le jetta par terre, et lui donna un merveilleux sault. Et vouloit encore le roi d'Angleterre relutter, mais tout cela feust rompu, et fallust aller souper. » «Le roy d'Angleterre festoya le roy, près de Guines, en un logis de bois où y avoit quatre corps de maison qu'il avoit faict charpenter en Angleterre, et amener par mer toute faicte; et estoit couverte de toille peinte en forme de pierre de taille, puis tendue par dedans des plus riches tapisseries qui se peurent trouver, en sorte qu'on ne l'eust pu juger autre sinon un des beaux bastiments du monde; et estoit le dessin pris sur la maison des marchands (l'hôtel de ville) de Calais... Et estoit la dicte maison trop plus belle que celle des François et de peu de coustance, et estant après desassemblée, fut renvoyée en Angleterre sans y perdre que le voiturage. Elle estoit assise aux portes de Ghines, assez proche du chasteau, et estoit de merveilleuse grandeur en carrure, et estoit la dicte maison toute de bois, de toille et de verre; et estoit la plus belle verrine que jamais l'on vist, car la moitié de la maison estoit toute de verrine; et vous asseure qu'il y faisoit bien clair. Et y avoit quatre corps de maison, dont au moindre vous eussiez logé un prince. Et estoit la cour de bonne grandeur; et au milieu de la dicte cour, et devant la porte, y avoit deux belles fontaines qui jectoient par trois tuyaux, l'un ypocras, l'autre vin et l'autre eaue; et la chapelle, de merveilleuse grandeur, et bien étoffée tant de reliques que toutes aultres parements; et vous asseure que si tout cela estoit bien fourni, aussi estoient les caves; car les maisons des deux princes, durant le voyage, ne feurent fermées à personne..... Le roy devoit festoyer le roy d'Angleterre près d'Ardres, où il avoit faict dresser un pavillon ayant soixante pieds en quarré, le dessus de drap d'or frizé, et le dedans doublé de velours bleu tout semé de fleurs de lis, de broderie d'or de Chypre; et quatre autres pavillons, aux quatre coings, de pareille despense; et estoit le cordage de fil d'or de Chypre et de soye bleue turquine, chose fort riche. Je ne m'arresteray à dire les grands triomphes et festins qui se firent là, ni la grande despense superflue, car il ne se peult estimer; tellement que plusieurs y portèrent leurs moulins, leurs forests et leurs prés sur leurs espaules. » (Fleuranges et du Bellay.) En quittant Guines, Henri VIII se rendit à Gravelines, où il trouva l'empereur, qui l'accompagna, en appareil modeste, jusqu'à Calais. Charles-Quint n'essaya point de l'éblouir par de folles dépenses et des procédés chevaleresques; seulement, il lui proposa de prendre l'Angleterre pour arbitre de ses différends avec la France, et fit briller aux yeux du cardinal Wolsey l'espérance du trône pontifical. Les liens d'affection que les Anglais avaient pu contracter au Camp du Drap d'or ne pouvaient pas être aussi solides que ceux de l'intérêt, et l'àme généreuse mais légère de François avait fait un faux calcul. Les sacrifices par lesquels il avait chèrement acheté la faveur du pape Léon X lui furent Sans attaquer directement le colosse autrichien qui, pendant un siècle et demi, allait être l'ennemi redouté de la France, le roi prit cependant le premier les armes. Dans ses précédents accommodements avec Charles, il s'était réservé le droit de prêter main-forte à la maison d'Albret si le roi d'Espagne refusait de satisfaire aux réclamations de Jean de Foix sur la Navarre espagnole; or il n'y avait été nullement satisfait. La belle comtesse de Châteaubriant, toute-puissante sur l'esprit du roi, et qui appartenait à cette famille, obtint pour son plus jeune frère, le sire de Lesparre, la permission