire, et mieux aymans laisser à leur postérité les exemples de vertu que les préceptes, nous ont laissé notre langue si pauvre et nue qu'elle a besoing des ornements, et, s'il faut ainsi parler, des plumes d'autruy. Mais qui voudroit dire que la grèque et la romaine eussent toujours été en l'excellence qu'on les a vues du tems d'Homère et de Virgile? Ainsi puys-je dire de nostre langue, qui commence encores à fleurir sans fructifier, ou plustost, comme une plante et vergette, n'a point encores fleury, tant se fault qu'elle ait apporté tout le fruit qu'elle pourroit bien produyre. Le tems viendra peut-estre, et je l'espère moyennant la bonne destinée françoise, que ce noble et puissant royaume obtiendra à son tour les resnes de la monarchie, et que notre langue sortira de terre et s'élèvera en telle hauteur et grosseur qu'elle se pourra égaler aux mesmes Grecz et Romains, pro

(1) Ordonnance rendue à Villers-Costerets, au mois d'août 1539: « Art. 110. Et afin qu'il n'y ait cause de douter sur l'intelligence des arrests, ordonnons qu'ils soient faits et escrits si clairement qu'il n'y ait, ne puisse avoir aucune ambiguïté ou incertitude, ne lieu à demander interprétation. Art. 111. Et pourceque telles choses sont souventes fois advenues sur l'intelligence des mots latins contenus esdits arrests, nous voulons d'ores-en-avant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, soit de nos cours souveraines ou autres subalternes et inférieures, soient prononcez, enregistrez et delivrez aux parties en langage maternel françois, et non autrement. >> - C'est la même ordonnance (art. 50 à 53) où est émise la première idée de nos Actes de l'état civil, dans l'injonction faite aux curés d'enregistrer exactement les décès et les baptêmes célébrés en leurs églises, et de déposer chaque année leurs registres au greffe du bailliage le plus voisin.

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