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teur de sa maison, nommé la Vergne, avec vingtcinq gentilshommes tous ses fils, petits-fils ou neveux, le protégea jusqu'à ce qu'il fût tué lui-même avec quinze des siens. Enfin Condé s'était rendu quand Montesquiou, capitaine des gardes du duc d'Anjou, s'avança froidement et le tua d'un coup de pistolet tiré par derrière.

Ce fut un grand deuil pour le parti. La perte 'd'un tel chef eût été irréparable pour les protestants si Jeanne d'Albret ne fût venue leur présenter son fils, àgé de quinze ans, Henri de Bourbon, prince de Béarn, qu'elle avait sévèrement élevé comme un simple gentilhomme campagnard, et qui promettait déjà de grandes choses par son esprit vif et son bouillant courage. Ce jeune homme fut nommé généralissime, avec le fils de Condé, plus àgé *que lui d'une année, pour second, et Coligny pour. mentor. Les catholiques n'avaient point su profiter de leur victoire. Ils laissèrent une armée allemande, conduite par le duc de Deux-Ponts et le comte de Mansfeld, traverser toute la France jusqu'à Limoges, où elle joignit l'armée huguenote (14 juin), et, quelques jours après, se firent battre par Coligny au combat de la Roche-Abeille. Leurs chefs étaient jaloux les uns des autres, le roi commençait à se sentir jaloux aussi du duc d'Anjou son frère, et leurs troupes, plus disparates encore que celles des protestants, se composaient de Français, de Suisses, d'Espagnols, d'Allemands et mème d'Italiens envoyés par le pape Pie V. Cependant un mouvement hardi, exécuté avec rapidité par le maréchal de Tavannes, leur donna encore une victoire. Les huguenots furent surpris au moment où ils passaient la Dive près de Moncontour (Vienne), et taillés en pièces; près de dix mille d'entre eux y périrent (3 oct.); le reste, conduit par Coligny, qui ne gagnait guère de batailles, mais qu'aucun désastre ne pouvait décourager, s'enfuit à la Rochelle.

L'armée royale, dont Charles IX vint enfin prendre le commandement en personne, chercha à les détruire en détail dans les places où ils s'étaient renfermés; mais elle s'y usa vainement. Bientôt les vaincus, ravitaillés par les Rochellois, reposés, renforcés par l'arrivée de nouveaux compagnons d'armes, se remettaient aux champs (18 oct.), gagnaient la Guyenne, traversaient tout le Languedoc et entraient dans la vallée du Rhône, évitant soigneusement tout engagement général avec les . troupes royales, se bornant à vivre aux dépens des pays où ils passaient, y terrifiant les catholiques, et ramassant sur la route tous les huguenots armés qui voulaient se joindre à eux. C'étaient de nouveau les routiers et les grandes compagnies promenant le ravage par toute la France. Arrivé près du Rhône (avril 1570), Coligny annonça aux siens, qui n'étaient pas plus de cinq à six mille hommes, qu'ils allaient se rapprocher de Paris. En effet, il parcourut la Provence, le Dauphiné, le Lyonnais, et entra en Bourgogne pendant qu'un de ses lieutenants, le brave la Noue, recommençait la guerre

.II.

en Saintonge. Une pareille lutte était interminable. La cour offrit la paix; elle fut refusée comme étant trop peu avantageuse. Coligny continua d'avancer, perçant à travers un corps de troupes double du şien posté, sous le commandement du maréchal de Cossé, à Arnay-le-Duc (26 juin), et arriva sur les bords du Loing.

Lorsque les rebelles furent si près de Paris, les pourparlers recommencèrent. La reine renouvela les propositions qu'elle avait déjà faites, et qui consistaient à laisser aux protestants le libre exercice de leur culte, excepté à Paris, avec amnistie complète pour le passé, et libre accès à tous les emplois. Ajoutant de plus des garanties de sa bonne foi, qu'elle avait refusées d'abord, elle leur accorda encore le droit de récuser un nombre déterminé de juges dans chaque parlement, et quatre places de sûreté qui devaient rester deux ans entre leurs mains la Rochelle, Montauban, Cognac et la Charité. La paix ainsi réglée fut signée, le 8 août 4570, à Saint-Germain-en-Laye.

