qui devoient être le lendemain adorées. Le matin, les chanoines, prestres et moines, ayant là conduit tout le peuple, et trouvant leurs idoles rompues et mutilées, esmeurent toute la ville à chercher l'autheur de ce fait, qui fut tantost trouvé, car, avec l'opinion que ja on avoit de lui, aucuns l'avoyent veu ce jour mesme revenant en la ville dès le point du jour. Par quoy il fut apréhendé, et incontinent confessa le faict, et en rendit raison devant le peuple; tellement qu'avec fureur et rage on demanda qu'il fust incontinent traîné à la mort. Son procès sommairement faict, après qu'il eut maintenu devant les juges une pure doctrine du Fils de Dieu (qui lors estoit bien peu conue), il fut mené au lieu du dernier supplice, et là endura une horrible espèce de mort car on lui coupa premièrement le point dextre; puis le nez lui fut arraché avec tenailles, les deux bras tenaillez et les deux mammelles arrachées. Il n'y eust homme qui ne fust esmeu et estonné, voyant une constance si grande que Dieu donna à ce sien serviteur, lequel, en ses tourments, prononça comme en chantant ces versets du psaume 145: « Leurs idoles sont or et » argent, ouvrage de mains d'homme, etc. » Il finit le surplus de la vie qui lui restoit au corps par le feu, selon que sa condamnation le portoit. » La ville de Metz se signala en brûlant encore, la même année 4524, un partisan de la réforme qui n'avait commis que le crime de répandre ses idées par la parole; c'était un religieux de l'ordre des frères ermites de Saint-Augustin, nommé Jean Châtelain, et docteur en théologie. Metz n'appartenait pas encore à la France. Mais l'année 1525 fit surgir des circonstances nouvelles et fatales. Une insurrection de paysans allemands, soulevés au nom des doctrines prêchées par Luther, commit de sanglants excès sur les bords du Rhin, porta l'effroi dans la Lorraine et la Champagne qu'elle menaça de saccager, et acheva de donner, en France, un sens odieux à la qualification de luthérien. La bataille de Pavie, la prise du roi, l'intensité des malheurs publics, semblèrent à beaucoup un châtiment du ciel irrité contre l'hérésie et ceux qui la favorisaient, ou du moins le clergé ne manqua pas de le proclamer très-haut; et, par un revirement qui se fit immédiatement sentir, les conseillers du gouvernement et la régente surtout, la mère du roi prisonnier, obéirent à la nécessité de resserrer les liens de l'État avec l'Église et avec toute la hiérarchie ecclésiastique. Ce n'était pas le moment, en effet, lorsque la lutte de la France contre la prépondérance de la maison d'Autriche était si grave et si périlleuse, de favoriser la division. Les évêques, les parlements, la fameuse Université de Paris, la Sorbonne surtout, c'est-à-dire la Faculté de théologie, demandérent à grands cris des supplices. Le pape réclamait pour qu'on rétablit la sainte Inquisition, que Philippe le Bel et ses successeurs avaient proscrite. Par une sorte de compromis, il se contenta de confirmer dans ses pouvoirs une commission de quatre per sonnes, deux ecclésiastiques et deux laïques, nommée par le Parlement de Paris, sur la désignation de l'évêque de cette ville, pour rechercher et punir les fauteurs de ce que les fidèles catholiques ap-. pelaient «<l'impie et sale doctrine du scélérat et malheureux hérésiarque Martin Luther. »> Aussitôt la régente et son conseil, abdiquant, sous l'influence des terreurs du moment, toute propension à la bienveillance, envoyèrent aux cours de justice et grands officiers du royaume la circulaire suivante, qui doit être rapportée comme ayant été le premier pas fait dans une voie de cruautés dont la France devait être souillée pendant plus de deux siècles. Elle est datée du 17 mai 1525: Loyse, mère du roy, etc. Comme ainsi soit que nostre très-sainct père le