parti ne pouvait plus qu'à grand' peine mettre trois ou quatre mille hommes sur pied, Henri de Bourbon déploya ses talents et son énergie. « Ils ne tiennent pas encore le Béarnais », disait-il. Le Béarnais tenta de former une ligue protestante des États du Nord pour résister à la ligue des catholiques; il demanda des soldats à l'Allemagne, de l'argent à Élisabeth, négocia de tous côtés tout en préparant ses armes, offrit même à Henri III, qui dėtestait les Guises, de se rallier à lui contre eux avec toutes ses forces et tout son dévouement; en même temps, il fit répondre au pape plusieurs manifestes dont l'un fut affiché à Rome, dans lequel on disait que quant au crime d'hérésie que la bulle articulait, «monsieur Sixte, soi-disant pape, avoit à tort et malicieusement menti. »> Cependant il fallut combattre. On y employa les années 4586 et 4587. Henri III se posta avec une armée au centre de la France, sur la Loire, et envoya le duc de Guise dans le Nord contre les levées protestantes de l'Allemagne et de la Suisse, le duc de Joyeuse dans le Languedoc, le duc d'Épernon dans la Provence. La lutte se borna d'abord à des engagements sans importance; mais, en 1587, le roi de Navarre défit et tua Joyeuse, avec moitié moins de soldats, à la bataille de Coutras (20 oct.), tandis que dans les plaines de la Champagne et de l'Orléanais le duc de Guise se couvrait de gloire; avec une poignée d'hommes levés en partie à ses frais, il gagnait deux victoires (Vimory, 26 oct.; Auneau, 44 nov.) et détruisait une armée de trentesix mille Allemands. Henri III fut encore accusé de mollesse à l'égard des huguenots, et de trahison envers Guise, qu'il avait fait combattre avec des forces trop disproportionnées. On le reçut très-mal à son retour à Paris (23 décemb.). Il n'y avait pas de prédicateur qui ne s'écriât en chaire que «Saül en avoit tué mille et David dix mille.» La Sorbonne décréta, dans ses conseils secrets, « qu'on pouvoit ôter le gouvernement aux princes qu'on ne trouvoit pas tels qu'il falloit, comme l'administration aux tuteurs qu'on avoit pour suspects. » Paris était en effet le cœur de la Ligue. La puissance de cette grande ville ne résidait pas seulement dans son étendue, ses richesses, ses lumières, mais dans une forte organisation municipale. Elle était divisée en seize quartiers, dont chacun fournissait à la milice bourgeoise son contingent, commandé par un chef de quartier ou quartenier, ayant sous ses ordres des centeniers et dizeniers. En quelques moments, les principaux officiers de la municipalité, c'est-à-dire le prévôt des marchands et ses quatre échevins, pouvaient donc mettre une force considérable sur pied. Le conseil secret de la Ligue avait dans chaque quartier un agent de confiance, homme de parole et d'action, chargé d'agir en dehors des offi ciers municipaux et d'échauffer le zèle. Les Seize, ainsi les nommait-on, presque tous curés des différentes églises de la ville, ou avocats et procureurs au Parlement, formaient un pouvoir occulte et d'autant plus redoutable. Les Parisiens, qui n'avaient donné que trop de preuves de leur zèle catholique à la Saint-Barthélemy, qui depuis avaient vu de près les extravagances par lesquelles le roi continuait à se discréditer, et qu'indignaient les appels très-fréquents qu'il faisait à leur bourse, étaient pour la plupart grands partisans des Guises. Ils ne ménageaient au roi ni les quolibets, ni les injures, et se permettaient, souvent en sa présence même, des paroles qu'un prince moins débonnaire eût sévèrement punies. Il se contentait d'ordinaire de répondre aux remontrances peu respectueuses du conseil de ville ou aux prédicateurs qui se déchaînaient contre lui dans leurs chaires par quelque «chastiment de paroles; non qu'il ne sentist assés l'injure qui lui estoit faite, laquelle méritoit