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universelle. François Ier s'attacha à continuer ses alliances avec l'Angleterre et la Turquie, à en former de nouvelles avec les États scandinaves, à prêter son appui aux luthériens allemands, et à donner toute l'attention que lui laissait le soin de ses plaisirs à l'administration de son royaume. Il s'occupa de fortifier la marine, déjà puissante, et de créer une infanterie nationale sur laquelle put toujours compter, tandis que les lansquenets et surtout les Suisses faisaient souvent la loi au lieu d'obéir. Malgré l'opposition de la noblesse, qui n'aimait pas voir les paysans se familiariser avec le maniement des armes, plusieurs édits décrétèrent la formation de sept corps de fantassins répartis par provinces, recevant une solde régulière assez élevée, astreints à deux montres (revues) par an, en temps de paix, et dont les hommes devenus invalides pouvaient espérer une sorte de retraite pour leurs vieux jours dans les places fortes (1534). Cette innovation importante reçut extérieurement quelque chose de savant et de recherché qui nuisit sans doute à la solidité de l'institution. Chaque corps était composé, «à l'exemple des Romains», dit l'édit, de six mille hommes, et devait être appelé légion. Il se subdivisait en compagnies, cohortes et centuries; chaque chef de cohorte devenait chevalier, et les belles actions devaient être récompensées par un anneau d'or.

Cet état d'utile occupation à l'intérieur et de calme dura jusqu'à la fin de l'année 1535.

SUITE ET FIN DE LA LUTTE ENTRE CHARLES-QUINT ET FRANÇOIS I".

Le duc de Milan, Francesco Sforza, fit mettre à mort, en 1533, un de ses sujets que le roi de France avait accrédité auprès de lui comme agent diplomatique. Cette exécution lui avait été imposée par Charles-Quint. François Ier s'en plaignit avec hauteur, et annonça qu'il en tirerait vengeance par les armes. Il ne se hata point; mais au mois de septembre 4535, comme Charles-Quint débarquait à Naples, au retour d'une glorieuse expédition contre la puissance maritime des Turcs, une armée française se disposait à franchir les Alpes. Sur ces entrefaites, le duc de Milan mourut (le 44 octobre) sans laisser d'héritier. François Ier remit alors en avant ses prétentions héréditaires sur le Milanais, et espéra amener l'empereur, par la voie des négociations, à lui en conférer l'investiture. En attendant, il ne laissa pas son armée inactive, et par un dessein résolu à l'avance, dessein de politique habile, mais d'injustice flagrante, il l'employa à conquérir les États du duc de Savoie. Ce vieil allié des rois de France, le duc Charles III, qui depuis le commencement de son règne (4504) avait tant de fois laissé passer nos armées à travers les Alpes, dont il était le gardien naturel, n'avait pas pu conserver la neutralité, comme il l'eût désiré, entre le roi François, son neveu, et l'empereur, son beau-frère. A l'instigation de Charles-Quint, il avait refusé

cette fois, aux Français, le passage. Aussitôt François Ier, suscitant contre lui un amas de querelles iniques, lui réclama le Faucigny, Nice et le Piémont, du chef des anciens comtes de Provence; la Bresse, du chef de sa mère; Asti et Verceil, du chef des ducs d'Orléans; puis, ayant envahi le pays avec une vigueur à laquelle le duc ne put opposer qu'une faible résistance, il le garda. Cette agression indirecte remplit Charles - Quint de dépit; il renvoya avec colère les ambassadeurs français qui cherchaient encore à traiter, et quelques mois après (25 juillet 1536), il entrait en Provence par Nice et le Var, après avoir repris le Piémont, que les Français ne défendirent pas, et donné des ordres pour que deux armées allemandes envahissent la Picardie et la Champagne.