pape, désirant extirper, éteindre et abolir cette malheureuse et damnée secte et hérésie de Luther, et garder et empescher que icelle ne pullule en cedit royaume, ait commis et député commissaires aucuns de nos très chers et bien amés conseillers du roy en sa cour de Parlement, à Paris, et autres bons et notables personnages, pour eux informer, vacquer et entendre à la répréhension, correction et pugnition de iceux qui ont esté ou seront trouvés tachés et infectés de cette malheureuse secte, ainsi que plus à plain est contenu et déclaré ès bulles que Sa Sainteté a, pour ce, fait expédier, cy attachées sous nostre contrescel. Nous, à ces causes, qui désirons singulièrement et de tout nostre cœur tels erreurs et hérésies estre éteintes et abolies, sachant entièrement le bon vouloir que le roy, nostredit seigneur et fils, a cette matière, comme roy très-chrestien, pour le bien et repos universel de toute la chrestienté, voulons, sur toutes choses, de nostre part, tenir la main à ce que une si bonne, si sainte et si salutaire œuvre sorte son plein et entier effet, suivant le bon vouloir, désir et. affection de nostredit saint Père, et vouloir du roy, nostredit seigneur et fils; vous mandons, commandons et expressément enjoignons que ausdits commissaires vous souffriez, et permettiez mettre lesdites bulles à exécution de point en point, selon leur forme et teneur, et à ce faire, leur donniez tout l'aide, port, faveur, conseil et assistance dont ils auront besoin et que vous requerront. a en Alors de tous côtés brilla la funèbre lueur des bûchers. Des magistrats, des prêtres, des religieux, dont un grand nombre sans doute étaient gens intègres, pieux, éclairés, se laissèrent entraîner, par les conseils de la colère et par un aveugle attachement pour de vieilles formules ou de vains simulacres, à commettre au nom de la loi des forfaits abominables devant Dieu. De leur côté, « ceux de la religion », comme on les appelait, loin d'accorder ce qui était juste aux esprits timorés et conservateurs, d'attendre, avec la patience chrétienne, la consécration du temps, prétendaient, avec une rigueur indomptable dans leurs croyances, à un triomphe immédiat. Une partie des dogmes que la chrétienté vénérait depuis quinze siècles et la plupart de ses pratiques étaient l'objet de leurs mépris; ils proféraient hautement leurs invectives; ils allaient jusqu'à blesser le peuple en mutilant les images des saints et les statues de la Vierge, symboles accessoires, mais plus familiers et plus chers à la multitude que les notions les plus élevées de la religion. La loi frappa dès lors les innová⚫teurs de toutes ses sévérités. La première victime fut un jeune étudiant en théologie, Jacques Pauvant, qui avait été l'un des prédicateurs appelés à Meaux par l'évêque Briçonnet. On l'avait arrêté une première fois à cause de la liberté de ses opinions sur la messe, et il s'était rétracté pour sauver sa vie (déc. 4524). « Depuis cela, il n'eut que regrets et soupirs, et les déclaroit souvent à ceux qui le visitoyent; de sorte que peu de temps après, et par escrit et devant les juges, il a tellement maintenu la pure confession de la religion chrestienne, et surtout le poinct de la cène, que derechef il fut emprisonné, condamné, et tost après bruslé vif, à Paris, en la place de Grève.» (Crespin, 28 août 1525.) Quelques semaines après, le même supplice fut infligé à un ermite des environs de Falaise, qui soutenait cette opinion particulière, que Jésus-Christ était fils de Joseph, et non du Saint-Esprit. Il fut, pour cela, condamné à mort, et brûlé à Paris, sur le marché aux pourceaux, dans ses habits d'ermite. Deux mois après (26 octobre), un gentilhomme poitevin, nommé Latour, subit le même supplice, au même endroit, parce que, se trouvant en Écosse (il était un des