de rassembler une petite armée et d'essayer la conquête du pays contesté. Lesparre en fit effectivement la conquête en peu de temps et s'empara de Pampelune, où fut blessé grièvement un Espagnol que cet accident jeta dans la vie dévote, et qui devint par la suite plus redoutable qu'aucun homme de guerre: Ignace de Loyola, le fondateur des Jésuites. Si Lesparre avait promptement réussi, il fut plus promptement encore accablé par des forces supérieures; les Espagnols le battirent à leur tour (30 juin 1521), et l'obligèrent à lâcher sa proie. Une autre agression de la France vers le Nord ne fut guère plus heureuse. Robert de la Mark, duc de Bouillon et sire de Sedan (le père de Fleuranges), était feudataire de l'empire; mais, irrité par un déni de justice de l'empereur, puis poussé par son fils et d'autres familiers de la cour de France, il se délia, suivant les us féodaux, des liens de la vassalité, et, non content de défier l'empereur, il fut assiéger Virton, place forte du Luxembourg. Les troupes impériales arrivèrent, conduites par le comte de Nassau et un fameux chef allemand, François de Sickingen; elles mirent le duché de Bouillon à feu et à sang, y commirent des atrocités, et le roi de France, après avoir cherché à désavouer les la Mark, fut obligé de les défendre et de faire entrer une armée de vingt mille hommes sur les terres de l'empire par les frontières de Champagne. « Dieu soit loué, dit Charles-Quint, de ce que ce n'est pas moi qui ai commencé cette guerre! >> ་་ Le Milanais était le côté le plus vulnérable des États de François Ier. Le sire de Lautrec, autre frère de Mme de Châteaubriant, y commandait pour le roi. C'était un médiocre politique, haï des Italiens pour sa dureté, et un médiocre général. II était brave et savant militaire; mais, frappé des fàcheux résultats de ce qu'on appelait dès cette époque la furia francese, la bravoure aveugle, il temporisait toujours avec une lenteur systématique non moins fatale que cette précipitation qu'il condamnait. La principale difficulté de sa position, le manque d'argent, poussa ses deux défauts naturels à l'extrême. François Ier, habitué à dissiper follement en fêtes et en libéralités le produit des impositions, qui ne suffisaient déjà plus en temps de paix, se trouva tout à fait au dépourvu lorsque se firent sentir les premiers besoins de la guerre. La ligue formée par l'empereur, en Italie, commençait cependant, de Bologne, à mettre ses troupes en mouvement et à faire l'attaque des frontieres milanaises, en attendant qu'elle pût, comme elle l'annonçait, rétablir à Milan François Sforza, second fils de Ludovic le More. Au pape, qui avait choisi Prosper Colonna pour général, s'étaient joints le marquis de Mantoue, les Florentins, quelques Suisses débauchés de l'alliance française par le cardinal de Sion, et de redoutables régiments de cavalerie et d'infanterie espagnoles commandés par le marquis de Pescara. Lautrec accourut à Paris dire au roi que le Milanais était perdu si l'on n'avait à lui donner quatre cent mille écus pour soutenir la guerre; ses soldats, Suisses en grande partie, étaient depuis une année sans solde. Il n'était pas possible, en ce moment, de tirer aucun argent des provinces du centre et du nord; mais le surintendant des finances, Jacq. de Beaune de Semblançay, se fit fort de les trouver dans le Languedoc. Il promit solennellement, ainsi que le roi et la reine mère, à Lautrec, que les quatre cent mille écus arriveraient à Milan avant qu'il y fût de retour. Sur cette assurance, Lautrec s'en revint, mais il ne reçut jamais l'argent promis, et fut obligé d'exaspérer les Milanais en les surchargeant violemment de contributions