Étendant sans cesse sa puissance avec un bonheur constant, fier de sa récente victoire sur Soliman, Charles méprisait certainement ce rival qui ne se lassait pas de lui nuire malgré la disproportion de ses forces, et il s'était emporté jusqu'à faire entendre qu'il ferait de lui « le plus pauvre gentilhomme de son royaume. » Il arriva en Provence avec cinquante mille hommes. Le duc de Montmorency, chargé de la défense, avait trop peu de troupes pour résister; mais, en homme impitoyable, il envoya ses soldats ravager eux-mêmes tout le pays, brûler les récoltes, détruire les vivres, combler les puits, raser les villages, et «vider de toutes choses », après les avoir démantelées, jusqu'aux villes comme Antibes, Toulon, Tarascon, Grasse, Digne, même Aix. La malheureuse Provence fut ruinée pour un siècle; mais Charles-Quint, enfermé dans un pays dévasté, où ses gens n'avaient à combattre que la fatigue, la faim et les maladies, à moins qu'ils ne fussent surpris en petits détachements par la cavalerie ennemie, ou même par la population exaspérée, vit peu à peu se fondre son armée redoutable; il alla s'assurer par lui-même que Marseille était trop bien défendue pour qu'il fût possible de l'attaquer; puis il revint sur ses pas par le même chemin et repassa le Var le 23 septembre, laissant sur cette terre qu'il avait envahie avec tant d'arrogance la moitié de son monde et sa réputation d'invincible. Ses armées de Champagne et de Picardie n'eurent pas beaucoup plus de succès. Elles saccagèrent Guise, mais furent repoussées devant Péronne et Saint-Riquier, villes héroïques où les femmes elles-mêmes prirent les armes pour aider à la défense. Les opérations militaires continuèrent dans la Flandre et le Piémont pendant l'année suivante (4537); le terrible allié de François Ier, allié dont il avait honte, Soliman, vint de nouveau attaquer Charles-Quint par mer jusque sur la côte de Calabre, et terrifier la Hongrie; enfin Paul III, pape d'un grand caractère (1534-1549), interposa sa médiation et obtint qu'on déposat les armes. Le roi renonça volontiers à ses accointances turques, et sacrifia sans scrupule ses alliés d'Allemagne; l'empereur en fit autant du duc de Savoie, dont les États restèrent unis

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ment fut déterminé par l'espérance qu'il avait de faire conférer l'investiture du Milanais à l'un de ses fils; mais Charles ne lui donna à cet égard que

(") Ce tombeau est en marbre blanc rehaussé de moulures en marbre gris et noir. Il a été construit sur les dessins du célèbre architecte Philibert Delorme. On ne connaît pas les noms de tous les sculpteurs qui ont concouru à l'ornementation. C'est Pierre Bontemps qui a fait le basrelief dont le sujet principal est la bataille de Cérisoles. Germain Pilon est l'auteur des figures allégoriques d'enfants placées sous la grande voûte du tombeau. D'autres parties ont été sculptées par Jacques Chantrel, Bastien Galles, Pierre Bigoigne et Jean de Bourges. Rien n'établit positivement que Jean Goujon ait sculpté les statues couchées du roi et de la reine. (Voy. les bas-reliefs, p. 20 et 21.)

des promesses, tandis que le mécontentement des réformés d'Allemagne, de Suisse et d'Angleterre eut son effet immédiat. François, cependant, saisit une occasion qui s'offrit de prouver avec ostentation la sincérité de son amitié nouvelle. L'empereur, pour soutenir ses vastes combinaisons, n'avait pas assez de ses ressources ordinaires grossies des trésors de l'Amérique; il écrasait ses sujets d'impositions de tout genre. La ville de Gand, sa ville natale, si puissante autrefois et si fière de ses libertés, s'irrita de ces exactions, et fit secrètement offrir au roi de France de se révolter ouvertement et de soulever la Flandre entière si, comme ancien suzerain du pays, il consentait à

recevoir sa soumission et à l'aider de ses armes (août 1539). François Ier ne se contenta pas de fermer l'oreille à ces propositions; il envoya en Espagne en informer Charles-Quint, et lui offrir de traverser librement la France pour chatier plus promptement les rebelles. Il se leurrait encore de la pensée d'obtenir, à force de générosité, les concessions qu'il désirait. Charles s'empressa de mettre à profit cette condescendance, traversa la France en recevant partout sur son passage un accueil triomphal, fut accompagné par les enfants du roi depuis la Bidassoa jusqu'à Valenciennes, et magnifiquement traité par François lui-même ; il se rendit à Gand, qui ne fit aucune résistance, et qu'il n'en punit pas moins avec cruauté; mais, rendu sur ses terres, il se défendit nettement d'avoir rien promis à l'égard du Milanais. François Ier était dupe encore une fois des sentiments chevaleresques. Il refusa les propositions nouvelles par lesquelles l'empereur essaya de pallier sa mauvaise foi, et toutes négociations entre eux furent rompues (1540).