gens d'armes du duc d'Albany), il avait semé en ce pays plusieurs erreurs luthériennes. »> Son domestique, «pour avoir tenu la secte de Luther, dont il se repentit, par quoy n'en mourut »>, eut seulement la langue coupée, après avoir été battu de verges. L'an 4526 (17 fév.), « un jeune filz d'environ vingt et huict ans, licencié ès lois, nommé maistre Guillaume Hubert ou Joubert, filz de l'advocat du roy à la Rochelle, demeurant à Paris pour apprendre la practique, après avoir été prisonnier environ quinze jours seulement, fut par le bourreau mené en un tombereau devant l'église Nostre-Dame de Paris et devant l'église de SaincteGeneviefve, où il fit amende honorable, criant mercy à Dieu, à la vierge Marie et à madame saincte Geneviefye; et ce pour avoir tenu la doctrine de Luther et mesdit de Dieu, de NostreDame et des sainctz et sainctes de paradis. De là fut mené à la place Maubert, où il eut la langue percée, puis fut estranglé et bruslé.» (Bourg. de Paris.) D'autres furent mis en prison en attendant leur jugement, notamment Louis de Berquin et Clément Marot; quelques-uns furent suppliciés dans les provinces. ང་ François Ier, ami des gens lettres, qui étaient surtout ceux que frappaient ces rigueurs, envoya, de sa prison de Madrid, des ordres pour les tempérer, et, de retour en France (1526), il semblait qu'il dût les faire cesser tout à fait. Ses dispositions favorables donnaient à ceux de la religion de grandes espérances. Sa sœur Marguerite lui avait envoyé une traduction du Nouveau Testament pour le consoler dans sa captivité. Il nomma le Fèvre d'Étaples gouverneur de l'un de ses fils (4527). Un grand seigneur luthérien, le comte Sigismond de Hohenlohe, grand doyen du chapitre de Strasbourg, devait venir à Paris pour conférer avec lui, et faire luire à ses yeux les vérités de la doctrine nouvelle. Il avait été question aussi d'appeler de même à Paris, pour une conférence avec le roi, Mélanchthon, le plus doux et le plus persuasif des disciples de Luther. Mais les nécessités de sa politique jeterent François Ier dans des voies toutes différentes. Il devint lui-même persécuteur des réformés dans ses États, parce qu'il avait besoin du pape et de l'Église, tandis qu'il favorisait de ses encouragements et de ses secours les protestants (1) d'Allemagne, afin de trouver en eux un appui contre Charles-Quint. Les tribunaux, soit ecclésiastiques, soit laïques, continuérent donc leur œuvre. Dès 1528, la persécution devint furieuse. Un habitant de Rieux, nommé Denys, fut condamné au feu pour avoir parlé contre la messe. Guillaume Briçonnet se rendit auprès de lui dans la prison de Meaux, et le conjura de renoncer à ses opinions; il lui offrit même une pension s'il consentait à se rétracter; cet homme aima mieux souffrir une mort atroce. Deux religieux cordeliers, Étienne Combaville et Étienne Renier, prêchaient la réforme dans le Vivarais; on ne put saisir que le dernier, et on le brûla vif, à Vienne. Louis de Berquin, malgré la protection dont la cour l'avait longtemps couvert, subit le mème sort, à Paris, le 22 avril 4529. Le Martyrologe des réformés, qui ne mentionne pas tous les supplices, mais seulement ceux où les lecteurs pouvaient trouver quelque sujet d'édification, cite ensuite, en 1532, le martyre d'un prètre de Toulouse, nommé Jean de Caturce, « homme d'excellent savoir, accusé d'avoir fait diverses exhortations malsonnantes, et de ce que, « estant en un soupper la veille qu'on dit des Rois, il fut autheur à toute la compagnie qui là estoit, qu'au lieu de crier à la façon accoutumée: Le roi boit! on eut pour symbole du banquet: Christ règne en nos cœurs! >> En 4533, fut brûlé à Paris un religieux jacobin d'Évreux, nommé Laurent de la Croix, après avoir été « rudement traité par tortures plusieurs fois réitérées, en