énormes, puis de conduire au combat des troupes dont il n'était plus le maître. II abandonna d'abord Parme et Plaisance, que Léon X réunit à l'État de l'Église avec une telle joie que, diton, il en mourut. Lautrec fut forcé ensuite d'abandonner sa capitale, Milan (nov. 4521), et de se retirer sur un territoire allié, celui de Venise. Renforcé par l'armée vénitienne et par un secours de dix mille Suisses, il reprit l'offensive au mois de mars 4522. Le 29 avril, il rencontra les Impériaux, fortement retranchés dans un endroit appelé la Bicoque, près de Milan; bien que n'étant nullement d'avis de les attaquer, il fut forcé de le faire: les Suisses demandaient impérieusement « argent, bataille ou congé. » Il donna malgré lui la bataille. Les Suisses, ayant échoné dans un premier assaut, s'en retournèrent chez eux sans vouloir rien écouter; les Vénitiens s'étant retirés de leur côté, Lautrec n'eut plus qu'à renfermer sa gendarmerie dans quelques places, qui bientôt furent forcées de capituler. Le Milanais était encore une fois perdu. Le seigneur de Lautrec, de retour en France, si le roi lui feit mauvais recueil, il ne s'en fault estonner, comme à celuy qu'il estimoit avoir par sa faulte perdu son duché de Milan, et ne voulut parler à luy; mais le seigneur de Lautrec, se voulant justifier, trouva moyen d'aborder le roy, se plaignant du mauvais visage que Sa Majesté luy portoit. Le roy luy fait response qu'il en avoit grande occasion, pour luy avoir perdu un tel héritage que le duché de Milan. Le seigneur de Lautrec luy fait response que c'estoit Sa Majesté qui l'avoit perdu, non luy, et que par plusieurs fois il l'avoit adverty que, s'il n'estoit secouru d'argent, il cognoissoit qu'il n'y avoit plus d'ordre d'arrester la gendarmerie, laquelle avoit servy dix-huit mois sans toucher deniers, et jusques à l'extrémité, et pareillement les Suisses, qui mesmes l'avoient contrainct de combattre à son désavantage, ce qu'ils n'eussent faict s'ils eussent eu paiement. Sa Majesté luy répliqua qu'il avoit envoyé quatre cens mille escus alors qu'il les demanda. Le seigneur de Lautrec luy feit response n'avoir jamais eu la dite somme; bien avoit-il eu lettres de Sa Majesté, par lesquelles il luy escrivoit qu'il luy envoiroit la dite somme. Sur ces propos, le seigneur de Semblançay, superintendant des finances de France, fut mandé, lequel advoua en avoir eu le commandement du roy, mais qu'estant la dite somme preste à envoyer, madame la régente, mère de Sa Majesté, auroit pris la dite somme de quatre cens mille escus, et qu'il en feroit foi sur-le-champ. Le roy alla en la chambre de la dite dame avec visage courroucé, se plaignant du tort qu'elle luy avoit faict, d'estre cause de la perte du dit duché, chose qu'il n'eust jamais estimé d'elle, que d'avoir retenu de ses deniers qui avoient été ordonnez pour le secours de son armée. Elle s'excusant du dit faict, fut mandé le dit seigneur de Semblançay, qui maintint son dire estre vray; mais elle dist que c'estoient deniers que le dit seigneur de Semblançay luy avoit de long-temps gardez, procédans de l'espargne qu'elle avoit faicte de son revenu, et luy soustenoit le contraire. Sur ce différend, furent ordonnez commissaires pour décider ceste dispute. » (Du Bellay, liv. I.) Comme vient de le raconter Martin du Bellay, le surintendant montra que l'argent si nécessaire en Italie, la mère du roi l'avait forcé de le lui livrer à elle-même pour payer ses énormes pensions, et d'autres ajoutent pour nuire à Lautrec, qui s'était permis de blâmer ses galanteries. Semblançay parut justifié ; mais quelques années après, Louise de Savoie et le chancelier Duprat, qui s'entendaient pour le perdre, lui