A la rupture succédèrent bientôt les hostilités. François se rapprocha de ses anciens alliés, brava de nouveau le scandale en joignant ses flottes à celles de Soliman pour dominer dans la Méditerranée, et lança sur le Luxembourg, la Flandre, le Brabant, le Piémont et les Pyrénées, cinq armées à la fois. Celle du Piémont, qui comptait environ vingt-quatre mille hommes, commandés par un prince de la maison de Bourbon, le comte d'Enghien, gagna, le 22 avril 1544, la glorieuse bataille de Cérisoles, où l'un des plus fameux capitaines espagnols, del Vasto, complétement battu, laissa sur le champ de bataille toute son artillerie et douze mille de ses meilleurs soldats; mais, sur les autres points, la guerre dura pendant toute l'année et les trois années suivantes, portant ses ravages tantôt sur le Luxembourg et d'autres terres de l'empire, tantôt au cœur de la Champagne, sans rien produire de décisif. Henri VIII, que l'empereur avait su rattacher à sa cause, devait marcher de concert avec lui sur Paris; heureusement il s'arrêta à faire le siége de Boulogne, tandis que les troupes impériales s'emparaient de SaintDizier, d'Épernai, de Château-Thierry, et que l'armée de défense, aux ordres du Dauphin, était refoulée jusqu'à Meaux et Lagny. L'alarme était dans Paris, dont les habitants commençaient à fuir vers la Loire, et François Ier, si constamment malheureux malgré ses vaillants efforts, s'écriait, désespéré : « Tu me fais payer cher, ô Dieu, cette couronne que je croyais avoir reçue de ta main comme un don! » (Brantôme.) Cependant CharlesQuint, en s'avançant si loin en pays ennemi sans être appuyé par les Anglais, s'était un peu aventuré; sa ligne de retraite commençait à être menacée; il rétrograda, puis, n'espérant pas obtenir de plus grands avantages, il offrit la paix. La paix fut acceptée et signée à Crespy, le 18 septembre 4544. Il fut convenu que les conquêtes faites seraient rendues de part et d'autre, mais que l'em

pereur donnerait sa fille ou sa nièce au second fils du roi, le duc d'Orléans, avec le Pays-Bas ou le Milanais en dot, et que les États du duc de Savoie resteraient entre les mains de François Ier jusqu'à l'accomplissement du mariage. La mort du duc d'Orléans, arrivée l'année suivante, rendit cette clause inutile.

Trois jours après la signature du traité de Crespy, le roi d'Angleterre avait pris Boulogne; il voulut continuer la guerre. Il continua en effet, pendant deux ans, une lutte qui n'aboutit qu'à des ravages réciproques sur les deux rives de la Manche, et se décida enfin à traiter, et même à promettre de rendre Boulogne dans huit ans, moyennant deux millions d'écus (7 juin 1546). Il mourut au bout de huit mois.

François Ier le suivit de près. Miné depuis longtemps par des maux dus à ses excès, usé par une vie de labeurs et de soucis presque autant que de plaisirs, il expira le 31 mars 1547, àgé seulement de cinquante-deux ans. Son règne n'avait pas été heureux, et nous n'avons rien dit encore des persécutions religieuses par lesquelles il fut assombri; mais il brilla d'un singulier éclat par l'amour que montra le prince pour les lettres, les arts et tous les plaisirs de l'intelligence. S'il fut inférieur à Charles-Quint, du moins il soutint la lutte avec courage, et il put avoir, en mourant, la consolation de laisser la France intacte dans son territoire et grandie dans sa renommée, car elle avait combattu presque seule, durant trente ans, contre la moitié de l'Europe.

LA RÉFORME.

Les peintures que les auteurs chrétiens nous ont transmises de l'état de dégradation morale où la Rome païenne était tombée dans le bas-empire (t. Ier, p. 86) pouvaient de nouveau servir au commencement du seizième siècle, et représenter aussi bien la Rome chrétienne. On frémit d'horreur et de dégoût en lisant l'histoire d'un pape Alexandre VI, par exemple; et quant à dire ce qu'était la vie d'un grand nombre de cardinaux, d'évêques, de curés, de moines et de religieuses, non-seulement en Italie, mais dans toute l'étendue de la chrétienté, nous n'oserions rapporter ici les détails qu'en donnent les écrivains du temps. L'avarice, ou du moins la soif d'argent, était le moindre des vices de l'Église, quoique partout il parût au peuple le plus difficile à supporter.