LA SAINT-BARTHÉLEMY.

Toujours vaincus et toujours redressant la tête, les huguenots ne cessaient donc point de se faire craindre. Depuis douze ans bientôt Catherine de Médicis gouvernait au milieu de perplexités constantes, sans que sa politique de temporisation eût réussi et donné plus de solidité au pouvoir. Elle méditait maintenant d'autres moyens, et la paix de Saint-Germain n'était qu'une concession perfide à l'ombre de laquelle devait s'exécuter le plus odieux forfait de notre histoire. On avait l'exemple des exécutions faites par le pape Pie V et le roi Philippe II; le duc d'Albe avait fait périr, dans les Pays-Bas, dix-huit mille personnes sur les échafauds de l'Inquisition. Une pareille justice ne différait guère de l'assassinat, et les applaudissements des masses catholiques encourageaient toute espèce de moyen d'extirper l'hérésie.

Quelque docile qu'il fût à sa mère, Charles IX comprenait ses actions, sans doute, car il avait vingt ans. Il savait certainement ce qu'il faisait lorsqu'il avait écrit ou qu'on lui avait fait écrire, dès le 10 octobre 1569, à son plus jeune frère le duc d'Alençon: « Mon frère, pour le signallé service que m'a faict Charles de Louviers, sieur de Moureviel, présent porteur, estant celuy qui a tué Mouy de la façon qu'il vous dira, je vous prie, mon frère, luy bailler de ma part le collier de mon ordre... et faire en sorte qu'il soyt par les manans et habitans de la ville de Paris gratiffyé de quelque honneste présent, selon ses mérites.» Ce Moureviel, c'est-à-dire Maurevert, avait tué le brave de Mouy, l'un des chefs calvinistes, au moyen d'un assassinat commis avec des circonstances odieuses, et il en avait gardé le surnom de « tueur du roi. » Charles IX parut à peine à la guerre; mais il affectait le langage grossier du soudard et aimait passionnément le carnage de la chasse. Mince et poi

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Coligny, venu à la Rochelle avec les princes de Béarn et de Condé, y demeura d'abord si obstinément qu'il s'excusa d'aller au mariage de Charles IX, lorsqu'au mois de novembre 1570 ce prince épousa Élisabeth d'Autriche, fille de l'empereur Maximilien II. La cour s'efforça cependant de triompher de cette méfiance et d'attirer les chefs calvinistes auprès d'elle, à force de caresses, plutôt que de les laisser s'entendre et s'organiser à l'écart. Le roi voulut se montrer scrupuleux observaleur des conditions de la paix, et fit réprimer sévèrement dans plusieurs villes, notamment à Paris, les violences auxquelles le menu peuple se livrait si souvent contre les protestants. Il accordait à ceux-ci toutes leurs demandes et toutes ses faveurs; mais comme ce n'était pas encore assez pour dissiper les appréhensions du parti, « la reine et lui, impatients d'arriver enfin à leur but, se déterminèrent à employer des moyens plus efficaces et des machines plus puissantes pour engager les seigneurs huguenots à se rendre à la cour. » (Davila.) Ils envoyèrent à la Rochelle faire à la reine de Navarre la proposition de cimenter la paix en mariant le prince de Béarn, son fils, avec Marguerite de France. Sur ces ouvertures, Jeanne d'Albret, malgré les répugnances qui l'éloignaient de la cour, se décida et vint à Blois, puis à Paris, pour traiter cette grande affaire. Elle y fut comblée de démonstrations de respect et d'amour. Un jour qu'elle exprimait la crainte que le pape ne trainat en longueur les dispenses qu'il fallait obtenir de lui pour cette union: «Non, non, ma tante, dit le roi; je ne suis pas huguenot, mais je ne suis pas sot aussi. Si monsieur le pape fait trop la beste, je prendray moi-même Margot par la main et la mèneray espouser en plein presche. » (Lestoile.)

