Portrait de Henri III. - Peinture d'un artiste inconnu. (Voy. la gravure suivante.) il fit une entrée ridicule dans une voiture pleine commencement de novembre (1575), le roy fait de petits chiens, de singes et de perroquets. « Au remettre sus, par les églises de Paris, les ora toires, autrement dits les paradis, et y va tous les jours faire ses aumosnes et prières en grande dévotion; laisse ses chemises à grands goldrons, dont il estoit auparavant si curieux, et en prend à collet renversé à l'italienne; va en coche avec la roine son espouse, par les rues et maisons de Paris, prendre les petits chiens damerets, qui à lui et à elle viennent à plaisir; va semblablement par tous les monastères de femmes estans aux environs de Paris faire pareille queste de petits chiens, au grand regret et desplaisir des dames auxquelles les chiens appartenoient. » (Lestoile.) Dans les festins d'apparat, il se faisait parfois servir par toutes les dames de la cour habillées en hommes ou deminues, et allait au bal vètu lui-même en habits de femme, avec la poitrine découverte et chargée de colliers. (Id., fév. et mai 1577.) Enfin ses favoris, qu'on appelait ses mignons, comblaient la mesure de ces aberrations, bien qu'il exigeât d'eux un courage à toute épreuve. « Le nom de mignons commença en ce temps (1576), dit Lestoile, à trotter par la bouche du peuple, auquel ils étoient fort odieux, tant par leurs façons de faire, qui estoient badines et hautaines, que pour leurs fards et accoutrements efféminés et impudiques, mais surtout pour les dons immenses et libéralités que leur faisoit le roy. Ces beaux mignons portoient leurs cheveux onguets, frisés et refrisés par artifice, remontans par-dessus leurs petits bonnets de velours, comme font les courtisanes, et leurs fraizes de chemises de toile d'atour empezées et longues de demi-pied, de façon qu'à voir leurs têtes dessus leurs fraizes, il sembloit que ce fust le chef de saint Jean dans un plat. Le reste de leurs habillements fait de mesme. Leurs exercices estoient de jouer, blasphémer, sauter, danser, voleter, quereller et paillarder, et suivre le roy partout et en toutes compagnies, ne faire, ne dire rien que pour lui plaire, se contentans d'estre en bonne grâce de leur maistre, qu'ils craignoient et honnoroient plus que Dieu. >> Aussi les satires les plus cruelles, les pamphlets les plus obscènes, les caricatures les plus mordantes, dirigées contre Henri III, contre sa mère et contre ceux qui les entouraient, avaient cours par toute la France. Il ne faut pas leur accorder une foi absolue. Une futilité déshonorante et les mœurs les plus dissolues n'appartiennent que trop certainement à ce prince; mais les mœurs n'étaient pas meilleures chez le duc de Guise, le roi de Navarre, le duc d'Anjou, qui avaient aussi leurs mignons, leurs courtisanes, leurs spadassins, et parmi toute cette cour parfumée qui mêlait chaque jour aux fètes et aux débauches l'empoisonnement, l'assassinat, toutes les violences, et, comme vertu, la fureur du duel. Henri III fut aussi malheureux que blåmable; ses incontestables talents et les bonnes intentions qu'il pouvait avoir furent constamment paralysés par la défiance, la calomnie, la haine de tous les partis, au milieu desquels il se trouvait comme abandonné de tous; et de judicieux historiens ont pensé que sa mollesse était, un peu comme sa dévotion, un masque sous lequel il dissimulait, en attendant qu'il se sentit assez fort pour agir en roi. Cette attente fut vaine. «< En ce temps (août 1576), le roy alloit à pied, par les rues de Paris, gaingner le pardon du jubilé, accompagné de deux ou trois personnes seulement; et, tenant en sa main de grosses patenostres, les alloit disant et marmonnant par les rues. On disoit que ce faisoit-il par le conseil de sa mère, afin de faire croire au peuple de Paris qu'il estoit fort dévotieus catholique, apostolique et rommain, et lui donner courage de fouiller plus librement à la bourse. Mais le peuple de Paris n'en fist point de cas autrement. » (Lestoile.) LA SAINTE LIGUE. Vainement Henri III avait-il été l'un des principaux auteurs de la Saint-Barthélemy; son indolence, manifestement tolérante pour les huguenots, comme on l'avait vu par la paix de Saint-Germain, le condamnait aux yeux des catholiques ardents, qui se mirent en mesure de défendre eux-mêmes la cause qu'ils l'accusaient de trahir. Ils renouvelèrent, sous les auspices du clergé, des associations particulières qui s'étaient déjà établies dans certaines villes et mème dans des provinces entières, depuis le commencement des troubles religieux, pour opposer aux