inspecteur nommé Malseigne, envoyé pour rétablir tion, mais encore on reprochait à beaucoup d'entre eux des malversations dans la comptabilité. L'in- | l'ordre, s'exprima durement, fut menacé, maltraité, subordination s'était propagée de toutes parts; elle éclata surtout avec violence à Metz, puis dans trois régiments qui composaient la garnison de Nancy. L'Assemblée rendit, le 6 août, un décret qui interdisait les associations délibérantes dans les régiments, ordonnait la vérification des comptes par des inspecteurs, et menaçait de châtiments sévères les fauteurs de toute insurrection nouvelle. Ce décret, proclamé le 12 à Nancy, n'y apaisa point l'effervescence des soldats, et notamment de ceux du régiment suisse de Château-Vieux. Un et prit la fuite vers Lunéville. Deux cents cavaliers le poursuivaient; il envoya contre eux des carabiniers. Un combat s'engagea sur la route entre les deux troupes; mais bientôt les carabiniers eux-mêmes, gagnés par la sédition, vinrent arrêter Malseigne et le livrèrent aux insurgés de Nancy, qu'aucun avertissement ne put faire rentrer dans l'ordre. Le marquis de Bouillé marcha avec son armée et la garde nationale de Metz contre Nancy. Il réprima la révolte, mais au prix de beaucoup de sang. L'Assemblée constituante lui vota des re 89 CommissairetelAss.. Carte des députés à l'Assemblée constituante.. mercîments; au contraire, les journaux de Paris soulevèrent contre lui l'animosité du peuple. Des attroupements vinrent protester par leurs clameurs sous les murs de l'Assemblée. Des motions furent faites dans les clubs contre Necker et les autres ministres. Necker était depuis longtemps découragé; il ne se sentait plus ni utilité ni influence, depuis surtout qu'il n'avait pu empêcher l'Assemblée d'entrer dans la voie des émissions d'assignats. Le 4 septembre, il écrivit à l'Assemblée pour annoncer qu'il se retirait du ministère, en laissant comme dépôt au trésor deux millions qui étaient la moitié de sa fortune. Le 8, il partit de Paris avec sa femme; à Arcis-sur-Aube, il fut arrêté par le peuple et retenu par la municipalité, jusqu'à ce que l'Assemblée constituante eût décidé qu'il pouvait continuer son voyage. Son rôle politique était fini. Il acheva ses jours sans trouble, sinon sans tristesse, dans son château de Coppet, au bord du lac de Genève. Les autres ministres, dépossédés de la plupart de leurs attributions par les comités de l'Assemblée, étaient blâmés tour à tour pour ce qu'ils faisaient et pour ce qu'ils ne faisaient point. Le 20 octobre, Menou demanda leur renvoi au nom de plusieurs comités; l'Assemblée passa à l'ordre du jour; mais le 40 novembre, Danton yint lire à la barre, au nom de quarante-huit sections (les sections avaient remplacé les districts), une adresse qui insistait sur le renvoi; et, quoique l'Assemblée eût persisté dans sa résolution de ne pas intervenir, les ministres, sauf Montmorin, donnèrent successivement leur démission (4). Le roi les remplaça par des hommes insignifiants sous le rapport politique: Duport du Tertre, aux sceaux; Duportail, à la guerre; Fleurieu, à la marine; Lambert, aux finances; de Lessart, à l'intérieur. L'état des finances donnait lieu à de nouvelles, inquiétudes; la dette exigible était de près de deux milliards. Le recouvrement des impôts rencontrait de toutes parts des obstacles. Le 29, sur la proposition de Mirabeau, l'Assemblée décréta << que la dette exigible serait remboursée en assignats-monnaie, applicables au payement des domaines nationaux; qu'il en serait fabriqué pour buit cents millions, ajoutés aux quatre cents millions déjà émis; que les assignats seraient brûlés à mesure de leur rentrée au trésor; qu'il n'en pourrait être émis d'autres qu'en proportion