Charles IX parut en même temps abandonner les alliances catholiques, celles de l'Espagne et du pape, pour suivre, au grand mécontentement de ceux-ci, une politique toute différente. Les habi

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trinaire, il était à la fois faible et violent; ses mauvais instincts s'échappaient de temps à autre par des bouffées de fureur; cependant le fond de son caractère était celui de sa mère, une dissimulation enjouée et profonde. Que sa sœur Marguerite, que

Buste de Charles IX, par Germain Pilon; conservé au Louvre, dans le Musée de la Renaissance, sous le no 130.

le maréchal de Tavannes, l'un des principaux « massacreux » de la Saint-Barthélemy, aient présenté cet événement comme une sorte de coup du hasard qui n'avait pas été préparé, et auquel le roi et ses confidents furent entraînés malgré eux, on le comprend très-bien; mais, d'après l'ensemble des documents, la préméditation de cet épisode paraît aussi certaine que son atrocité; non point qu'on en eût d'avance arrêté le plan et fixé le jour; mais la trahison était dans les cœurs, en attendant l'occasion propice qui devait décider des moyens. Ce n'est pas seulement ce que disent les pamphlets de l'époque, ou les écrits passionnés des protestants, ou même ceux de catholiques modérés tels que Lestoile et de Thou, mais ce que proclament comme une merveille d'habileté et de louable énergie les panégyristes du complot: Davila, créature de Catherine; Adriani, historiographe de la famille des Médicis; Capilupi, auteur du Stratagème de Charles IX, pièce publiée à Rome, avec l'approbation du cardinal de Lorraine, l'année même de la SaintBarthélemy.

Les huguenots se défiaient des belles promesses de la paix de Saint-Germain; ils se dispersèrent dans leurs domaines ou dans leurs places de sûreté.

Monnaies de Charles IX (écus d'or).

tants des Pays-Bas imploraient comme une délivrance la substitution de la domination française, dans leur patrie, à celle des Espagnols. Prendre les armes contre Philippe II, secourir les PaysBas, se rapprocher de l'Angleterre, telle était en effet la vraie politique de la France, celle qui semblait oubliée depuis la mort de Henri II. C'était aussi une politique toute protestante. Charles IX sembla l'embrasser avec ardeur. Peut-être, dans

ses moments d'incertitude, fut-il épris sincèrement de la gloire qu'elle lui promettait et des avantages qu'elle pouvait assurer à la France. Il entama aussi des négociations avec l'Angleterre (mars 4574), dans le but de marier son frère le duc d'Anjou avec la reine Élisabeth. Ce mariage ne se fit pas, mais un traité, du moins, fut conclu peu après entre les deux royaumes (22 avril 4572). L'importance de tels changements, qui n'allaient à rien moins qu'à faire triompher le protestantisme, la pensée de servir utilement son pays, si les sentiments de Charles IX étaient réellement ceux qui semblaient l'animer depuis la paix de Saint-Germain, vainquirent enfin l'amiral. Il se rendit à Paris (octobre). « A l'arrivée, le roi l'appela son père, et après trois embrassades, la dernière une joue collée à l'autre, il dit de bonne grâce, en serrant la main du vieillard : « Nous vous tenons, maintenant, vous » ne nous échapperez pas quand vous voudrez. » (D'Aubigné, Hist. univ.) En effet, il le combla d'honneurs et de présents; il lui rendit toutes ses charges, lui permit de s'entourer de cinquante gentilshommes pour sa défense personnelle, le dédommagea des pertes qu'il avait subies pendant la guerre, et lui fit un don de cent mille livres. Il l'appelait à tous ses conseils, et «il ne se passoit jour que les grâces, que les dons et les offices refusez à tous autres ne lui fussent accordez gaiement, à la moindre parole qu'il vouloit prononcer. »> (D'Aubigné.)