suscitèrent une suite de procès et de redditions de compte où il finit par être convaincu de malversations, et condamné à la potence. Il se prétendait créancier du roi pour plusieurs centaines de mille livres, et avait payé quatre-vingt-sept mille livres la seigneurie de Laigle, en Normandie. Vraisemblablement il n'était pas plus coupable que les autres trésoriers royaux de son temps; de plus, il avait soixantequinze ans, et il avait servi avec honneur sous Charles VIII et Louis XII. Mais il n'en fut pas moins pendu (en 4527) au gibet de Montfaucon. TRAHISON DU CONNÉTABLE DE BOURBON. Cependant la ligue contre la France continuait à grandir. Gènes fut prise et saccagée, par les vainqueurs de la Bicoque, le 30 mai; Henri VIII envoya déclarer la guerre par un héraut (29 mai 4522); Venise, si mal soutenue, et sur qui retombait tout le poids des fautes commises en Italie, accéda malgré elle à la coalition (août 1523). L'ambassadeur vénitien à Paris avait décidé le sénat de la république en lui écrivant « que François était tellement adonné aux femmes et à la chasse, qu'il prodiguait à ces seuls plaisirs la majeure partie des revenus royaux, que sa pensée en était uniquement remplie, et que rarement, ou tout au plus au milieu des festins, il songeait à la guerre ou en parlait; que, pour rassembler une armée, il lui faudrait ou mettre en vente le domaine royal, ou épuiser le royaume par des exactions nouvelles et inouïes. C'était lui qu'on accusait de tous les malheurs survenus à la France, et l'ambassadeur soupçonnait même qu'un grand prince de sa famille allait se ranger parmi ses ennemis.» (Beaucaire, trad. par Sismondi.) On guerroyait sans désavantage contre les Anglais et les Impériaux du côté de la Flandre, contre les Espagnols du côté de Fontarabie, quand éclata en effet un symptôme bien autrement grave que des hostilités ouvertes: la défection de ce « grand prince », dont les projets étaient si mal cachés qu'on les avait annoncés jusqu'à Venise. Réveillé de son indigne vie de plaisirs par le bruit du danger qui s'amoncelait à toutes les frontières, François Ier retrouva son activité des jours de colère. Il visita la Picardie et la Bourgogne, leva des troupes nouvelles, fortifia les places fortes, chercha à purger les campagnes du fléau des brigandages perpétrés, comme au temps des grandes compagnies, par les soudards sans solde. Il se créa des ressources financières par des emprunts, par des ventes d'offices royaux, par la fonte des reliquaires et des cloches d'église, par l'engagement des revenus à venir. Ainsi il offrit, dans un édit en date du 27 septembre 1522, d'emprunter 200 000 livres, en affectant au payement des intérèts (fixés à 42 pour 400) 46 666 livres 43 sous 4 deniers, à prendre chaque année sur la taxe du bétail vendu à Paris. Cet intérêt ayant été régulièrement acquitté, les « rentes perpétuelles de l'hôtel de ville de Paris », ainsi qu'on l'appela, prirent faveur, ne cessèrent de s'augmenter par la suite, et devinrent le noyau de la dette publique actuelle de la France. Après avoir mis le royaume en état de défense et envoyé une belle armée traverser les Alpes, François, voulant conduire luimême la partie la plus brillante de ses opérations, celles qu'il avait méditées pour l'Italie, se dirigeait vers Lyon, lorsqu'à moitié chemin, un peu avant Moulins, il apprit que les vagues soupçons qu'on avait eus jusque-là sur la fidélité du connétable Charles de Bourbon se changeaient en cer titude. Deux gentilshommes normands, appartenant à la maison du connétable, et invités par lui à faciliter l'entrée des Anglais dans leur province, avaient trouvé le fait si énorme qu'ils n'avaient pu le taire. Le