protestants une résistance énergique. Les cadres et la discipline de telles associations étaient tout formés; elles existaient dès le moyen âge, dans chaque paroisse, sous le nom de ces confréries dont les membres se réunissaient à certaines fêtes de l'année, se nommaient des chefs, délibéraient, se cotisaient et faisaient des processions. Le zèle populaire, dirigé par les Guises et par les jésuites, fomentait depuis dix ans l'ardeur de ces petites sociétés qu'on appelait ligues. Il en existait de tous côtés. Leur donner une direction commune, un centre, un chef, eût été en faire un instrument d'une puissance formidable. Če fut l'idée dont s'empara le duc de Guise, guerrier non moins brave que son père et plus audacieux politique. Sous son inspiration fut dressé et distribué dans toute la France l'acte constitutif de la « sainte Ligue » ou «< sainte Union catholique », qu'on colporta d'abord clandestinement, et qui ne tarda pas à faire explosion par le succès. Les officiers municipaux allaient eux-mêmes de maison en maison recueillir des signatures pour cet acte, où tous les adhérents juraient « de retenir le saint service de Dieu selon la forme de l'Église catholique, et de conserver le roi Henri en l'état, splendeur, autorité et puissance dus par ses sujets »; mais tout en prêtant ce serment de fidélité au roi, on établissait dans le royaume une corporation plus puissante que lui, et on jurait de plus obéissance et fidèle service jusqu'à la mort au chef que la Ligue devait nommer, disait-elle, et que tout le monde avait nommé déjà en la personne du duc de Guise. Au bout de quelques mois, les ligueurs comptèrent qu'ils avaient trente et un mille hommes prêts à prendre les armes. Les États généraux s'assemblèrent à Blois, le 6 décembre 1576. Henri III espérait en leur sa gesse pour faire prévaloir ses vues de modération et de paix; mais l'assemblée se trouva entièrement composée de catholiques. Le roi ouvrit les délibérations en prononçant d'une voix ferme et claire un discours plein de sagesse et de vérité. « J'espère, dit-il, qu'en cette assemblée de tant de gens de bien, d'honneur et d'expérience, se trouveront les moyens pour mettre ce royaume en repos, et donner remède aux maux dont le corps de cet État est tellement ulcéré qu'il n'a membre sain ni entier. Quand je viens à considérer l'étrange changement qui se voit depuis le temps des rois mes père et aïeul, je connois combien heureuse étoit leur condition, et la mienne dure et difficile. Car je n'ignore pas que, de toutes les calamités publiques et privées, le vulgaire peu clairvoyant s'en prend à son prince, comme s'il étoit en sa puissance d'obvier à tous sinistres accidents, ou d'y remédier aussi promptement que chacun le demande... Je n'ai rien senti si grief ni qui m'ait pénétré si avant dans le cœur que les oppressions et misères de mes pauvres sujets, la compassion desquels m'a souvent ému à prier Dieu de me faire la grâce de les délivrer..... » Il termina par ces paroles « Après avoir bien considéré les hasards et inconvénients qui étoient de tous côtés à craindre, j'ai finalement pris la voie de douceur et de réconciliation; à quoi je veux principalement travailler, accommodant autant que possible toute chose pour affermir et assurer une bonne paix, laquelle je tiens être le remède seul et unique pour conserver le salut de cet État. >> L'assemblée était précisément dans des dispositions tout opposées. Le roi vit bientôt que, pour ne pas se l'aliéner entièrement, il fallait sacrifier ses projets de tolérance et de justice. N'espérant plus la modérer, il se mit à sa tête comme catholique violent, signa la Ligue, et par une résolution habile, qu'il croyait de nature à émousser dans la main des Guises l'arme qu'ils s'étaient forgée, il se nomma lui-même le chef de l'association, et la fit signer par tous ses courtisans. Il déclara en même temps (1er janv. 4577) que, pour se conformer au vœu des États généraux, il révoquait le précédent édit de paix accordé aux protestants; et malgré la mauvaise volonté presque outrageante avec laquelle les États lui refusèrent opiniâtrément toute espèce de subside, il envoya son frère le duc d'Anjou, et Charles de Mayenne frère du duc de Guise, gaerroyer contre les huguenots. Puis, faute de ressources pour continuer, et aussi faute de zèle, il en vint encore à leur accorder la paix, qui fut signée à Bergerac le 17 septembre, et leur assura de nouveau le libre exercice de leur culte. Cette situation incertaine, tournée tantôt à une paix inquiète et turbulente, tantôt à une guerre molle et sans résultat, se prolongea dans les