Les catholiques étaient très-mécontents; le peuple commençait à associer le roi et la reine à son irritation contre les huguenots; les Guises s'étaient retirés de la cour, les ambassadeurs de Rome et de Madrid faisaient entendre les admonestations les plus pressantes. En effet, les dispositions de Charles devenaient de plus en plus belliqueuses. Tandis que les corsaires de la Rochelle ne cessaient d'inquiéter la navigation espagnole, Coligny rassembla dans le port de cette ville, avec l'agrément du roi, une flottille qui devait aller surprendre les possessions espagnoles des Antilles. La flottille partit; mais, l'ennemi ayant été prévenu par des avis envoyés de France, elle fut surprise et détruite. Charles IX entra de même ou parut entrer dans les vues de Coligny pour entamer la guerre en Flandre. Il fit faire de nouveaux armements à la Rochelle et à Bordeaux, envoya de l'argent au prince d'Orange, l'un des chefs du parti de la résistance dans les Pays-Bas, traita avec les protestants d'Allemagne, et donna l'ordre de rassembler une armée en Normandie, sous le commandement de la Noue et Genlis, deux des principaux lieutenants de l'amiral. Au mois d'avril 1572, des réfugiés flamands et hollandais, appuyés par l'Angleterre, s'emparèrent d'une place importante, la Brielle, sur la côte des Pays-Bas, et, le mois suivant, divers corps de huguenots français entraient sur le territoire de Flandre. La Noue s'assurait de Valenciennes, d'autres prenaient Mons. Mais ils n'agissaient que comme partisans, sans que le roi les eût

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avoués. Dès l'année précédente, en discourant avec Charles de Téligny (gendre de l'amiral), « fort privément comme à tous les huguenots », des entreprises qu'on méditait sur la Flandre, et parlant avec un abandon beaucoup trop complet d'ailleurs pour être sincère, Charles IX concluait en ces termes : Veux-tu que je te die librement, Téligny? Je me deffie de tous ces gens-cy : l'ambition de Tavannes m'est suspecte, Vieilleville n'aime que le bon vin; Cossé est trop avare; celuy (le maréchal) de Montmorency ne se soucie que de la chasse et de la fauconnerie; le comte de Retz est Espagnol; les autres seigneurs de ma court et ceux de mon conseil ne sont que des bestes; mes secrétaires d'État, pour ne te rien céler de ce que j'en pense, ne me sont point fidèles; si bien que je ne sçay, à vray dire, par quel bout commencer.» (Lestoile.) Tout en encourageant les partisans huguenots à porter leurs armes aux Pays-Bas, Charles ne déclarait pas la guerre aux Espagnols. Ceux-ci ayant mis le siége devant Mons, il permit seulement à Genlis d'aller au secours de la place avec sept mille hommes; mais, trahi soit par la fortune, soit, comme d'autres l'insinuent (Sismondi, d'ap. de Thou et Bentivoglio, Guerre di Fiand.), par Charles IX lui-même, Genlis fut enveloppé à l'improviste, sa petite armée taillée en pièces (44 juillet), une partie des prisonniers, ses compagnons, livrés aux inquisiteurs, et lui-même assassiné dans son lit.

Suivant le maréchal de Tavannes, cette déroute en Flandre fut la cause du massacre des huguenots à Paris. «La peur, dit-il, saisit la royne des armes espagnolles; le desdain, le despit se conçoit dans l'admiral, qui rejette ceste défaicte sur ceux qui avoient empesché le roy de se déclarer; l'audace augmente aux pacifiques; tout tonne dans la cour. L'admiral possède le roy... emporté d'audace, il dit qu'il ne pouvoit plus tenir ses partisans; qu'il falloit une des guerres, espagnolle ou civile. » Catherine alors, prévoyant une réaction terrible contre elle et ses enfants si Charles IX persistait à ne voir que par les yeux de Coligny et à soutenir les calvinistes, ayant échoué d'ailleurs dans ses tentatives pour le persuader par ses larmes, se serait follement déterminée à ce coup désespéré de faire assassiner l'amiral, et, après lui, les principaux chefs des protestants, pour forcer le roi, par l'énormité même du crime, à couvrir le tout de son adhésion.