roi courut droit à Moulins, où Charles était, contrefaisant le malade pour ne pas être obligé de l'accompagner en Italie. Le premier mouvement de François, généreux toujours, fut de lui parler avec douceur, de chercher à le ramener et de lui promettre réparation des torts, s'il en était, dont le connétable pouvait avoir à se plaindre. Il était trop tard; les torts étaient trop graves et le duc de Bourbon trop engagé, trop fier, trop coupable. Charles de Bourbon, alors àgé de trente-quate ans, rehaussait par son courage et ses qualités brillantes l'éclat de son sang. Il était d'une branche cadette et portait le titre de comte de Montpensier, lorsque la mort du vieux duc Pierre de Bourbon, mari d'Anne de Beaujeu, le rendit chef de la maison. Son cousin Pierre avait cependant laissé une fille, Suzanne de Bourbon; il n'en réclamait pas moins le duché et toutes ses dépendances en vertu du droit salique et des pactes de famille qui l'assuraient aux héritiers måles comme fief masculin; mais son droit était douteux, car avant d'appartenir aux Bourbons du sang royal de France, il avait certainement été fief féminin, et la coutume du Bourbonnais n'admettait pas la loi salique. On avait confondu ces intérêts opposés en mariant (en 4504) Charles et Suzanne, qui s'étaient fait donation réciproque de leurs droits en faveur du survivant; Suzanne, infirme et contrefaite, mourut sans enfants, en 1521. Ce mariage avait rendu Charles de Bourbon sans égal en France. Il possédait Moulins et le Bourbonnais, une partie de l'Auvergne, la Marche, le Beaujolais, le Forez, la Dombe, Clermont ou Beauvoisis, et nombre de fiefs moins importants. Il était le dernier des grands vassaux, gardait à la cour une attitude hautaine, et aimait à faire montre de sa puissance. Pour une fête de famille, en 4547, il avait invité le roi à Moulins, et s'y était fait servir, en sa présence, par cinq cents gentilshommes en habits somptueux. Un si grand état et un si grand orgueil allumaient la défiance et l'aversion, non pas du roi, mais de ceux qui l'entouraient. « Si j'avais un sujet semblable, lui disait Henri VIII au Camp du Drap d'or, je ne laisserais pas longtemps sa tête sur ses épaules. François ne pensait pas comme ce roi sanguinaire, mais il blessa plus d'une fois le connétable. Sa mére le perdit tout à fait. Belle encore, bien qu'àgée de quarante-sept ans, insatiable et de plaisirs et de richesses, Louise de Savoie fit offrir sa main à Charles. C'eût été un mariage de convenances comme celui qu'il avait déjà fait, car Louise était sinon la fille, comme Suzanne, du moins la niece du dernier duc de Bourbon, et pouvait élever des prétentions à son hérédité; de plus, il y avait eu, dit-on, un commerce de galanterie entre elle et Charles. Celui-ci repoussa le projet avec hauteur, et attira par là sur sa tète toutes les vengeances de la femme offensée. La mère du roi n'eut pas de peine à gagner plusieurs procès qu'elle intenta comme légitime héritière des Bourbons; son fils l'aidait de son autorité, cassait, suivant les besoins de la cause, les actes qui gênaient les prétentions de Louise, révoquait directement les libéralités faites aux Bourbons par Charles VIII et Louis XII, enfin suspendait, sous prétexte des préparatifs de guerre, le payement des gages et grosses pensions du connétable. Charles de Bourbon voyait sa ruine se préparer dans des intrigues de cour et par des mains féminines, deux influences qu'il méprisait. Il songea qu'il était cependant encore souverain dans ses domaines, comme l'avaient été, le temps n'en était pas si loin, le duc de Bourgogne ou le duc de Bretagne, et que se défendre, même en s'appuyant❘ sur l'étranger, comme