de la valeur des domaines nationaux restés invendus. » Cette mesure dissipa pour un temps toute appréhension de banqueroute. Mais à chaque in () Voy. la note p. 448. stant les nouvelles de soulèvements et de scènes sanglantes dans les provinces venaient troubler les délibérations de l'Assemblée. Toulon, Avignon, Marseille, Niort, Saint-Étienne, Angers, Orléans, furent, en août et en septembre, le théâtre de déplorables excès. A Brest, les matelots d'une escadre prête à mettre à la voile s'ameutèrent contre le nouveau Code pénal maritime, cependant beaucoup moins rigoureux que les règles le plus souvent arbitraires qu'il remplaçait. A Toulon, à Grenoble, à Douai, les anciens membres des parlements tentèrent aussi de protester contre la suppression définitive de ces cours de justice (décret du 6 septembre). La fièvre du dehors gagna l'Assemblée elle-même. Au milieu d'une discussion, Cazalès montra le poing au président. A la tribune, Mirabeau fut apostrophé des épithètes de gueux, scélérat, assassin. Charles de Lameth, provoqué deux fois en duel par des députés du parti contre-révolutionnaire, se battit à l'épée avec de Castries et fut blessé au bras. Les clubs lui envoyèrent une députation, la foule ameutée envahit l'hôtel de Castries et en brisa les meubles (42 novembre). Cet événement fut l'occasion de violentes récriminations dans l'Assemblée. Peu après, la question ecclésiastique y souleva des orages. Le pape avait écrit à Louis XVI qui lui avait demandé conseil sur la constitution civile du clergé : · - « Si le roi a pu renoncer aux droits de sa couronne, il ne peut sacrifier par aucune considération ce qu'il doit à Dieu et à l'Église dont il est le fils aîné. » Cette réponse avait encouragé les évêques et une partie des curés dans leur refus de se soumettre au décret du 42 juillet 1790. Le 26 novembre, dans une séance du soir, le comité ecclésiastique dénonça leur conduite et les accusa « d'apprendre au peuple à braver les lois, de le façonner à la révolte, de dissoudre tous les liens du contrat social, d'exciter la guerre civile. » Le 27, l'Assemblée décréta a que les évêques, curés, vicaires, fonctionnaires publics, seraient tenus de jurer fidélité à la nation, à la loi et au roi; qu'ils s'obligeraient à maintenir la constitution de tout leur pouvoir; que les réfractaires seraient remplacés; que les prêtres qui violeraient leur serment seraient poursuivis comme rebelles à la loi; que le serment prescrit serait prêté par les prêtres membres de l'Assemblée. » Louis XVI ne donna sa sanction à ce décret que le 26 décembre, en appuyant son retard sur des motifs de haute prudence; il demandait à l'Assemblée sa confiance, «bien sûr qu'il en était digne. » On comptait parmi les représentants trois cent neuf prêtres; sur ce nombre, soixante-cinq, et en tête l'abbé Grégoire, devancèrent le jour fixé par le décret et prêtèrent le serment à la tribune; les autres, appelés le 4 janvier 1794 à remplir la mème formalité, répondirent tous par un refus. Ce fut le signal d'un schisme. Dans toute la France on vit dès lors le clergé se diviser en deux partis, l'un «< assermenté », l'autre, plus nombreux, « réfrac taire ou insermenté. » Il y eut un culte officiel, et un autre clandestin et en apparence opprimé, quoique la loi eut laissé aux prêtres qui refuseraient le serment la liberté d'exercer leur culte à part et leur eût accordé une pension. En Bretagne, trois mille paysans se soulevèrent à la voix de l'évêque de Tréguier, qui avait déclaré les prêtres assermentés « des commis appointés par des brigands. » De semblables émeutes eurent lieu à Toulouse, Castres, Nîmes, Montpellier; des protestants furent massacrés. Suivant une rumeur populaire, on avait appelé des