Cette version, pleine en soi d'invraisemblance, ne peut être admise lorsqu'on sait que les menées de la cour, quelque habiles qu'elles fussent, étaient éventées déjà par des calvinistes moins fascinés que Coligny et son gendre, ou moins dégoûtés qu'eux des misères de la guerre civile. Depuis longtemps Coligny recevait, du sein de son parti, des exhortations inquiétantes; il entendait des cris d'alarme. Les Rochellois lui avaient écrit de se tenir sur ses gardes; ils étaient effrayés des préparatifs militaires qu'on faisait autour d'eux. Le 8 juin, la reine de Navarre était morte subitement à Paris ;

aussitôt on la dit empoisonnée, ce qui n'était probablement pas vrai, quoiqu'un parfumeur italien se soit vanté plus tard d'avoir fait le coup au moyen .de gants parfumés, mais ce qui montre la tendance de l'opinion publique. Coligny, qui s'était donné au roi tout entier, rejetait bien loin les avertissements; il répétait qu'il aimerait mieux être traîné ignominieusement dans les rues de Paris que d'avoir seulement la pensée de rallumer la guerre civile, et, pour donner une pleine marque de sa confiance, il ordonna que trois des places de sûreté des calvinistes fussent rendues aux troupes du roi avant le terme fixé, qui était le 8 août; la quatrième, la Rochelle, était dispensée par ses priviléges de recevoir une garnison royale. Le 7 août, les Rochellois lui écrivirent de nouveau pour lui exposer leurs craintes, qu'une foule d'indices justifiaient. Il leur répondit: «Je voy, grâces à Dieu, le roy si bien disposé à l'entretenement de la paix entre ses sujets, que nous avons tous occasion de le louer. » Quelques jours après, « le capitaine Blosset, Bourguignon et huguenot assez remarqué par le siége de la ville de Vézelay, qu'il deffendit vaillamment contre l'effort de l'armée catholique, prit congé de l'admiral pour se retirer en sa maison. Auquel l'admiral demenda pourquoy c'est qu'il s'en vouloit aller : « Pour ce, dit-il, Monsieur, qu'on »> ne nous veut point de bien icy. Comment » l'entendez-vous? dit l'amiral. Croyez que nous » avons un bon roy. Il nous est trop bon, dit-il ; » c'est pourquoy j'ay envie de m'en aller. Et si vous » en faisiez comme moi, Monsieur, vous feriez » beaucoup pour vous et pour nous. » Et ne fut jamais possible de l'arrester; dont il se trouva trèsbien. » (Lestoile.) Plusieurs autres de ses capitaines lui tinrent le même langage, et s'en allèrent de même. Un nommé Francourt lui remit par écrit un mémoire contenant de point en point tout ce qui allait arriver. (Tavannes.) Il demeura inébranlable.

Il importait cependant, pour la réussite des projets de la cour, que leur exécution ne fût pas plus longtemps différée. On cherchait non pas un prétexte, mais une combinaison sûre et qui donnât un résultat bien complet. On avait pensé d'abord à un tournoi, qui ferait partie des fètes du mariage de Marguerite avec Henri de Navarre. Un fort simulé fut construit dans la Cité; on devait le faire défendre par le duc d'Anjou et assaillir par les protestants, qu'on aurait tous tués dans la mêlée. «Cela fait, on viendroit assez à bout des autres... et quant à couvrir le fait, on trouveroit assez de prétextes. (Mém. de l'Estat de Fr.) Le fils de Tavannes, rédacteur des Mémoires de son père, y a laissé subsister le plan détaillé de ce tournoi, dressé, dit-il, de la main du maréchal; mais le piége fut trouvé trop grossier (d'Aubigné), et on l'abandonna.

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Le mariage de Marguerite fut célébré en grande pompe, à Notre-Dame, suivant les deux rites catholique et protestant, le 48 août. Les réjouissances ordinaires ne manquèrent pas de l'accompagner et

de mêler dans les mêmes plaisirs les champions des deux partis. C'est alors que fut définitivement résolu le massacre. Charles IX, suivant Davila, donna au duc de Guise, qu'il avait fait revenir à Paris en l'invitant à se faire bien accompagner, « l'ordre d'exécuter ce qui avoit été convenu entre eux. » Le jeune Henri de Guise, plein de l'esprit de sa famille et des leçons du cardinal son oncle, n'aspirait depuis longtemps qu'à venger dans le sang de Coligny le meurtre de son père, dont il accusait l'amiral d'avoir été complice. Charles lui laissait tout pouvoir d'accomplir sa vengeance. Un tel meurtre provoquerait indubitablement tous les chefs huguenots présents dans Paris à se jeter sur les Guises; mais, vigoureusement reçus par ceux-ci, et mis entre deux feux par l'arrivée des troupes royales, ils devaient tous y périr. Ainsi le grand résultat serait obtenu et les haines satisfaites sans que le roi parût avoir fait autre chose que réprimer les perturbateurs et maintenir l'ordre.