années qui suivirent. Le roi, aidé du dévouement toujours actif et vigilant de sa mère, continuait son système de pacification, espérant user à la fin les partis. En 1578 (31 décemb.), il fonda l'ordre du Saint Esprit, qu'il destinait à ranimer le zèle des grands seigneurs pour la royauté, et à former une sorte de confédération nobiliaire opposée à celle de la Ligue. Au commencement de l'année suivante, il se rapprocha des huguenots, aux conférences de Nérac (fév. 1579), et leur fit quelques concessions nouvelles; puis, l'année suivante, la guerre recommença avec eux dans le Midi, et se termina Monnaie de Henri III (teston d'argent). - Cabinet des médailles de la grande bibliothèque de Paris. Pendant que la France continuait ainsi, sous la funeste inspiration du fanatisme religieux, à se déchirer de ses propres mains, elle laissait les pays flamands et belges se débattre péniblement contre la tyrannie espagnole, et aspirer en vain à rentrer dans la grande famille française. Henri III sentait cette faute, comme l'avaient vivement sentie Charles IX et Coligny. Il avait permis, en 4578, que le duc d'Anjou son frère, tout en désavouant cette entreprise auprès de Philippe II, acceptât la dictature militaire que lui offraient les provinces méridionales des Pays-Bas, et leur conduisît quelques milliers de soldats calvinistes qu'on avait assemblés en France. Le duc d'Anjou avait rencontré tant d'entraves dans la défiance de ceux qui l'avaient rappelé, et de l'Angleterre qui devait le soutenir, qu'après une courte et insignifiante campagne, il avait licencié sa petite armée et quitté les Pays-Bas. Ces projets furent bientôt repris. Le duc repartit, en 4581, avec une armée française composée de quatorze mille soldats que la paix de Fleix avait rendus inoccupés, tandis que Henri III, assurant le roi Philippe de son impuissance à retenir malgré eux son frère et même les simples gentilshommes de son royaume, feignait d'implorer le ciel pour le succès des armes espagnoles. En effet, sous peine de chanceler lui-même, il ne lui avait pas été permis de montrer la moindre hostilité contre ce grand champion de la foi catholique, quelque atteinte que l'intérêt national en dût souffrir. Cette fois l'expédition du duc d'Anjou fut brillante; il délivra Cambrai assiégé par le duc de Parme, un des plus habiles successeurs du duc d'Albe, prit d'assaut Cateau-Cambrésis, poursuivit heureusement la guerre, passa en Angleterre dans l'espoir de mener à fin ses négociations avec la reine Élisabeth, dont il n'avait pas renoncé à devenir l'époux, et, de retour sur le continent, fut peu après par le traité de Fleix (26 nov. 4580), établi sur les mêmes bases que la paix de Bergerac. La frivolité de cette dernière prise d'armes, qui n'eut d'autre cause que la mésintelligence suscitée entre Henri III et le roi de Navarre par les débordements de Marguerite, sœur de l'un et femme de l'autre, lui fit donner le nom de « guerre des amoureux. » couronné à Anvers, le 19 février 4582, comte de Flandre et duc de Brabant. Les vices héréditaires de la race des Valois le perdirent. Au lieu de faire sa jonction avec le prince d'Orange, qui gouvernait la république formée par les sept provinces septentrionales des Pays-Bas, et de frapper les grands coups contre la domination espagnole, il s'endormit dans les plaisirs, se laissa battre par l'ennemi, s'attira la haine des Flamands, et finit par être obligé d'abandonner une seconde fois ce pays dégoûté de lui (janv. 1583). Les Espagnols reprirent bientôt tout l'avantage. La Belgique effrayée ouvrit alors de nouvelles négociations pour rappeler le duc d'Anjou, en offrant de se réunir à la France s'il mourait sans postérité, pourvu que Henri III l'aidât ouvertement de toutes ses forces. Le duc avait promis d'obtenir l'assentiment de son frère à ces belles conditions; mais Henri n'aurait certainement pas obtenu celui des catholiques. Sur ces entrefaites, le duc d'Anjou mourut, âgé de trente ans (40 juin 4584). Cet événement réveilla la sainte Ligue, qui semblait s'être affaissée à la suite de ses premières manifestations. En effet, il posait la question brùlante de savoir si Henri III, qui n'avait pas d'enfants, et dont on savait la santé compromise, laisserait le trône, après lui, au chef des huguenots, Henri de Bourbon, roi de Navarre. Quoi! la couronne de France pourrait se poser sur la tête d'un de ces hérétiques détestés; le titre de roi trèschrétien lui appartiendrait! et c'était de plus un hérétique relaps, c'est-à-dire irréconciliable avec l'Église, car, lors de la Saint-Barthélemy, Henri avait un instant abjuré la