prêtres réfractaires aux Tuileries. Les soupçons contre les desseins contre-révolutionnaires de la cour se réveillèrent avec vivacité; d'autres causes contribuaient d'ailleurs à les accroître. On découvrit, à Lyon, une conspiration de royalistes qui correspondaient avec les princes émigrés. Mesdames, tantes du roi, quittèrent Paris le 49 février 1794 pour se rendre à Rome. Ce départ fit craindre une fuite du roi. Une émotion inquiétante remua Paris. Les femmes de la halle et une foule nombreuse allèrent au Luxembourg pour s'assurer si Monsieur (le comte de Provence) n'était point déjà parti. Il parut, et assura qu'il ne se séparerait jamais du roi. Cependant on avait arrêté les deux princesses à Arnay-le-Duc. L'Assemblée déclara qu'aucune loi ne s'opposait à leur départ, et elles sortirent librement de France. Le peuple murmura. Il vint à l'imagination des habitants du faubourg Saint-Antoine que le donjon de Vincennes communiquait aux Tuileries par une route souterraine, et pouvait faciliter une évasion; le 28 février 1794, ils s'armèrent de pioches, et, sous la conduite du brasseur Santerre, se mirent en route avec l'intention de démolir cette forteresse. Lafayette accourut à la tête de la garde nationale et dissipa l'insurrection. A son retour à Paris, il se rendit aux Tuileries; il trouva le palais rempli de nobles qui, sur le bruit qu'on en voulait à la vie du roi, étaient venus le défendre. Lafayette exigea du roi que tous fussent désarmés et renvoyés. Leurs armes étaient des poignards ou des pistolets. On appela cette manifestation des royalistes « la conspiration des chevaliers du poignard. » Ce jour même on avait proposé à l'Assemblée une loi contre l'émigration; Mirabeau prononça un discours qui se terminait par ces mots : « Si vous faites une loi contre les émigrants, je jure de n'y obéir jamais. Le projet fut rejeté. INTRIGUES DE MIRABEAU. SA MORT. Mirabeau jouait un double rôle, dont l'on n'a bien connu le triste secret que par ses correspondances avec la cour et d'autres écrits publiés après sa mort. Si influent qu'il eût été dans l'Assemblée constituante, il ne l'avait point conduite à son gré. Il avait désiré l'établissement d'une monarchie démocratique où une grande part d'initiative et de responsa bilité eût été laissée au pouvoir exécutif, que luimême eût exercé, sous le nom du roi, comme premier ministre. Il ambitionnait d'ètre, si l'alliance de ces mots est permise, le Richelieu de la France libre et régénérée. Il se faisait illusion, ce n'était point là qu'en aucune circonstance l'eussent porté ni soutenu son caractère, son génie, ses passions, sa véhémence de tribun et son amour de la popularité. Débordé par l'entraînement révolutionnaire, convaincu du peu d'avenir réservé à une constitution où se heurtaient, au milieu d'admirables inspirations, des principes contradictoires et des prescriptions impraticables, il avait cherché dans l'intrigue et dans l'ombre les succès d'une influence que n'avait pu lui conquérir le déploiement de ses forces prodigieuses au grand jour des discussions publiques. Il lui fallait un point d'appui plus sûr et plus réel que celui de la faveur populaire ou de l'esprit de parti; il l'avait cherché d'abord dans une alliance intime avec Lafayette, qui disposait alors du dévouement de la garde nationale de Paris et possédait l'estime et la confiance du pays; mais Lafayette, qui méprisait le caractère de Mirabeau et les désordres de sa vie privée, ne s'était point laissé gagner par ses avances. Repoussé, irrité, Mirabeau laissa éclater longtemps son dépit dans ses lettres, en dénonçant Lafayette comme visant à une dictature, ou en le rapetissant outre mesure et le tournant en ridicule sous le sobriquet de « Gilles-César. » Il avait ensuite tourné toutes ses espérances vers la cour, et n'avait pas cessé de donner des conseils sur les moyens qu'il croyait propres à relever l'autorité du roi et à reconquérir à la reine l'amour du peuple. Ces conseils, souvent habiles et trempés de sa force, révoltent par le caractère odieux de duplicité dont ils sont empreints. Si quelquefois, comme dans les questions du veto et du droit de guerre ou de paix, Mirabeau avait eu le courage de compromettre à la tribune sa popularité dans l'intérêt du pouvoir exécutif, plus fréquemment encore il y avait exprimé, avec toute l'apparence de la plus profonde conviction, des doctrines entièrement opposées à celles qu'il développait dans ses lettres et ses notes à la cour. Il engageait secrètement le roi à s'assurer avec prudence d'un noyau de force armée et du dévouement de généraux fidèles afin d'être en mesure, lorsqu'il serait temps, d'imposer sa volonté aux constituants. Lors des dissensions provoquées par les décrets sur le clergé, il avait écrit: «On ne pourrait trouver une occasion plus favorable de coaliser un grand nombre de mécontents, des mécontents d'une plus dangereuse espèce, et d'augmenter la popularité du roi aux dépens de celle de l'Assemblée constituante », et il avait indiqué comment il faudrait exciter encore plus le fanatisme religieux en même temps qu'on embarrasserait l'Assemblée en lui proposant des moyens violents contre le parti ecclésiastique. « Il faut dissimuler, écrivait-il encore, quand on veut sup pléer à la force par l'habileté, comme on est obligé de louvoyer dans une tempête. » Enfin il avait résumé tous ses avis dans un vaste plan qui consistait principalement dans l'énumération de tous les piéges que l'on pourrait tendre à l'Assemblée pour attirer sur elle la haine du peuple et forcer la nation découragée à se réfugier sous la couronne. « Contre un ennemi si dangereux (l'Assemblée), rien ne doit être négligé.» (De Bacourt, Papiers secrets de Mirabeau.) Les membres influents du parti révolutionnaire avaient l'instinct de ce machiavélisme de Mirabeau. Au club des Jacobins, il avait été plus d'une fois accusé de conspiration. « Qu'il se découvre tout entier! disait-on. Il a déserté le patriotisme. C'est l'Ulysse de 89! » D'autre part, il ne trouvait à la cour que torpeur et indécision. On y accueillait ses rapports et ses mémoires: on les lui payait, en argent, au delà du prix qu'il avait demandé, mais on n'agissait pas; on ne lui témoignait qu'une confiance incomplète. On avait recours, sans le lu avouer, à des conseillers secondaires qu'il dédaignait, par exemple Bergasse. En dernier lieu, persuadé de l'impuissance de la cour à lui prêter des secours suffisants pour l'exécution de son programme contre l'Assemblée, il avait conseillé plus dignement au roi et à la reine d'en finir avec une position fausse, de sortir de la capitale, en plein jour, au milieu de régiments dévoués prudemment réunis à un moment donné, et d'aller rapidement se placer sous la protection armée de Bouillé, soit à Compiègne, soit même à Metz. Peutêtre aurait-il réussi à faire adopter cette entreprise hardie, plus honorable assurément qu'une fuite nocturne, sans être plus périlleuse; mais Mirabeau n'avait plus que peu de temps à vivre; ses travaux, depuis l'ouverture de l'Assemblée, avaient été immenses. S'il improvisait souvent, ses discours les plus remarquables étaient le fruit d'études profondes et de longues veilles. Sa science éclairait toutes les questions; il parlait aussi souvent au club des Jacobins qu'à l'Assemblée; il écrivait et dictait incessamment. A ces fatigues inouïes il ajoutait malheureusement encore celles de ses mauvaises mœurs. Depuis que les subventions de la cour