On va chercher ce Maurevert qui s'était signalé par l'assassinat du comte de Mouy; le duc de Guise l'établit dans la maison de son maître d'hôtel, située près de l'église Saint-Germain l'Auxerrois, et là cet homme, caché derrière les rideaux d'une fenêtre, avec son arquebuse, attend pendant trois jours, à l'affût. Enfin le 22 août, un vendredi, Coligny fut mandé de bonne heure au Louvre. Vers l'heure de midi, il prit congé du roi et sortit pour retourner à son hôtel (rue Béthizy); il s'avançait lentement, lisant un mémoire qu'on venait de lui remettre, quand il fut, suivant l'expression de Tavannes, « pourveu de l'arquebusade » que lui gardait Maurevert (voy. p. 78). Seulement l'assassin maladroit, au lieu de le tuer, lui brisa, de ses deux balles, l'index de la main droite et le coude du bras gauche. Le blessé, ramené chez lui, fit supplier à deux reprises le roi de lui accorder un dernier entretien; il voulait lui recommander encore la guerre de Flandre et l'observation équitable des édits. Charles IX arriva, accompagné de sa mère, du duc d'Anjou, du cardinal de Bourbon et de quelques-uns de ses officiers. « Mon père, s'écriat-il en entrant, vous avez la plaie, et moi la perpétuelle douleur; mais je renie mon salut (cela avee autres serments exécrables) que j'en ferai une vengeance si horrible, que jamais la mémoire ne s'en perdra.» Sous prétexte de veiller à la sûreté de l'amiral, il fit entourer la maison de ses gardes, et il invita les seigneurs protestants à se loger autour de leur chef, dans la rue de Béthizy, qu'on fit évacuer par les habitants catholiques.

La tranquillité des huguenots déconcertait les plans arrêtés. «Toute la cour est triste; aucuns du coup, et la plus grande part de ce qu'il avoit manqué. Les huguenots interprètent ce deuil à leur advantage. Les principaux s'assemblent chez l'admiral. L'avis est débattu par eux de sortir le blessé en armes, malgré Paris et la cour... Téligny emporte leur conseil, jure que le roy estoit pour eux qu'ils verroient punition exemplaire... Le conseil

du roy rassemblé, le péril présent, la royne en diverses craintes, la vérification du coup que l'on craignoit de voir s'esclaircir, la guerre ou l'exécution immédiate des huguenots pour l'empescher, luy tournent dans la teste... L'accident de la blessure au lieu de la mort, les menaces des huguenots, forcent le conseil à la résolution de tuer tous les chefs. » (Tavannes.) Ce conseil était composé, outre le roi et sa mère, du duc d'Anjou, du chevalier d'Angoulême, båtard de Henri II, du maréchal de Tavannes et de trois Italiens, le duc de Nevers, le maréchal de Retz et le chancelier de Birague. Ainsi, d'après Tavannes lui-même, on avait projeté une bataille simulée, et l'on se trouvait réduit à faire une simple exécution.

Le dimanche 24, à deux heures du matin, les cloches de l'église Saint-Germain l'Auxerrois sonnèrent le tocsin : c'était le signal. Épargnons au lecteur les mille détails navrants qu'on a souvent donnés de cette nuit horrible, et des trois jours semblables qui la suivirent (4). La fureur sanguinaire des soldats, la lâcheté féroce du peuple, qu'on avait appelé à la curée, et celle des voleurs de profession qui s'y joignirent d'eux-mêmes, n'ont jamais, sous le masque de religion, souillé plus hideusement une page de l'histoire. Contentons-nous du récit court et saccadé de Tavannes, qui s'est bien gardé d'y mettre qu'il parcourait les rues en tuant comme les autres, et en criant: « Saignez, saignez les médecins disent la saignée aussi bonne en août comme en mai. » Il raconte que le roi, s'étant couché, se relève soudain. « La royne et les conseillers appelez, elle, comme femme craintive, se fust volontiers dédicte sans le courage qui luy fut redonné des capitaines. Deux compagnies des gardes mandées arrivent à mynuict. Le logis de l'admiral est investi de sentinelles. M. de Guise est envoyé quérir, sous prétexte duquel est résolue l'exécution. Il luy est permis d'aller tuer l'admiral, venger la mort de son père. Il y court, y arrive devant jour, enfonce les portes avec les gardes de Sa Majesté. L'admiral connoît sa mort, adverty que c'estoient les gardes du roy qui l'attaquoient. Admoneste ses amis de se sauver, qui montent sur les toits. Quelques Suisses (du roi de Navarre, de garde dans la cour de l'amiral) tuez à l'abordée. Besme, Haultefort, Hattain (serviteurs des Guises), trouvent l'admiral sur pied, en l'appréhension de la mort. Les admoneste d'avoir pitié (2) de sa vieil