bien une punition, et la jugeoit même très-nécessaire, voyant à l'œil que leur audace croissoit par l'impunité et leur fureur par sa patience; mais, estant d'un naturel fort mol et timide, il en demeuroit là. » (Lestoile.) Il se lassa pourtant, et, averti depuis longtemps des cabales qu'on ourdissait dans Paris, il résolut de faire acte d'autorité en chàtiant quelques-uns des plus signalés ligueurs. Il fit approcher.quatre mille Suisses avec d'autres troupes, et envoya dire au duc de Guise qu'afin de ne pas augmenter la fermentation populaire, il eût à s'abstenir de venir dans la capitale s'il ne voulait être tenu pour criminel et auteur des troubles du royaume. Les ligueurs, de leur côté, effrayés de l'arrivée des troupes royales, qu'on avait logées dans les faubourgs, firent dire au duc qu'ils étaient perdus s'il ne venait. Celui-ci n'hésita pas; il accourut (9 mai 1588). On cria: Vive Guise! dans les rues. Le roi reçut ses excuses, pâle de colère, et, le lendemain, il fut obligé de recevoir les remontrances que le Balafré vint lui faire sur la nécessité de poursuivre l'hérésie à outrance. Le jeudi matin, 42 mai, les troupes royales se répandirent dans Paris et porterent l'effroi dans tous les quartiers; mais Henri III, au lieu d'agir, ordonna « de tirer leurs épées seulement à moictié, espérant que la temporization, douceur et belles paroles désarmeroient peu à peu les gens.» Au contraire, le peuple s'enhardit; les amis des Guises, notamment le comte de Brissac, excitèrent à la révolte; on tendit des chaînes, on barricada les rues, on massacra les Suisses, qui ne se défendaient pas; sur le soir, le roi était obligé de retirer toutes ses troupes, et, le lendemain, de venir à composition. Le lendemain, «le tumulte se renforçant, la roine mère, laquelle tout du long de son diner n'avoit fait que pleurer, prend le chemin vers l'hostel de Guise (1), pour tascher de pacifier ceste (') Aujourd'hui hôtel de la direction générale des Archives, rue du Chaume. Catherine avait soixante-neuf ans. esmotion, laquelle estoit telle qu'à peine peust-elle passer jusques-là par les rues, si dru semées et retranchées de barricades, desquelles ceux qui les gardoient ne voulurent jamais faire plus grande ouverture que pour passer sa chaise. Enfin y estant arrivée, elle parle au duc de Guise, le prie d'esteindre tant de feux allumés, venir trouver le roi, duquel il auroit autant de contentement qu'il en pourroit espérer. A quoi le duc de Guise, faisant le froid, respond qu'il en estoit bien marri, mais qu'il n'en pouvoit mais, que c'est au peuple, et que ce sont des taureaus eschauffés qu'il est malaisé de retenir. Lors la roine, remarquant de l'opiniastreté en la résolution du duc de Guise, en donna advis au roy, lequel voyant le peuple continuer en ses armes et en sa furie, et icelle croistre et augmenter d'heure en heure, et les Parisiens qui s'estoient approchés des portes du Louvre et commençoient à se barricader près d'icelles; adverti d'ailleurs qu'en l'Université le comte de Brissac et les prédicateurs qui marchoient en tète, comme colonels des mutins, et ne tenoient autre langage sinon qu'il faloit aller quérir frère Henri dans son Louvre, avoient fait armer sept ou huit cents escoliers et trois ou quatre cents moines de tous les couvents prêts à marcher vers le Louvre à la faveur du peuple, furieusement animé contre le roy; et ceux qui estoient près de lui, sur les cinq heures du soir, ayant reçu advis qu'il eust à sortir plustost tout seul, ou qu'il estoit perdu, il sortist du Louvre à pied, une baguette à la main, comme allant, selon sa coustume, se promener aux Thuilleries. Il n'estoit encore sorti la porte qu'un bourgeois de Paris l'advertit de faire diligence, pource que le duc de Guise estoit après pour l'aller prendre avec douze cens hommes. Estant