telle extrémité de cruauté, qu'une des jambes lui fut desrompue », et un chirurgien natif de Savoie, maître Jean Pointet. Mais le sang répandu enfantait des conversions ardentes. Un excès de zèle des néophytes de Paris acheva de décider François Ier à haïr la réforme, « disant qu'elle et toute autre secte tendoient plus à la destruction des royaumes, des monarchies et dominations, qu'à l'édification des âmes. » (Bran (') Nom qui appartient plus spécialement aux religionnaires allemands; il leur fut donné parce qu'ils protestèrent contre les restrictions apportées à la liberté de conscience par l'empereur dans une assemblée tenue à Spire, en 1529. Le nom de huguenots, qui apparaît vers 1560, s'applique surtout aux Français; il paraît venir de eidgenossen, confédérés, que se donnaient entre eux les réformés de Genève et du reste de la Suisse. tôme.) Sous le patronage de Marguerite, trois prédicateurs qui partageaient notoirement les opinions anticatholiques avaient préché le carême dans diverses églises de Paris, en 4533. C'étaient le savant docteur Gérard Roussel, et deux religieux augustins. Leur prédication souleva contre eux la Sorbonne, qui, ayant pu saisir Courault, l'un des augustins, et Gérard Roussel, les fit emprisonner. C'étaient les membres les plus modérés de la petite Église réformée qui s'était peu à peu constituée secrètement à Paris; le reste du « troupeau », excité par cette nouvelle rigueur, envoya un affidé en Suisse, pays où la réforme suivait une marche triomphante, pour demander l'assistance et les conseils fraternels. Son messager rapporta, sous forme de placards et de petits livrets, un écrit contre la messe, qu'il fit imprimer à Neuchâtel, et que l'on devait afficher ou distribuer dans la capitale et les principales villes du royaume. En effet, au mois d'octobre 4534, Paris et d'autres lieux furent tout d'un coup inondés du manifeste intitulé: « Articles véritables sur les horribles, grands >> et importables abus de la messe papale. »> On y disait en substance que Jésus-Christ ayant baillé à Dieu son corps, son âme, sa vie et son sang pour racheter les hommes pécheurs, ce sacrifice parfait ne pouvait pas être renouvelé, et que la prétention des « misérables sacrificateurs » qui s'imaginaient le renouveler chaque jour par la messe célébrée sur les autels catholiques était « un horrible et execrable blasphème. » La phraséologie biblique n'y masquait pas la violence du langage: «< O terre! comment ne t'ouvres-tu pour engloutir ces horribles blasphémateurs! O misérables! quand il n'y auroit autre mal en toute vostre théologie infernale sinon ce que vous parlez tant irrévéremment du précieux corps de Jésus, combien méritez-vous de fagots et de feu, blasphémateurs et hérétiques, voire les plus grands et énormes qui jamais aient esté au monde? Allumez donc vos fagots pour vous brusler et rostir vous-mesmes, non pas nous, parce que nous ne voulons croire à vos idoles, à vos dieux nouveaux et nouveaux Christs qui se laissent manger aux bestes (1), et à vous pareillement qui estes pires que bestes en vos badinages, lesquels vous vous faites à l'entour de vostre dieu de paste!... » L'indignation fut unanime parmi les gens restés fidèles aux anciennes doctrines, et le courroux de François Ier éclata bruyamment. En revenant de son château de Blois, il avait trouvé un de ces placards téméraires affiché au Louvre, sur la porte même de sa chambre à coucher. Il ordonna un redoublement de rigueurs, et des cérémonies religieuses par lesquelles il prétendait donner hautement des preuves de sa dévotion. Les jeudis et dimanches suivants, il fit faire de grandes proces (') On avait souvent remarqué, dans les sacristies, des hosties que les souris avaient rongées. Les premiers réformés étaient très-touchés de cet argument