(') En voici un seul. Le comte de Coconnas « se vantoit qu'à la Saint-Barthélemy il avoit racheté des mains du peuple jusqu'à trente huguenots pour avoir le contentement de les faire mourir à son plaisir, qui étoit de leur faire renier la religion sous promesse de leur sauver la vie; ce qu'ayant fait, il les poignardoit et faisoit languir et mourir à petits coups, cruellement. » (Lestoile. - Voy. aussi d'Aubigné.)

(*) Non point pitié. Voici ses paroles : « N'es-tu pas l'amiral? lui cria le Lorrain Besme. C'est moy, répondit-il d'une voix calme. Jeune homme, tu devrois avoir esgard à ma vieillesse et à mon infirmité; mais tu ne feras pourtant pas ma vie plus briesve. »

lesse. Se sentant leurs épées glacer dans son corps, il prolonge sa vie en embrassant la fenestre pour n'estre jeté en bas, où, tombé, il assouvit les yeux du fils dont il avoit fait tuer le père. Le tocsain du palais point avec le jour. Tout se croise, tout s'esmeut, tout s'excite, et tous cherchent colère. Le sang et la mort courent les rues en telle horreur que Leurs Majestez mesmes, qui en estoient les auteurs, ne se pouvoient garder de peur dans le Louvre. Tous huguenots indifféremment sont tuez sans faire aucune défence. Les gentilshommes et capitaines couchez en la chambre du roy (c'està-dire étant de garde) au Louvre, en sont tirez et tuez. Le roy de Navarre et prince de Condé, craintifs, sont menés au roy; il leur propose la messe ou la mort. Le sang s'estanche, le sac s'augmente; Paris semble une ville conquise, au regret des conseillers (du massacre), n'ayant été résolu que la mort des chefs et factieux; au contraire, tous huguenots, femmes et enfants, sont tuez indifféremment du peuple, ne pouvant, le roy et lesdicts conseillers, retenir les armes qu'ils avoient débridées... Il demeure deux mille massacrez. » Evaluation trop modérée. Ce nombre ne fut, suivant de Thou, que celui des victimes du premier jour. Il y en eut dix mille dans les trois journées, dit Davila. On a encore les quittances de fossoyeurs qui ensevelirent dix-neuf cents cadavres tirés de la Seine, seulement à Chaillot et à Saint-Cloud.

La cour avait envoyé l'ordre de consommer le même forfait dans les provinces (4). Le meurtre se répandit à travers toute la France, et ajouta l'on ne sait combien de milliers de, victimes à celles de Paris. Cependant quelques hommes courageux, dont il faut conserver les noms avec respect, refusèrent de s'associer au crime : le baron de Gordes en Dauphiné, Saint-Hérem en Auvergne, Chabot-Charny en Bourgogne, la Guiche à Mâcon, Joyeuse en Languedoc, le comte de Tende en Provence, le vicomte d'Orthez à Bayonne. Ce dernier écrivit à Charles IX: Sire, j'ai communiqué le commandement de Votre Majesté à ses fideles habitants et gens de guerre de la garnison; je n'y ai trouvé que bons citoyens et braves soldats, mais pas un bourreau. C'est pourquoy eux et moi supplions très-humblement Votre dite Majesté vouloir employer en choses possibles, quelque hasardeuses qu'elles soient, nos bras et nos vies, comme estant autant qu'elles dureront, Sire, vôtres. »

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