ceux-ci l'avaient fait, était son droit. Il noua des intelligences avec les ennemis extérieurs qui menaçaient François Ier, et entra avec eux dans l'élaboration d'un plan odieux. Tandis que François devait faire tête aux Impériaux en Italie, le duc de Bourbon, resté en France et appuyé par un corps de lansquenets dirigés par la Lorraine et la Franche-Comté, devait soulever tous les gens de ses domaines et courir aux Alpes, afin de prendre le roi entre deux feux, pendant que l'effort de la coalition redoublerait sur toutes les frontières de la France. Celle-ci succombant, ses ennemis s'en partageaient les membres déchirés. La famille des Sforza reprenait le Milanais; Charles-Quint, le duché de Bourgogne, la Picardie et la Champagne; Henri VIII ne s'attribuait rien moins que tous les anciens domaines des Plantagenets, de Calais à Bayonne; enfin le connétable, se taillant un trône au milieu de ces débris, ajoutait à ses vastes domaines le Lyonnais, le Dauphiné, la Provence, avec lesquels il rétablissait l'ancien royaume d'Arles, et l'empereur lui donnait la main de sa sœur Éléonore. C'était faire la tentative si vaine de remonter le courant des âges; c'était appeler volontairement sur son pays des calamités inouïes; c'était ignorer que la nation française, sortie du morcellement féodal, était formée d'éléments communs si bien soudés par les siècles, qu'on ne pouvait, dès cette époque, désunir ce que la main de Dieu avait fait Un et inébranlable. Ce projet insensé cût été entravé à chaque pas; il avorta dès le premier. Charles de Bourbon, voyant que le roi tenait le fil de ses intrigues et ne tarderait pas à tout découvrir, disparut de Moulins presque aussitôt après que François en fut parti; quelques jours plus tard, il errait, fugitif, le long du Rhône, cherchant à sortir de France, accompagné d'un seul gentilhomme, le sire de Pompérant, et réduit à se faire passer pour son valet. Il gagna la Franche-Comté, courant vingt fois le risque d'ètre reconnu, et montrant moins d'énergie que son compagnon dans ce péril; enfin il arriva, presque seul, sur les terres de l'empire, pendant que dix à douze mille lansquenets, qui avaient pénétré dans la Bourgogne pour aller chercher l'armée qu'il avait promise, étaient obligés de faire une retraite désastreuse (septembre 4523). DÉFAITE DE PAVIE. LE ROI DE FRANCE PRISONNIER. Cependant le roi, ne sachant pas jusqu'où s'étendaient les intelligences du traître, jugea prudent de ne pas quitter la France. Il demeura à Lyon et laissa l'amiral Bonnivet diriger l'expédition d'Italie. Bonnivet passa l'automne et l'hiver en fausses manœuvres, essaya vainement d'entrer à Milan, vit son armée, qui comptait quarante mille hommes au début, se fondre par la misère et les maladies autant que par le fer des ennemis ou la stratégie savante de leurs généraux, Prosper Colonna, Charles de Lannoy, vice-roi de Naples, le marquis de Pescara, et le duc de Bourbon, qui les était venu joindre en chef d'aventuriers à la tête de six mille mercenaires. Au mois d'avril 4524, Bonnivet se trouvait en pleine retraite, repassant la Sesia pour gagner la France. L'armée des confédérés italiens-espagnols arriva sur le fleuve presque en même temps que lui, et comme il était à l'arrière-garde, soutenant valeureusement leur effort, une blessure grave le mit hors de combat. Il céda le commandement à Bayard, dont la fermeté sauva le reste de l'armée, mais au prix de sa propre vie. « Y eust de noz gens beaucoup de deffaictz, et par espécial le cappitaine Bayard y fut tué, et sa bande, qui estoit de cent lances (huit cents chevaux), deffaicte et quasi tous tuez.» (Bourg. de Paris.) Cette mort fut digne de ce qu'avait