Cependant, les lumières gagnant du terrain chaque jour, les scandales ne pouvaient plus passer sans bruit. Dès les premières années du siècle, l'idée se répandit en France et en Allemagne de la nécessité d'une réforme dans l'Église. C'était le vœu des âmes pieuses, qui voyaient le vieil édifice religieux du moyen àge s'affaisser et s'en aller en poussière, à moins qu'on ne se hatât de restaurer les mœurs du clergé, et peut-être d'examiner certaines parties du dogme. Du moins

l'esprit de critique s'enhardit peu à peu. En Allemagne, Martin Luther, moine augustin à Erfurt (en Saxe), parla le premier et osa tout. En 1547, il attaqua le trafic des indulgences que le pape faisait vendre à son profit dans toute l'Europe; immédiatement après, il publia ses quatre-vingtquinze propositions contre les doctrines de l'Église; et en 4520 il était excommunié comme hérétique pour avoir hautement attaqué la suprématie du pape, les vœux monastiques, le célibat des prêtres, les dignités ecclésiastiques, la possession des biens temporels par le clergé, le culte des saints et des reliques, l'existence du purgatoire, les commandements de l'Église, la confession, la messe, la communion sous une seule espèce, et la présence réelle du corps de Jésus-Christ dans l'hostie consacrée. Luther, à son tour, livra aux flammes, en place publique, la bulle qui l'excommuniait, avec toutes les décisions papales, et, en 4524, la moitié de l'Allemagne était en armes pour défendre, contre le saint-siège et l'empire son allié, les doctrines du moine rebelle.

En France, les premiers bruits de réforme n'eurent point cet éclat ni cette gravité. Les nouveautés religieuses nées de l'esprit d'examen tendirent d'abord à s'y implanter doucement et lentement, c'està-dire par des moyens plus pratiques et plus sûrs. Mais les impatients, et ce furent la plupart des premiers réformés, refusèrent de s'accommoder des lenteurs. Ils repoussèrent avec dédain les hommes doux et de bonne volonté : ceux d'Allemagne le savant Érasme, ceux de France l'évêque Briçonnet, qui désiraient régénérer l'Église sans se séparer d'elle, et dont l'œuvre eût été, les années aidant, plus radicale qu'une réforme. L'intelligence même et la précipitation humaines vinrent gåter le travail divin du temps.

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Guillaume Briçonnet, fils d'un ministre favori de Charles VIII et de Louis XII, était du nombre de ces prélats lettrés de la renaissance, plus zélés pour le culte de l'esprit et des arts que pour celui de l'Église. Étant abbé de Saint-Germain des Prés, en 4507, il recueillit dans son abbaye un savant professeur, Jacques le Fèvre, d'Étaples en Picardie, qui s'était acquis une grande réputation par de profondes études sur toutes les parties de la science profane, et qui souhaitait une tranquille retraite pour méditer à loisir la théologie et les textes sacrés. Jusque-là, disait-il (en 4509), il s'était attaché aux études humaines; mais les études divines, qu'il n'avait fait encore que toucher du bout des lèvres, l'avaient frappé dans le lointain comme une lumière brillante, et lui avaient paru exhaler un parfum dont rien sur la terre n'égale la douceur. » Il se livra donc avec ardeur à l'étude de la Bible, et publia, en 4542, cinq ans avant l'apparition de Luther, un commentaire latin sur les Épîtres de saint Paul où l'on trouve un grand nombre d'opinions qui, sans être toutes de celles qu'adopta plus tard la réforme, s'éloignaient complétement des principes enseignés par l'Église romaine. Ainsi,

le Fèvre admettait le salut des païens vertueux et rejetait le sacrifice de la messe. Les mêmes pensées, produites de même par les inquiétudes d'une piété ardente, agitaient aussi un jeune gentilhomme dauphinois, Guillaume Farel, né à Gap en 1489, et venu à Paris pour y faire des études théologiques. Ces deux hommes se rencontrèrent, également tourmentés par la ferveur religieuse, et quoique le Fevre fût de trente-quatre ans plus âgé que Farel, ils mirent en commun quelques-unes de leurs études et tous les doutes qui troublaient leur dévotion. « Pour vray, écrivait Farel plus tard, la papauté n'estoit et n'est tant papale que mon cœur l'a esté... S'il y avoit personnage qui fust approuvé selon le pape, il m'estoit comme Dieu...>> Et ailleurs il ajoute, en parlant de le Fèvre, son maitre « Il faisoit les plus grandes révérences aux images (de la Vierge et des saints) qu'autre personnage que j'aye cogneu; et, demeurant longuement à genoux, il prioit et disoit ses Heures devant icelles; à quoy souvent je lui ay tenu compagnie, fort joyeux d'avoir accez à un tel homme.»> D'autres pensionnaires, accueillis par l'abbé de.. Saint-Germain des Prés, formèrent avec le Fevre et Farel un petit groupe de libres penseurs qui gagna un peu l'abbé lui-même.