lui permettaient de satisfaire ses vicieux penchants, il s'était livré aux excès de toute espèce d'intempérance avec plus de fureur. Ses forces le trahirent, et un moment vint où apparurent sur son visage les traces de la décomposition de son sang. Le 27 mars, il avait pris part à une discussion de l'Assemblée sur la propriété des mines; le soir, il fit appeler son ami Cabanis, le célèbre médecin. Sa maladie, qui n'était subite qu'en apparence, fit des progrès rapides; elle ne laissait aucun espoir. On l'apprit avec consternation à la cour, à l'Assemblée, dans Paris; « une foule immense se rassemblait chaque jour et à chaque heure devant sa porte cette foule ne faisait pas le moindre bruit, dans la crainte de l'incommoder; elle se renouvelait plusieurs fois. Un jeune homme, ayant entendu dire que si l'on introduisait du sang nouveau dans les veines d'un mourant il revivrait, vint s'offrir pour sauver la vie de Mirabeau aux dépens de la sienne.» (Mme de Staël.) Il souffrait beaucoup; il savait que sa fin approchait il demanda impérieusement de l'opium que l'on feignit de lui accorder. On le croyait athée; mais quelques-unes de ses dernières paroles, rapportées par Cabanis dans le « Journal de la maladie et de la mort de Mirabeau », semblent indiquer qu'il était déiste. On dit que, près de rendre le dernier soupir, il s'écria: «J'emporte le deuil de la monarchie, dont les débris vont être la proie des factions. » Il expira le 2 avril. La solennité de ses funérailles attesta la Mirabeau. D'après Houdon. grandeur de l'impression que son génie avait faite sur toutes les âmes. L'Assemblée décida, le 4 avril, à l'unanimité sauf trois voix, « que l'église de SainteGenevieve serait consacrée à la sépulture des grands hommes; que Mirabeau était jugé digne de recevoir cet honneur, et qu'au-dessus du fronton de l'édifice seraient gravés ces mots : «< Aux grands >> hommes, la patrie reconnaissante. » C'était mal inaugurer le nouveau Panthéon. Les grands talents de ceux qui ont violé dans leur personne la dignité humaine n'ont droit à de telles apothéoses tout au plus qu'en second rang; le premier doit ètre réservé aux vertus héroïques. Cette mort laissa un vide immense dans l'Assemblée. « Le lendemain, personne ne regardait sans tristesse la place où Mirabeau avait coutume de s'asseoir.» L'abbé Maury, montant un jour à la tribune, dit impétueusement : « Mirabeau n'est plus; on ne m'empêchera pas de parler. » Le 48 avril, quinze jours après la mort de Mirabeau, le roi voulut faire un voyage à Saint-Cloud avec sa famille; le peuple et la garde nationale, malgré l'intervention de Lafayette, s'opposèrent à son départ. Lafayette offrit sa démission, qu'on n'accepta point. A cette occasion, Marat, qui insultait et menaçait sans cesse, l'appela « le général Tartufe. » Le lendemain, 19, le roi se rendit à l'Assemblée, se plaignit de la violence qu'on lui avait faite et dit : « On cherche à inspirer au peuple des doutes sur mes sentiments. J'ai accepté, j'ai juré de maintenir la constitution; la constitution civile en fait partie, et j'en maintiendrai l'exécution de tout mon pouvoir. » Ces paroles furent applaudies, mais inspirèrent peu de confiance. Le 15 avril, Louis XVI avait écrit à l'évêque de Clermont : « Vous connaissez la misérable situation où je suis, ayant accepté les décrets relatifs au clergé. J'ai toujours regardé cette acceptation comme un acte forcé.» (Bertrand de Molleville.) Personne, dans aucun parti, ne doutait que sa position ne lui parût depuis longtemps intolérable et qu'il n'eût résolu de fuir (Mém. de Weber). Dans l'espoir d'écarter les soupçons sur ses projets, ce qui ne se pouvait déjà plus, il fit communiquer à l'Assemblée une lettre adressée par le