réforme et l'avait reprise après sa fuite. La parenté de la branche des Bourbons avec la famille royale était-elle assez sérieuse et assez certaine pour amener ce résultat? En effet, les deux Henris n'étaient cousins qu'à vingt-deux degrés l'un de l'autre, et, d'après les lois du royaume, tout lien civil s'effaçait entre les familles au delà du septième degré. A côté de ces réclamations des catholiques commençait à se produire au grand jour le secret des Guises et de leurs partisans. Quel choix plus digne la nation pouvait-elle faire, pour occuper ce trône vacant, que d'y appeler le chef de cette vaillante maison de Guise qui avait donné tant de gages de ses talents et de sa piété? On avait même répandu, dès l'origine de la Ligue, des dissertations et des généalogies dans lesquelles on cherchait à prouver que les princes de Lorraine descendaient de Charles de Lorraine, le dernier des Carolingiens, et que les Guises, en se substituant aux Valois, ne faisaient que rentrer dans leur héritage usurpé. Les ligueurs parlaient déjà de voir le duc de Guise enfermer le dernier des Valois dans un monastère, « comme Peppin, son ancêtre, fit à Childéric », et Mme de Montpensier, sœur du Balafré, montrait pendus à sa ceinture des ciseaux d'or avec lesquels elle prétendait donner au dernier des Valois sa troisième couronne, celle de moine. Dans leur crainte donc qu'un prince huguenot n'arrivât au trône, les catholiques redoublèrent de défiance à l'égard de la cour, et d'ardeur pour la défense de la foi. Un mois après la mort du duc d'Anjou, le prince d'Orange, chef de la république formée par les provinces septentrionales des PaysBas, tombait assassiné. Les Pays-Bas tout entiers se jetèrent alors dans les bras du roi de France, qui se décida enfin à braver les amis de l'Espagne plutôt que de laisser échapper une aussi belle fortune. Mais aussitôt la Ligue s'agita, et le duc de Guise signa pour elle et pour lui, dans sa maison de Joinville, avec des envoyés de Philippe II, un traité secret pour la défense de la vraie religion tant en France qu'aux Pays-Bas. Philippe s'engagea à lui fournir cinquante mille écus par mois pour soutenir la guerre, et le duc, trop habile pour dévoiler encore tous ses projets, y fit insérer comme principale clause que le vieux cardinal de Bourbon, oncle du roi de Navarre et catholique fidèle, serait reconnu comme héritier de la couronne après la mort de Henri III, « à l'exclusion du tout, pour toujours et à jamais de tous les princes du sang de France étant à présent hérétiques et relaps. (31 déc.) Ce traité fut confirmé par l'approbation officielle du pape; les ligueurs coururent partout aux armes, s'emparèrent des villes, rassemblèrent des troupes, et le cardinal de Bourbon publia, le fer avril 1585, un manifeste portant que «< ce royaume très-chrétien ne souffrira jamais régner un hérétique, attendu que les sujets ne sont tenus de reconnoître ni soutenir la domination d'un prince dérogé de la foi catholique et relaps, étant le premier serment que fassent nos rois, lorsque l'on leur met la couronne sur la tête, maintenir la religion catholique, apostolique et romaine, sous lequel serment ils reçoivent celui de fidélité de leurs sujets, et non autrement. » Henri III essaya de résister; il mit en campagne deux de ses plus braves mignons, les dues d'Épernon et de Joyeuse, qui dissipèrent quelques rassemblements de ligueurs dans le Poitou, la Touraine et l'Orléanais; mais il fut obligé d'avouer son impuissance aux ambassadeurs des Pays-Bas et de les renvoyer, puis de dépêcher auprès du duc de Guise sa mère affaiblie et malade, qui accepta pour lui le traité de Nemours, par lequel il déclarait approuver tous les actes de la Ligue, et s'engager à interdire aux calvinistes l'exercice de leur culte, à les forcer d'abjurer sous six mois ou de sortir du royaume, et à bannir immédiatement tous leurs ministres (5 juill.). Cette fois le roi semblait s'être jeté à corps perdu dans le parti fanatique, et lorsqu'il se montra aux Parisiens il obtint, par une rare faveur, leurs applaudissements. Enfin le pape Sixte V vint mettre la dernière main au triomphe momentané de la Ligue en fulminant une bulle d'excommunication contre le roi de Navarre et le prince de Condé, qu'il déclara déchus de leurs titres, indignes et incapables de tenir aucunes principautés, duchés, seigneuries, fiefs honneurs et offices royaux, et spécialement incapables et inhabiles de succéder au royaume de France et domaines dépendants d'icelui.» (40 sept.) En d'aussi périlleuses conjonctures, menacé de voir toute la France se lever contre lui quand son |