En 4518, Guillaume Briçonnet, alors évêque de Meaux, suivant le cours des mêmes idées, entreprit de réformer les mœurs et les croyances de son diocèse. Il confia à le Févre l'administration hospitalière de Meaux, interdit la chaire aux cordeliers et autres religieux, et appela de Paris, pour les remplacer, de pieux prédicateurs, parmi lesquels figuraient Guill. Farel, maître Michel d'Arande, Gérard Roussel, maître ès arts, Jean le Comte et Jacques Pauvant, de Boulogne. Ce furent les premiers qui préchèrent la réforme en France. Leur succès fut grand. Le Fèvre publia en même temps des livres bien autrement efficaces que ceux auxquels il s'était borné jusque-là : ce fut une série de traductions des différentes parties de la Bible en langue vulgaire. Il commença, en 1521, par les Épitres de saint Paul; puis il donna successivement les quatre Évangiles (juin 1523), les Actes des apôtres (octobre), l'Apocalypse (novembre), les Psaumes de David (4525), les cinq livres de Moïse (4528). Guill. Briçonnet faisait distribuer gratis la traduction des quatre Évangiles, et il fonda un séminaire pour former de jeunes prètres à un pur enseignement de la doctrine religieuse. Les habitants de Meaux et des villages d'alentour, séduits d'ailleurs par l'appât de la nouveauté, furent entraînés par les discours d'hommes qui joignaient à l'éloquence de leurs paroles celle d'une piété austère; bientôt le diocèse fut en grande partie gagné à des croyances anticatholiques, sans que ni l'évêque ni le Fèvre d'Étaples eussent eu la moindre intention d'attaquer l'Église de Rome, ni de se séparer d'elle. Le peuple lui-même se montra fort zélé. « Les artisans, comme cardeurs, peigneurs et foulons, n'avoyent autre exercice, en travaillant de

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leurs mains, que conférer de la parole de Dieu et se consoler en icelle. Et spécialement dimanches et festes estoyent employés à lire les Escriptures. »> (Crespin, Hist. des martyrs.)

Ce mouvement, commencé à petit bruit, reçut une impulsion active, par contre-coup des événements que les mêmes idées soulevaient, mais avec beaucoup plus d'ampleur, de l'autre côté du Rhin. Les livres de Luther se répandirent rapidement en France. Un gentilhomme de l'Artois, nommé Louis de Berquin, homme d'une piété sévère, qui avait lu d'abord pour les combattre ces écrits hérétiques, fut le premier à les traduire, à les publier, ainsi que ceux d'Érasme, et à les répandre autour de lui. Bientôt la réforme germa sur divers points de la France éloignés de Paris et de Meaux. Guill. Farel forma quelques disciples en Dauphiné, notamment deux religieux cordeliers nommés Pierre de Sebville et François Lambert. Par la proximité de la Suisse, les doctrines nouvelles se répandirent à Lyon et à Mâcon, tandis que de l'Allemagne elles gagnaient naturellement la Lorraine et le comté de Montbéliard. La facilité avec laquelle elles étaient acceptées, surtout par les esprits éclairés et les personnages de marque, sembla, jusqu'à l'année 4525, leur présager un facile triomphe, quelque vive que dût être l'opposition du clergé.