ministre Montmorin à tous les ambassadeurs de France dans les cours étrangères (23 avril 4794). Cette lettre contenait une apologie complète de la révolution; on y remarquait notamment ces lignes : « Les ennemis de la constitution ne cessent de répéter que le roi n'est pas heureux, qu'il n'est pas libre; calomnie atroce, si l'on suppose que sa volonté a pu être forcée; absurde, si l'on prend pour défaut de liberté le consentement que Sa Majesté a exprimé plusieurs fois de suite au milieu des citoyens de Paris; consentement qu'elle devait accorder à leur patriotisme, même à leurs craintes, et surtout à leur amour. » C'était par un ancien secrétaire de Mirabeau, Pellenc, que l'on avait fait rédiger cette lettre dont il était absolument impossible d'admettre la sincérité, et qui, par suite, devait nécessairement abaisser le caractère du roi. Aussi Montmorin ne l'avait-il signée qu'avec une sorte de honte; il avait écrit au comte de la Mark « Il est réellement trop fort de parler de la liberté du roi, le lendemain du jour où il est venu dire lui-même à l'Assemblée qu'on l'avait empêché de partir, et qu'il persistait dans son dessein.» (Corresp. entre le comte de Mirabeau et le comte de la Mark.) Peu de jours après le 23 avril, le roi et la reine confiaient au comte de Durfort, émissaire du comte d'Artois, que cette lettre aux ambassadeurs ne devait ètre considérée que comme dictée par la force des événements et que « le seul homme de l'Assemblée qui leur eût offert son concours étant mort, ils étaient impatients de quitter Paris et de se réfugier au milieu de fideles serviteurs.» (Mém. tirés des papiers d'un homme d'État, t. I; et Bertrand de Molleville.) L'empereur d'Autriche, Léopold, combinait en ce moment, à Mantoue, avec l'ancien ministre Calonne, le plan d'une coalition contre la France. A la suite de ce message du comte de Durfort, il promit de faire marcher ses troupes et d'autres contre la France (20 mai 1794); mais il n'approuva point le projet que Louis XVI avait de fuir; il y voyait trop de périls. En France, Bouillé éprouvait les mêmes craintes : une tentative d'évasion pouvait, pensait-il, si elle échouait, mettre en danger la vie du roi (Mém. de Bouillé). Les insultes des journaux, l'explosion toujours menaçante des haines populaires, l'impatience de recouvrer la liberté et les conseils imprudents du baron de Breteuil, prévalurent à la fin dans l'esprit de Louis XVI, qu'avaient en outre profondément blessé les decrets où l'Assemblée avait enlevé à Marie-Antoinette la régence (29 mars) et à la couronne le droit de grâce (5 juin). Marie-Antoinette écrivit le 7 juin à Léopold : « Je fonde quelque espérance sur le projet, et votre ami (le roi), une fois en liberté, pourra faire des conditions au lieu d'en recevoir. >> Le palais des Tuileries était gardé comme une forteresse. Depuis le 48 avril, les précautions avaient encore redoublé. Des sentinelles veillaient le jour et la nuit, au dehors, au dedans, dans tous les corridors, à toutes les portes. Parmi les dames attachées à la reine et les autres personnes de service, plusieurs étaient hostiles et épiaient. Sous tant de regards la reine parvint, avec le secours de quelques amis dévoués, à préparer les moyens de sortir du château et de Paris. Un jeune seigneur suédois, le comte de Fersen, lui procura un passe-port que s'était fait délivrer une dame russe, la baronne de Korff, et se chargea de tenir prêts, à l'heure convenue, les chevaux et les voitures. Bouillé, qui était alors dans le département de la Moselle, fut averti que l'on partirait au milieu de la nuit du dimanche au lundi (19 et 20 juin). Il répandit aussitôt le bruit qu'il attendait un convoi d'argent de Paris, et en prit prétexte pour