contre le dogme de la présence réelle du corps et du sang de Jésus-Christ dans l'hostie. Des deux côtés, on combattait à force égale. sions dans Paris, et, le 24 janvier 1535, une procession générale à laquelle il assista, tenant en main un cierge allumé, marchant humblement la tête nue, suivi de ses trois fils dans la même attitude, de la reine à cheval, avec toutes les dames de la cour, et des principaux membres de la noblesse et du clergé. Après la procession eut lieu, à l'évêché, un grand repas à l'issue duquel le roi fit cette harangue : « Si le propos que j'ay à vous tenir, messieurs les assistans, n'est conduit et entretenu de tel ordre qu'il convient de garder en harangue, ne vous esmerveillez; pour autant que le zèle de celuy de qui je veux parler, Dieu toutpuissant, m'a causé telle et si grande affection que je ne sçaurois en mes paroles garder ny tenir ordre requis, voyant l'offense faicte au Roy des roys par lequel régnons, et auquel je suis lieutenant en mon royaume pour faire accomplir sa sainte volonté; et considérant la meschanceté et acerbe peste de ceux qui veulent molester et destruire la monarchie françoise... Si est-ce que puis peu de temps aucuns innovateurs, gens délaissés de bonne doctrine, offusquez en ténèbres, se sont efforcez d'entreprendre tant contre les saincts nos intercesseurs qu'aussi contre Dieu Jésus-Christ, sans lequel nous ne pouvons agir en aucun bien fait, qui seroit à nous chose très-absurde, si ne confondions tant qu'en nous est et extirpions ces meschants foibles esprits. A cette cause, j'ay voulu vous convoquer et vous prier mettre hors vos cœurs et pensées toutes ces opinions, et que vous veuilliez instruire vos enfants, familiers et domestiques, à la chrestienne obéissance de la foy catholique... Et quant à moy, qui suis vostre roy, si je savois l'un de mes membres maculé ou infecté de ce détestable erreur, non seulement vous le baillerois à couper, mais davantage si j'appercevois aucun de mes enfans entachez, je le voudrois moy-même sacrifier. Et parce qu'à ce jour je vous ay cognus de bon veuloir envers Dieu Jésus-Christ, vous prie persévérer. Et en ce faisant, je vivrai avec vous comme un bon roy, et vous avec moy en paix, repos et tranquillité, comme bons et fidèles sujets chrestiens et catholiques doivent faire.» «Ce mesme jour, lit-on dans le Journal du Bourgeois de Paris, furent bruslez, de relevée, six luthériens, à savoir trois à la croix du Tirouer et trois aux halles, et plusieurs autres aux prochaines sepmaines ensuivant, que je laisse pour cause de briefveté. » Les ordres du roi rallumèrent donc les rigueurs. Un paralytique chez lequel on avait trouvé des exemplaires du placard, un relieur qui avait relié des pamphlets luthériens, une femme qui mangeait de la viande les vendredis et samedis (Bourg. de Paris), furent arrêtés, torturés, brûlés. On suppliciait les christandins par douzaines et on ne leur permettait pas de fuir. Le 25 janvier 4535, la justice criminelle de Paris fit crier une liste de soixantetreize condamnés contumax. En moins de six mois (nov. 4534-mai 4535), il y eut à Paris cent deux condamnations, dont vingt-sept furent exécutées. Combien n'y en eut-il pas dans les provinces? D'horribles cruautés aggravaient la mort. « Il ne sonnoit mot, craignant, ce dont on le menaçoit, d'avoir la langue couppée; car la maudite invention de coupper langues commença cette année-là (en 1533) d'ètre en usage. » (Crespin.) Quelquefois, au lieu de trancher ce dangereux organe qui servait à faire des prosélytes, on le transperçait d'un fer qu'on y laissait, en l'accrochant dans la joue. Souvent le patient était fixé au bout d'une chaîne ou à l'extrémité d'une bascule, et on l'enlevait tout d'un coup du milieu des flammes, pour l'y replonger ensuite; et cela jusqu'à