Le vénérable le Fèvre d'Étaples et l'évêque de Meaux avaient soufflé leurs doutes dans l'âme d'une femme dont le rang et l'influence leur assurait une puissante protection. C'était Marguerite d'Orléans, duchesse d'Alençon, la sœur aînée du roi, et qu'on a souvent nommée, avec raison, « son bon ange. »> Marguerite, belle et savante princesse, qui avait étudié non-seulement le latin, le grec et l'hébreu, mais la philosophie et la théologie, entretint pendant trois années (1521 à 1524), avec l'évêque de Meaux, une correspondance (nous l'avons encore: gr. Biblioth., suppl. fr. 337) qui roulait sur les matières religieuses, et dans laquelle on voit, par les citations dont son style abonde, qu'elle cherchait la vérité, comme tous les réformés, dans une fréquentation assidue de la Bible. Dès lors elle s'efforça de faire partager ses dispositions par le roi son frère et par leur mère. Au mois de décembre 1524, elle écrivait à Briçonnet que « le roi et Madame étoient plus que jamais affectionnés à la réforme de l'Église »; et l'évêque lui répondait en lui parlant du « vray feu qui s'étoit logé de longtemps en son cœur (celui de la duchesse), en celui du roy et de Madame, par grâces si trèsgrandes et abondantes qu'il n'en connoissoit point de plus grandes. » Louise de Savoie, en effet, écrivait, une année après, dans le petit Journal qu'elle a laissé des principaux événements de sa vie, ce paragraphe, que les plus virulents réformateurs n'eussent point désavoué : « L'an 4522, en décembre, mon fils et moi, par la grâce du Saint-Esprit, commençâmes à cognoistre les hypocrites blancs, noirs, gris, enfumés, de toutes les couleurs, desquels Dieu, par sa clémence et bonté

infinie, nous veuille préserver et deffendre; car si Jésus-Christ n'est menteur, il n'est point de plus dangereuse génération en toute nature humaine.»

Mais les religieux, que Louise de Savoie maltraitait ainsi, le clergé tout entier, et, après eux, tous les gens attachés par l'affection et par l'habitude aux traditions du passé, notamment les membres des tribunaux, chargés de veiller au maintien des coutumes établies, s'élevèrent avec force contre ces nouveautés, et réclamèrent, à l'égard de leurs auteurs, l'application des lois barbares que le moyen âge avait portées contre les hérétiques. Ils commencèrent par inquiéter le Fèvre d'Étaples au sujet de ses ouvrages, par faire saisir (mai 4523) ceux de Luther et la personne mème de son traducteur, Louis de Berquin, auquel on fit son procès. Ils proférèrent de telles clameurs contre l'évêque de Meaux et ce qui se passait au sein de son diocèse, que Guill. Briçonnet, dans sa frayeur, abandonna ses protégés et ses convictions. Le 45 octobre 1523, il publia divers mandements destinés à rendre son orthodoxie manifeste : les uns enjoignaient expressément l'invocation de la Vierge, celle des saints, les prières pour les morts, la croyance au purgatoire; un autre défendait de lire ou de détenir les livres de Luther; un autre, qui parut au mois de décembre, ordonnait aux curés et vicaires d'interdire la chaire aux prédicateurs suspects de doctrines luthériennes. La protection de Marguerite d'Orléans et des autres membres de la famille royale tempéra le premier ressentiment de ceux qui se voyaient attaqués par les innovateurs dans ce qu'ils avaient de plus cher. Le Fèvre d'Étaples, âme douce et paisible, consentit à se taire, et obtint à ce prix le repos de ses vieux jours; Berquin fut rendu à la liberté par ordre du roi. Un autre traducteur de Luther, Antoine Papillon, fut pris par Marguerite sous sa protection spéciale; elle le nomma son aumônier. Il n'y eut qu'un pauvre cardeur de Meaux, nommé Jean le Clerc, qui, ayant affiché à la porte de la cathédrale que le pape était l'Antechrist, fut battu de verges et marqué au front d'un fer rouge. Sa mère, en le voyant flétrir par la main du bourreau, s'écria, du milieu de la foule : « Vive Jésus-Christ et ses enseignes! »

Ce Jean le Clerc était destiné à ouvrir la liste des martyrs français de la réformation. L'auteur du Martyrologe protestant, l'avocat Crespin, qui recueillit et publia à Genève, dès l'an 4554, les actes authentiques et procédures relatives aux « personnes qui ont constamment enduré la mort pour le nom du Seigneur », raconte ainsi sa fin, qui eut lieu l'année suivante : « De Meaux, le Clerc se retira à Rosoy en Brie, et de là à Metz en Lorraine, auquel lieu il demeura quelque temps, travaillant de son mestier de cardeur. Advint, un soir précédant le jour auquel se devoit faire certaine procession solennelle à une petite lieue hors des murailles de Metz, que ce personnage, esmeu de zèle et affection ardente, sortit de la ville et passa la nuict audict lieu, où il rompit les idoles

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