arrivé aux Thuilleries, où estoit son escurie, il monta à cheval avec ceux de sa suitte. Du Halde le botta, et, lui mettant son esperon à l'envers: « C'est tout un, dist le roy, je » ne vay pas voir ma maistresse; nous avons un » plus long chemin à faire. » Estant à cheval, se retourna devers la ville et jetta sur elle sa malédiction, lui reprochant sa perfidie et ingratitude, et jura qu'il n'y rentreroit que par la bresche. »> (Lestoile.) Il prit le chemin de Saint-Cloud, gagna Rambouillet, et, le lendemain, Chartres, où s'établit le gouvernement de l'État. Il fut obligé bientôt d'apaiser ou de cacher sa colère, de négocier de nouveau, de recevoir des députés du gouvernement quasi républicain de Paris qui l'assuraient de leur fidélité et le priaient de revenir, d'accueillir même le duc de Guise et ses propositions d'accommodement; mais il ne sembla pardonner à ce dernier son humiliation que pour mieux assurer sa vengeance. Le 1er juillet, il consentit à signer ce qu'on appela « l'édit d'union »<, pacte par lequel il accordait au duc de Guise tout ce qu'il lui avait refusé dans la journée des Barricades: le serment de ne poser les armes qu'après la destruction de l'hérésie, l'indignité de tout prince hérétique relativement à la succession au trône, la nomination du prince lorrain à la lieutenance générale du royaume, le renvoi du duc d'Épernon son favori, des places de sûreté pour la Ligue, et la convocation d'États généraux à Blois. Ces États, qui s'ouvrirent le 16 octobre, furent presque entièrement composés de partisans de la Ligue. Le cardinal de Lorraine, frère du duc de Guise, y présidait le clergé, le comte de Brissac la noblesse, et le prévôt de Paris nommé sur les barricades, la Chapelle-Marteau, le tiers état. Une telle assemblée ne pouvait qu'augmenter encore par ses décisions l'irritation secrète de Henri III et sa haine contre le duc, qu'il supposait l'instigateur des passions et des menées de la Ligue; celui-ci ne faisait cependant que les suivre et les mettre adroitement à profit. Les députés se montrèrent animés d'un esprit intraitable. Le roi, espérant les ramener à lui par la raison, s'efforça de justifier à leurs yeux sa conduite par un discours comme il savait les faire, et d'entrer dans leurs vues. « De qui est-ce, leur ditil, que les hérétiques occupent et dissipent le patrimoine? De qui aliènent-ils les sujets? De qui méprisent-ils l'obéissance? De qui est-ce qu'ils violent le respect, l'autorité et la dignité?... Se trouvera-t-il donc des esprits si peu capables de la vérité qu'ils puissent croire que nul soit plus enflammé que moi à vouloir leur totale extirpation?... La crainte que vous auriez de tomber, après ma mort, sous la domination d'un roi hérétique, s'il arrivait que Dieu nous défortunat tant que de ne me donner liguée, n'est pas plus enracinée dans vos cœurs que dans le mien... C'est pourquoi j'ai fait mon saint édit d'union, et je suis d'avis que nous en fassions une des lois fondamentales du royaume, et qu'à ce prochain jour de mardi, en ce mème lieu, nous la jurions tous... » Le roi donna l'exemple, et tous jurèrent en effet, les gens d'église en portant les mains à leur poitrine, et les autres en levant les deux bras au ciel. Il se joignit ensuite à l'arrêt qu'ils prononcèrent de nouveau contre le roi de Navarre, le déclarant personnellement déchu de tout droit à la couronne et criminel de lèze-majesté divine et humaine. Enfin, il chercha à gagner parmi les députés du tiers état, par son affabilité, des bienveillances individuelles. Tous ses efforts échouerent contre la défiance et le mauvais vouloir qu'il avait inspirés. Malgré tant d'avances, l'assemblée se refusa à toute concession en matière de finances; elle créa une chambre d'enquètes pour la recherche des malversations dans la gestion des deniers