toujours été la vie du «chevalier sans peur et sans reproche. » Atteint d'une arquebusade qui lui avait traversé la colonne vertébrale, il refusa de se retirer, disant qu'il n'avait jamais tourné le dos à un adversaire. «Il se fit coucher au pied d'un arbre, le visage devers les ennemys, où le duc de Bourbon, lequel estoit à la poursuite de nostre camp, le vint trouver, et dit au dit Bayard qu'il avoit grand pitié de luy, le voyant en cest estat, pour avoir esté si vertueux chevalier. Le capitaine Bayard lui fit réponse: « Monsieur, il n'y a point de pitié en moy, » car je meurs en homme de bien; mais j'ay pitié » de vous de vous veoir servir contre vostre prince » et vostre patrie et vostre serment. » Et peu après le dit Bayard rendit l'esprit. » (Du Bellay.) ་་ L'armée française repassa les Alpes en toute hâte, et l'ennemi se mit en devoir de profiter aussitôt de son avantage. « Arriva mandement au vice-roy (de Naples) de la part de l'empereur et du roy d'Angleterre, par lequel luy estoit commandé qu'ayant mis nostre armée hors d'Italie, suivant la victoire il eust à faire faire l'entreprise sur le royaume de France; car ils se promettoient de grandes choses par la faveur et intelligence que le seigneur de Bourbon disoit avoir en France. Et pour cet effect avoient esté envoyez de la part de l'empereur deux cent mille écus à Gennes, avecques autre grosse somme de deniers que devoit le roy d'Angleterre contribuer tous les mois pour la dite exécution. Pour conduire l'armée fut ordonné monsieur de Bourbon chef, le marquis de Pesquaire en sa compagnie, avecques quinze mille hommes de pied, deux mille chevaux et dix-huict pièces d'artillerie. Le duc de Bourbon, suivant son desseing, se persuadoit qu'estant arrivé en ce royaume, la pluspart de la noblesse se retireroit à luy; de laquelle espérance il fut frustré.» (Du Bellay.) En effet, l'invasion de la Provence par Charles de Bourbon, à la tète des Impériaux, n'eut aucun succès, et lui-même ne voulait que traverser cette province pour gagner le Bourbonnais et ses autres domaines, où il comptait sur des amis; mais les généraux que Charles-Quint lui avait associés pour le surveiller et le contenir se souciaient moins de seconder ses vastes projets que d'assurer à leur maître quelque solide position sur les côtes de la Méditerranée; ils l'entraînèrent malgré lui devant Marseille, après avoir reçu en passant la soumission d'Antibes, Fréjus, Aix, Toulon, et d'autres villes sans défense. Marseille fit une résistance héroïque (19 août-28 septembre), et François Ier ayant eu le temps de rassembler une armée considérable qui se dirigea à grandes marches au secours de la ville assiégée, les Impériaux décampèrent au plus vite et reprirent, en perdant beaucoup de monde, le chemin par où ils étaient venus. François Ier était sur leur flanc avec quarante mille hommes; il avait ramassé de l'argent, organisé la défense de ses frontières, pourvu au gouvernement en laissant la régence à Louise de Savoie ; il voulut, quoiqu'on fût déjà au mois d'octobre, passer encore en Italie et mettre à profit le récent échec de Bourbon et de Pescara. En effet, l'événement répondit à ses espérances; les ennemis continuèrent à fuir devant lui, sortirent par une porte de Milan tandis qu'il entrait par l'autre, et se retirerent sur l'Adda, laissant seulement des garnisons derrière eux. Le succès semblait assuré; la population, maltraitée par les lansquenets et les Espagnols, revenait aux Français; le nouveau pape, Jules de Médicis (Clément VII), voulait le repos et la tranquillité de l'Italie; enfin, Charles-Quint offrit la paix. « Pour icelle faire, l'empereur laisseroit le duché de Milan au roy