trois fois, afin de faire durer sa vie et ses souffrances. Les bourreaux lui accordaient une grâce lorsqu'ils chargeaient sa tête de soufre au d'autres matières inflammables, qu'ils lui attachaient sur la poitrine un sachet plein de poudre à canon, dont l'explosion hâtait sa délivrance. Ces cruautés ne s'exerçaient pas seulement sur des hommes dans l'énergie de l'âge et de leurs convictions, mais sur des adolescents, sur de belles jeunes femmes d'une douceur angélique, sur de débiles vieillards; et à la chaleur de cette persé-❘ cution, les lois criminelles, en général, prirent un caractère atroce qui sembla faire descendre le niveau de l'humanité. « Fut publié par les carrefours de Paris, de par le roy, estant à Paris, par cinq trompettes, en présence du lieutenant criminel et plusieurs commissaires en Chastelet, que le roy faisait assçavoir que doresenavant brigans et meurtriers ne seroient plus pendus ne bruslez, mais seroient brisez et auroient les membres cassez, puis seroient mis et liez sur roues pour y achever leur vie tant qu'ils y pourroient languir. » (1535; Bourg. de Paris.) Le pape lui-même, Paul III, « adverty de l'exécrable justice et horrible que le roy faisoit en son royaume sur les luthériens, on dit qu'il manda au roy qu'il pensoit bien qu'il le fist en bonne part, néantmoins que Dieu le créateur, luy estant en ce monde, a plus usé de miséricorde que de rigoureuse justice, et que c'est une cruelle mort de faire brusler vif un homme;... par quoy le pape prioit et requéroit le roy, par ses lettres, vouloir apaiser sa fureur et rigueur de justice en leur faisant grâce et pardon. » (Id.; 4535.) La raison politique, François Ier le déclara dans sa harangue, avait autant de part que le zèle religieux dans les sévices exercés contre les partisans de la réforme. Lorsque les princes protestants de l'Allemagne, dont il recherchait l'alliance, et les cantons suisses, s'indignaient du traitement qu'on faisait subir aux luthériens en France, le roi, peu chevaleresque en ces circonstances, se justifiait en prétendant que ces suppliciés n'étaient que des rebelles, des anabaptistes, des ennemis de toute autorité. C'est alors qu'un jeune homme de vingt-six ans, fils d'un notaire apostolique secrétaire de l'évêché de Noyon, destiné dès l'enfance à trouver dans l'Église une carrière brillante, et qui, à l'exemple d'une foule d'autres ecclésiastiques de son temps, avait abandonné sa robe et ses béné fices pour ce qui lui semblait la vérité, répondit par une protestation dont l'effet fut considérable. Il publia en 1535, à Strasbourg ou à Bâle, un livre qu'il intitula l'Institution chrétienne, et dans lequel, en exposant les principes de la réforme, il donnait, pour la première fois, aux croyances nouvelles, l'autorité d'un corps de doctrine. La préface de ce livre était hardiment dédiée au roi luimême. « Sire, y disait-on, il m'a semblé expédient de faire servir ce présent livre tant d'instruction qu'aussi de confession de foy envers vous; dont vous cognoissiez quelle est la doctrine contre laquelle d'une telle rage furieusement sont enflambez ceux qui par feu et par glaive troublent aujourd'huy vostre royaume. Car je n'auray nulle honte de confesser que j'ay yci comprins quasi une somme de ceste mesme doctrine, laquelle ils estiment devoir estre punie par prison, bannissement, proscription et feu, et laquelle ils crient devoir estre deschassée hors de terre et de mer. Bien say-je de quels horribles rapports ils ont remply vos aureilles et vostre cœur, pour vous rendre notre cause fort odieuse; mais vous avez à réputer selon votre clémence et mansuétude qu'il ne resteroit innocence aucune ny en dits ni en faits s'il suffisoit d'accuser... » Plus loin, l'auteur disait : « Celuy qui ne règne pas à ceste fin de servir à la gloire