publics, et, loin de faciliter au roi l'exécution des décrets qu'elle avait rendus de concert avec lui contre les hérétiques en lui fournissant les moyens de faire la guerre, elle demanda la suppression de toutes les tailles nouvelles établies depuis l'an 4576. Henri III désespéré priait « que l'on trouvàt bon d'entrer en conférence sur le fonds qu'il demandoit; car de révoquer les tailles sans lui donner moyens assurés, c'étoit le perdre, et qu'en le perdant nous nous perdions tous.» (Journ. de Bernard.) Les États persistèrent. La colère du roi retomba sur celui qu'il regardait comme l'auteur de ses déboires, lequel semblait d'ailleurs devenir plus hautain à mesure que le roi montrait plus de patience. Elle s'augmenta encore de la nouvelle, arrivée le 1er novembre, d'une agression du duc de Savoie, qui avait osé en pleine paix, sous prétexte qu'il redoutait les huguenots du Dauphiné, s'emparer du marquisat de Saluces et en chasser les garnisons françaises. On vit dans ce trait d'audace, que le duc de Savoie avait précisément fait exécuter par un oncle maternel des Guises, le marquis de Saint-Sorlin, une trahison ourdie par la Ligue et le duc. Henri III résolut, n'osant se confier à ses tribunaux, de se débarrasser enfin de son ennemi par un meurtre. C'était, à ses yeux, non pas un assassinat, mais l'usage du droit suprême d'un monarque absolu. «Ne voylà que trop de crimes de lèze-majesté, disait-il, que trop de conspirations descouvertes. Il n'est de besoin à un roy, pour chastier les autheurs de tels attentats, procéder par les voyes ordinaires de justice, qui ne sont ordonnées que pour tenir le simple peuple en devoir. » Le duc de Guise reçut une foule d'avis anonymes qui l'avertissaient de projets sinistres tramés contre sa vie, et les méprisa. « L'on n'oseroit », répondait-il. Le 23 décembre au matin, «sur les huit heures, M. de Revol, secrétaire d'Estat, sortant du cabinet du roy, vint dire à M. de Guise, qui estoit assis au conseil, que le roy le demandoit; aussitost il part, et estant entré dans la chambre où estoit le cabinet du roy, tenant son chapeau d'une main et levant la tapisserie de la porte du cabinet de l'autre, estant penché pour y entrer, pource que la porte estoit fort basse, à l'instant six des quarante-cinq, qui estoient gentilshommes que le roy avoit depuis quelque temps choisis pour estre auprès de sa personne, avec poignards et grandes dagasses qu'ils avaient nues sous leurs manteaux, le poignardèrent si soudain, qu'il n'eut loisir que de dire « Mon >> Dieu, ayez pitié de moi!» Et il alla tomber au pied du lict du roy, où, sans parler, il rendit les derniers soupirs et sanglots de la mort. » (P. Victor Cayet.) Le bruit vint jusqu'à la salle du conseil. << Voilà mon frère qu'on tue! » s'écria le cardinal de Guise; mais les maréchaux d'Aumont et de Retz le retinrent et le conduisirent dans un galletas où, le lendemain, quatre soldats vinrent l'égorger à coups de hallebardes. Le cardinal de Bourbon, l'archevêque de Lyon, Brissac, la Chapelle-Marteau, plusieurs autres encore furent arrêtés et tenus sous bonne garde. << Madame, dit Henri III en se présentant chez sa mère, dès qu'il fut assuré que le duc était mort, je suis maintenant seul roi de France et n'ai plus de compagnon, ayant fait tuer le roi de Paris. » Catherine de Médicis ne répondit à sa joie qu'en lui exprimant ses craintes pour l'avenir. Peu de jours après, le 5 janvier 4589, Catherine termina sa longue et tragique carrière; elle ne put emporter la consolation de laisser le pouvoir affermi dans sa famille, malgré tous les soins de son habileté sans conscience et sans remords. Dès que se répandit la nouvelle du double crime commis aux États de Blois, « les plus grandes villes de France se mirent du party de l'Union et se bandèrent contre le roy »; Paris