envoyer des détachements de hussards et de dragons sur les différents points que devaient traverser les fugitifs à partir de Châlous jusqu'à Montmédy, but du voyage. Mais un incident domestique, l'im-possibilité d'écarter à temps une femme de chambre du Dauphin dont on se défiait, éloigna d'un jour le départ, et obligea Bouillé à donner tardivement de nouveaux ordres qu'il devint difficile d'exécuter avec assez de précision. Le soir du 20 juin, vers onze heures, au moment où l'on était accoutumé à voir le plus de mouvement dans la cour du château, le roi, la reine, leurs deux enfants, leur gouvernante, Mme de Tourzel, qui, invoquant l'étiquette, n'avait pas voulu céder sa place au marquis d'Agoult envoyé par Bouillé, Mme Élisabeth, sortirent séparément et furtivement, sous des déguisements divers; le roi était habillé en valet de chambre, le Dauphin en petite fille; la reine, accompagnée d'un garde du corps, s'égara dans le Carrousel et fut obligée de passer près de la voiture de Lafayette entourée de flambeaux. Après beaucoup de temps perdu, toute la famille se trouva réunie dans une voiture de remise qui attendait au coin de la rue de l'Échelle et que le comte de Fersen, vêtu en cocher, mena par des détours à la barrière Saint-Martin. La famille royale y monta dans une grande berline, suivie d'une autre voiture, et l'on se dirigea vers Châlons. Trois gardes du corps étaient déguisés en courriers. L'un d'eux allait en avant pour préparer les relais. Le lendemain, on arriva sans accident à Châlons, vers cinq heures de l'après-midi. On n'y rencontra point l'escorte de hussards que Bouillé avait promise: l'heure fixée était dépassée, et le che du détachement, Choiseul, inquiet, craiguant d'attirer trop l'attention, avait ramené ses hussards vers Varennes. A Sainte-Menehould, tandis que l'on changeait de chevaux, Louis XVI avança la tête hors de la portière; le maître de poste Drouet, ancien dragon de Condé, le reconnut, laissa partir la voiture, courut à la mairie déclarer ce qu'il venait de voir, puis se lança, au galop de son meilleur cheval, dans des chemins de traverse pour devancer la berline. A onze heures et demie du soir, la berline entra dans Varennes, où il n'y avait point de maison de poste. Deux officiers, dont l'un était le fils de Bouillé, avaient placé un relais dans la ville basse; mais, trompés par le retard, ils s'étaient retirés depuis une demiheure dans une chambre. Soixante hussards qui devaient servir d'escorte ne paraissaient point; ils étaient dispersés dans la ville. Tandis que le garde du corps chargé des relais cherchait vainement chevaux et soldats, la berline roulait lentement dans les rues obscures, au milieu d'un profond silence. Le roi, la reine, les enfants, dormaient. Tout à coup un homme passe à cheval et crie: « Postillons, de par la nation, dételez! Vous menez le roi!» Les voyageurs, réveillés en sursaut, pleins d'effroi, descendent de la voiture, frappent inutilement à plusieurs portes, remontent et obtiennent à grand' peine des postillons qu'ils avancent du moins jusqu'au delà du pont de la rivière d'Aire qui partage Varennes en deux quartiers. La berline entre sous une voûte massive qui précède le pont; mais là, tout à coup, deux fusils se croisent dans la voiture, et le procureur de la commune, Sausse, épicier, porte la lumière d'une lanterne vers la figure du roi : « Halte-là! dit-il, vos passe-ports? » En même temps, Drouet invite durement le roi et la reine à venir dans la maison de Sausse. Toute résistance était impossible. On conduisit la famille royale dans une salle basse de l'épicerie; peu d'instants après, le tocsin, la générale, appelaient les habitants aux armes, et des Typ. de J. Best, rue St-Maur-St-G., 15. |