de Dieu n'exerce pas règne, mais brigandage »; et il terminait sa longue dédicace par une apostrophe triste et mordante: « Le Seigneur, roy des roys, veuille establir vostre throne en justice et vostre siége en équité! » Cette démarche hardie et ce mâle langage étaient de Jean Calvin, déjà connu alors, malgré sa jeunesse, pour un des esprits les plus savants, les plus fermes de son siècle, et qui consacra le reste de sa vie à consolider avec toute l'ardeur, souvent avec toute la dureté du zèle religieux, les dogmes de ses coreligionnaires. Établi en arbitre suprême au sein de la république évangélique de Genève, qui servit de centre à son œuvre, il sut fonder mieux que Luther et tous ses disciples ne l'avaient fait; il ramena, moitié de gré, moitié de force, tous les réformés de langue française à recevoir comme vérité divine les interprétations qu'il donnait à la Bible, et c'est à juste titre que l'Église réformée de France a reçu aussi le nom d'Église calviniste. L'Institution chrétienne de Calvin ne persuada pas François Ier. Les persécutions de tout genre, les exécutions, l'émigration de ceux qui de toutes les provinces cherchaient à gagner l'étranger pour se soustraire sinon à la ruine du moins à la mort, continuèrent jusqu'à la fin du règne. L'une de ses dernières années fut signalée par un crime légal dont l'horreur fit frémir jusqu'aux catholiques euxmêmes. Une population de laborieux agriculteurs avait dû à la douceur et à la pureté de ses mœurs d'être tolérée, depuis près de trois siècles, dans certaines vallées du Piémont, quoique entachée de l'ancienne hérésie vaudoise. Ces gens inoffensifs s'étaient étendus jusqu'en Provence, où ils occupaient Cabrières, Mérindol, Lourmarin et d'autres villages qui font aujourd'hui partie du département | cinquante-cinq, après le massacre, de la main du de Vaucluse. La réforme les trouva tout préparés, par leurs idées religieuses, à recevoir ses enseignements, et tous l'embrassèrent. Ils donnèrent ainsi à la révolte contre l'Église, en Provence, un élan qui réchauffa la haine du clergé catholique. Le Parlement d'Aix, par un arrêt du 48 novembre 4540, condamna vingt-deux des principaux habitants de Mérindol qu'il avait cités devant lui, mais qui n'avaient pas osé comparaître, à être brûlés vifs comme luthériens, ledit arrêt enveloppant dans la condamnation, pour être bannis, « leurs femmes, enfants et familles », et ajoutant un dernier article ainsi conçu : « Au surplus, attendu que notoirement tout ledit lieu de Mérindol est la retraite, spelonque (caverne), refuge et port de gens tenant telles sectes damnées et réprouvées, la cour a ordonné et ordonne que toutes les maisons et basties dudit lieu seront abatues, demolies et abrasées, et ledit lieu rendu inhabitable, sans que personne y puisse réédidifier et bastir; et que les lieux soient descouverts, et les bois abattus deux cents pas à l'entour.» Cet arrêt demeura inexécuté pendant cinq années; le roi ne voulait pas y donner son adhésion; mais les fanatiques du pays, à la tête desquels se signalait un certain Jean Mesnier, baron d'Oppède, président au Parlement d'Aix, lui firent assurer par le cardinal de Tournon que les Vaudois étaient des séditieux armés, prêts à donner le signal de la guerre civile en Provence. L'ordre d'exécution arriva, et, quoique entaché de plusieurs irrégularités, car le chancelier Olivier n'avait voulu ni le présenter à la signature du roi, ni le sceller, il fut mis à exécution. Mérindol, Cabrières et vingt bourgs ou villages de la Provence et du comtat Venaissin furent traités, en pleine paix, par les soldats du roi et les fidèles croyants du voisinage, conduits par d'Oppède, comme un camp pris d'assaut par des sauvages. A Mérindol, ceux-ci ne trouvèrent à tuer qu'un pauvre idiot et quelques