surtout retențit de cris de douleur et de colère. Le pouvoir des Seize dans la capitale ne trouva plus de bornes. Charles, duc de Mayenne, frère des Guises, étant à Lyon, les ligueurs nommèrent gouverneur de Paris un autre membre de la même famille, le duc d'Aumale; ils armèrent le peuple; ils écrivirent daus les provinces pour réchauffer le zèle des catholiques unis contre ceux qu'ils appelaient les catholiques royaux, et tinrent ceux-ci sous les menaces et la terreur. Le roi de Navarre et ses huguenots leur étaient moins odieux que les défenseurs de celui qu'ils ne voulaient plus nommer que Henri de Valois. « Ils tournoient son nom en anagramme et l'appeloient en chaire vilain Hérodes; ils deffendoient de prier Dieu pour lui, pource, disoient-ils, qu'il estoit excommunié « ipso facto », et crioient tout haut en chaire : « Nous n'avons plus de roy! » L'on faisoit faire aussi des processions de petits enfants avec des chandelles allumées, lesquelles ils esteignoient avec leurs pieds, marchants dessus, criant : « Le roy est hérétique et excommunié! » Partout où ils trouvoient de ses portraits, ils les deschiroient, rayoient son nom, ostoient ses armes aux lieux de la ville où on les avoit mises. >> Les prédicateurs, à la fin de leurs sermons, faisaient lever la main à tous les assistants « pour signe de consentement d'emploier jusqu'au dernier denier de leur bourse et jusques à la dernière goutte de leur sang pour venger la mort des deux princes massacrés par le tiran. » (Lestoile et Çayet.) Le 7 janvier, la Sorbonne déclara que le peuple « estoit délié et délivré du serment de fidélité et obéissance prêté au roi, qu'il pouvoit licitement et en assurée conscience être armé et uni, recueillir deniers et contribuer pour la deffense et conservation de l'Église catholique romaine contre les efforts dudit roy et de ses adhérents, puisqu'il avoit violé la foy publique. » Le Parlement, après avoir été épuré par la mise à la Bastille de soixante de ses membres, confirma les conclusions de Sorbonne, et compléta par son adhésion ce décret de déchéance prononcé contre Henri III. Le pape, enfin, le menaça de publier contre lui des bulles d'excommunication. Au milieu des périls si pressants dont il avait provoqué la recrudescence, Henri III ne put encore se résoudre à agir avec énergie. Il chercha d'abord à s'appuyer sur les États généraux; mais les trouvant toujours indociles, il les congédia, le 46 janvier. Il négocia avec le pape et le roi d'Espagne; il essaya de gagner le duc de Mayenne; il renvoya à Paris, dans l'espoir d'apaiser, par sa réputation de douceur, quelques gens de la Ligue qu'il avait bien traités. Toutes ces démarches furent inutiles. Pendant ce temps, les ligueurs se fortifierent, s'entendirent avec le roi d'Espagne, appelèrent le duc de Mayenne à Paris, et s'emparèrent de tout le pays à dix lieues autour de cette ville, à l'exception de Vincennes et Melun. Le roi, accompagné d'un petit corps de gentilshommes de bonne volonté que lui amena d'Espernon, s'avança jusqu'à Tours (mars); mais avec si peu de soldats, et complétement privé de ressources financières, il ne put que reconnaître son impuissance. En effet, il usa de sa dernière ressource; il fit ce qui devait justifier les imprécations de la Ligue et de ses prédicateurs fanatiques : il appela à lui le roi de Navarre, et accepta l'alliance des huguenots. Le Béarnais vint le trouver au château de Plessis-lez-Tours, le 30 avril, malgré l'avis de plusieurs des siens, qui lui représentaient que Henri III pourrait bien envoyer la tête du chef des calvinistes à Paris, pour prix de sa réconciliation avec la Ligue. Il arriva « vestu en soldat, le pourpoint tout usé sur les espaules et aux costés de porter la cuirasse, le hault de chausse de velours de feuille morte, le manteau d'escarlate, le