paisible, moiennant que le filz puisné de feu Ludovic auroit Crémone et le Crémonois, et l'empereur demeureroit paisible possesseur du royaume de Naples moiennant cent mille livres ou cent mille escus d'or qu'il bailleroit chacun an au roy, et le roy bailleroit Hédin à l'empereur, qu'il tenoit, et l'empereur rendroit au roy la ville de Tournay; et d'avantage que M. de Bourbon devoit ravoir sa duché de Bourbonnoys, d'Auvergne, et tous ses pays et seigneuries; et dit-on que le roy de France estoit content ainsi le faire; mais madame la régente ne monsieur le chancelier n'en furent d'oppinion et ne s'y vouloient consentir, parquoy tout demeura, ་་ qui fut un gros dommaige veu les choses advenues depuis.» (Bourg. de Paris.) La guerre continua donc. François, pour compléter ses avantages, crut devoir réduire immédiatement les places où l'ennemi avait, en se retirant, laissé des garnisons, et il vint mettre le siége devant Pavie (28 octobre). Les Impériaux, de leur côté, profitèrent de ce répit pour se reconnaître, se fortifier et enrôler de nouvelles troupes; Charles de Bourbon, qui apportait dans cette lutte un acharnement furieux, courut en Allemagne et ramena douze mille lansquenets. Après avoir essuyé les fatigues de l'hiver, l'armée française affaiblie, trés-diminuée, et toujours arrêtée devant Pavie qu'elle n'avait pu prendre, se trouva environnée de troupes fraîches, libres de leurs mouvements et supérieures en nombre. Les vieux généraux voulaient qu'on se retirat et qu'on se gardat d'accepter le combat; on savait qu'en temporisant quinze jours l'armée ennemie, composée en grande partie de mercenaires, «faulte de paiement s'en iroit en fumée. » François, infatué de ses vieilles maximes chevaleresques, aima mieux suivre l'avis de l'amiral Bonnivet, qui déclarait indigne du roi de reculer devant le traître Bourbon, et, comme le dit l'historien Martin du Bellay, «estant prince magnanime, ou Dieu l'ayant ainsi ordonné, il ne voulut jamais tourner la tête ailleurs que devers l'ennemy. » L'ennemi se hata de venir présenter la bataille. Ses chefs, Bourbon et Pescara, avaient résolu ou de secourir Pavie, ou de forcer les Français à combattre, et le 24 février (1525), deux heures avant le jour, ils commencèrent un mouvement hardi qui devait avoir ce résultat. Ils avaient à passer, à portée du canon, devant les lignes françaises. Lorsqu'elle arriva sous ce feu, bien dirigé par le vieux maître de l'artillerie Galliot de Ginouilhac, l'avant-garde espagnole en souffrit si fort que « n'eussiez veu que bras et testes voler.» (Du Bell.) Celui qui la commandait, del Vasto, fit prendre à tout son monde le pas de course, afin d'éviter le mieux possible cette terrible canonnade, et d'aller se reformer à quelque distance, à l'abri d'un pli de terrain. A la vue de ces coureurs éparpillés, François Ier, en capitaine incapable, s'écria, comme Bonnivet et les autres jeunes courtisans dont il était entouré: « Ils fuient; chargeons-les! » L'élite de la gendarmerie de France, passant aussitôt devant l'artillerie, qu'elle rendit dès lors inutile, s'élança sur ces prétendus fuyards, qui la reçurent de pied ferme; dès lors les Impériaux avaient atteint leur but. Jusque-là François Ier suppléait à ses désavantages par une forte position; il venait de la perdre. En vain il fit des prodiges de valeur, ainsi que ceux qui l'accompagnaient; toute sa brillante noblesse, ses généraux les plus renommés, furent accablés et massacrés : le vieux Louis de la Trémouille, agé de soixante-quinze ans, le fameux la Palisse maréchal de Chabannes, le comte de Tonnerre, le frère du marquis de Lorraine, le sire de Laval, le duc de Longueville, furent tués; Tho ་་ |