femmes; à Cabrières, qui était fortifié, d'Oppède offrit la vie sauve aux habitants s'ils se rendaient, et, les serments n'engageant à rien envers des hérétiques, comme au beau temps des Albigeois, les portes une fois ouvertes, d'Oppède et ses deux gendres firent massacrer ceux qui tentèrent de sortir de la ville et ceux qu'on y trouva. « Trente femmes, dont la pluspart estoyent grosses, furent mises et enfermées en une grange, où l'on mit le feu pour les brusler. Ces pauvres femmes crioyent si amèrement qu'un soldat, ayant pitié d'elles, leur ouvrit la porte; mais ainsi qu'elles sortoient, le cruel président les fit tuer et mettre en pièces, jusques à faire ouvrir les ventres des mères et fouler aux pieds les petits enfans estans dans leurs ventres.» (Crespin.) Ce n'est là qu'un épisode des horreurs qui eurent lieu. Les malheureux Vaudois, bien qu'ils n'eussent pas fait la moindre résistance, furent poursuivis dans leurs montagnes, traqués dans leurs bois trois mille périrent de la main des soldats; deux cent bourreau, et sept cents environ furent envoyés ramer sur les galères de la Méditerranée. On dit que François Ier eut des remords, et en effet, avant de mourir, il recommanda à son successeur de faire reviser cette affaire. Henri II le fit; d'Oppède et ses complices furent emprisonnés en 1547, et subirent un long procès; mais le Parlement de Paris ne put se résoudre à condamner le Parlement d'Aix, et les coupables furent acquittés. HENRI II. Quand il monta sur le trône, Henri II avait vingthuit ans. C'était, comme François Ier, un homme de haute stature et de belle mine, adroit à tous les exercices du corps, d'esprit doux d'ailleurs, « mais de peu de jugement et du tout propre à se laisser mener.» (Mém. de Condé.) Toutefois, avec moins de facilité brillante que son père, il n'était ni moins prodigue, ni guère moins adonné aux voluptés, ni moins livré aux favoris. Il dissipa en peu de temps quatre cent mille écus d'or que son père avait amassés pour continuer la guerre en Allemagne, et laissa les Montmorencys, les Guises et Diane de Poitiers, belle encore à quarante-huit ans, disposer en maîtres des trésors de l'État. «Non plus qu'aux hirondelles les mouches, dit un contemporain, il ne leur échappoit état, dignité, évêché, abbaye, office ou quelque autre bon morceau qui ne fût incontinent englouti; et avoient pour cet effet, en toutes parts du royaume, gens appostés et serviteurs gagés pour leur donner avis de tout ce qui se mouroit, sans épargner les confiscations.» (Mém. de Vieilleville, ш, 40.) Depuis qu'ils ne pouvaient plus guère exercer leurs déprédations à main armée, les seigneurs se réfugiaient dans la pratique des petites rapines. Si quelques-uns, tels que le maréchal de Vieilleville, avaient plus de souci de leur honneur, la plupart ne craignaient pas de s'enrichir par l'odieuse voie des confiscations, et le maréchal (ou plutôt Vincent Carloix, le secrétaire auteur de ses Mémoires) raconte à ce sujet une scène caractéristique qui se rapporte à l'une des premières années de ce règne. Un jour, « M. d'Apchon, beau-frère du maréchal de Saint-André, MM. de Senectaire, de Biron, de Saint-Forgeul et de la Roue, luy apportèrent ung brevet signé du roy et des quatre secrétaires d'État, par lequel Sa Majesté luy donnoit, et aux dessusdicts, la confiscation de tous les «< usuriers et luthériens » du pays de Guyenne, Lymosin, Quercy, Périgort, Xainctonges et Aunys. Et l'avoient mis le premier audict brevet, luy demandants sa part de la contribution pour ung solliciteur qu'ils envoyoient en ces pays-là pour esbaucher la besoigne. Et, pensants bien le réjouyr, l'assuroient, par le rapport mesme du solliciteur, nommé du Boys, l'un des juges de Périgueux, qui s'en faisoit fort et en répondoit, qu'il y auroit de proffict plus |