chapeau gris avec un grand panache blanc.» (V. Cayet.) Henri de Navarre, en effet, luttait péniblement contre la mauvaise fortune. Sa réunion avec le roi de France releva subitement les affaires de tous les deux, en simplifiant les questions qui s'agitaient dans ces discordes civiles. Le chef des protestants publia plusieurs manifestes pleins de chaleur, dans lesquels, laissant de côté les vieilles rancunes de son parti et le rigorisme calviniste, il ne parlait que de l'obéissance due au roi légitime et des maux de la patrie. Tous les catholiques modérés firent des vœux pour les deux Henris, et une bonne partie de la noblesse, à qui les licences démocratiques de la Ligue commençaient à être odieuses, vinrent les joindre. La conduite de la guerre se ressentit aussitôt de la vigueur et des talents du roi de Navarre. Les généraux de la Ligue, Mayenne et d'Aumale, furent battus et obligés de reculer peu à peu; les deux rois prirent successivement Jargeau, Pithiviers, Étampes, Montereau, Poissy, Pontoise; quinze mille Suisses vinrent les joindre et porter leurs forces au chiffre de quarante-deux mille hommes; enfin Henri III campait à Saint-Cloud vers la fin du mois de juillet, et Henri de Navarre à Meudon. Afin de ne pas laisser aux Parisiens le temps de se remettre de leur premier effroi, l'assaut fut résolu pour le 2 août. Henri III disait déjà, en se mettant aux fenêtres de la maison de Saint-Cloud qu'il occupait, et en regardant Paris de loin : « Ce seroit grand dommage de ruiner et perdre une si bonne et belle ville. Toutesfois, si faut-il que j'aye ma raison des rebelles et mutins qui sont là dedans, qui m'ont chassé, aidés et soutenus des Guisars, desquels je suis en partie vengé, comme aussi je suis résolu de me venger du reste, et entrer en leur ville plus tost qu'ils ne pensent. » (Lestoile.) Il n'en fut pas ainsi. Les discours forcenés dont Paris ne cessait de retentir, surtout depuis que le danger se rapprochait, produisirent leurs fruits. Un jeune religieux du couvent des Jacobins, nommé Jacques Clément, crut s'immoler pour la gloire de l'Église chrétienne en osant, le premier dans notre histoire depuis les temps barbares, commettre ce crime qui renferme la négation furieuse des vieux principes du droit divin. « Il estoit environ huict heures du matin (1er août) quand le roy fust adverti qu'il y avoit un moine de Paris qui désiroit de lui parler, lorsqu'il entendit que ses gardes faisoient difficulté de le laisser entrer, dont il se courrouça; et dit qu'il vouloit qu'on le fist entrer, et que si on le rebutoit, on diroit à Paris qu'il chassoit les moines et ne les vouloit voir. Incontinent le jacobin entra, et ayant un couteau tout nud en sa manche, se présenta au roy, lequel se venoit de lever, et n'avoit encore ses chausses attachées; et, lui ayant fait une profonde révérence, lui présenta des lettres de la part du comte de Brienne (prisonnier pour lors à Paris), et lui dit qu'outre le contenu de la lettre, il estoit chargé de dire à Sa Majesté quelque chose d'importance en secret. Le roy, ne redoutant aucun meschef lui pouvoir advenir de la part de ce petit chétif moine, commanda que ceux qui estoient près de lui se retirassent, et, ouvrant la lettre qu'il lui avoit baillée, la commença à lire, pour puis après entendre du moine le secret qu'il avoit à lui dire. Lequel le voyant ententif à lire, tira de sa manche son cousteau, et lui en donna Portrait de Henri IV dans sa jeunesse. - D'après un dessin du temps. (Collection Hennin.) droit dans le petit ventre, au-dessous du nombril, si avant qu'il laissa le cousteau au trou; lequel ayant le roi à l'instant retiré, à grand'force, en donna un coup de la pointe sur le sourcil gauche du moine, et tout aussitost commença à s'escrier : « Ah! le meschant moine, il m'a tué, qu'on le tue! »> |