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Enfin cette âme bouleversée redevient un instant maîtresse d'elle-même, et son dernier mot est digne d'une princesse. Elle veut que ce soit Pyrrhus qui manque à sa parole, que ce soit lui qui la renvoie, et non elle qui le quitte.

Adieu s'il y consent, je suis prête à vous suivre.

Supposons que les choses ne fussent pas allées plus loin, et que, dès le premier moment, Andromaque se fût résignée à épouser Pyrrhus pour sauver son fils, que Pyrrhus eût consenti à renvoyer Hermione, tout porte à croire que la passion de celle-ci ne se fût pas portée aux terribles excès qui amènent le dénouement. Quoique troublée et violemment aigrie, elle est encore jusqu'à un certain point en possession d'elle-même. Depuis longtemps, elle est habituée aux mépris de Pyrrhus ce serait un dernier coup qui viendrait dénouer une situation humiliante. Le sentiment de sa dignité ne l'a pas encore abandonnée. Elle mettrait sa fierté à ne rien ressentir, Racine même semble avoir voulu lui prêter dans ses rapports avec Oreste une nuance de coquetterie qui indiquerait qu'une passion aussi violente aurait bien

pu ne pas être de longue durée; mais on sait comment la pièce se renoue et comment, sous le coup d'un nouvel aliment, cette tempête de passion va secouer de fond en comble cette âme tumultueuse.

Pendant qu'Oreste croit devoir assurer Hermione de l'abandon de Pyrrhus, la situation au contraire s'est dessinée dans un autre sens. La froideur d'Andromaque a ramené le roi d'Épire à la prudence politique. Rompre avec la Grèce, offenser Ménélas, et tout cela pour une ingrate! C'était trop tôt. Il se décide à rendre Astyanax et à tenir sa parole. C'est luimême qui l'annonce à Oreste.

D'une éternelle paix Hermione est le gage;
Je l'épouse.

Ce changement amène un nouveau contrecoup dans l'âme d'Hermione et d'Oreste. La joie de l'une fait le désespoir de l'autre, comme tout à l'heure, au contraire, c'était le désespoir d'Hermione qui donnait au triste Oreste une ombre de joie. Et quel égoïsme d'amour dans Hermione! Qu'elle s'inquiète peu de rendre Oreste témoin de son bonheur!

Qui l'eût cru que Pyrrhus ne fût pas infidèle?

Que d'illusions demi-volontaires!

Et, s'il m'épouse, il m'aime.

Que de charmes reprend à ses yeux l'amant repenti!

Intrépide, et partout suivi de la victoire,
Charmant, fidèle...

Une telle joie dans une âme sèche et dure devient facilement une joie cruelle, implacable et même impolitique. Les passions obéissant en effet aux lois fatales de la mécanique au lieu d'obéir à la raison, deviennent les instruments de leur propre supplice. Andromaque en pleurs vient se jeter aux genoux de sa rivale triomphante pour la supplier de protéger son fils. Que devait faire Hermione, si elle avait eu une ombre de sagesse? Tout promettre, se faire sa protectrice, et par-dessus tout l'éloigner de Pyrrhus, et les empêcher de se réunir, même un instant. Au contraire, l'orgueil de l'amour triomphant, la haine d'une rivale, la joie de la voir humiliée, tout lui ferme les yeux, et elle laisse échapper ce mot fatal:

S'il faut fléchir Pyrrhus, qui le peut mieux que vous ?

Par cet emportement déréglé, elle renvoie elle-même Andromaque aux pieds de Pyrrhus; elle rallume de celui-ci les feux mal éteints; elle travaille à sa propre ruine, et elle relève le drame une seconde fois prêt à se dénouer. Ici surtout nous voyons la science de la mécanique théâtrale prendre sa source dans la science de la mécanique du cœur.

Andromaque a vu Pyrrhus, elle a pleuré, elle supplié, et sans rien promettre elle a vaincu; mais elle sent bien que cette victoire, c'est la défaite. Maintenant, Astyanax ne peut être sauvé que par une rupture avec la Grèce. Peut-elle engager Pyrrhus dans une telle entreprise et se croire libre encore? Il faut donc céder; mais elle n'en a pas le courage. Elle espère enfin trouver auprès du tombeau d'Hector une inspiration qui la sauve : elle la trouve en effet. On sait en quoi consiste ce singulier biais à l'aide duquel elle concilie sa conscience et son amour maternel, c'est d'épouser Pyrrhus et de se tuer sur l'autel, se fiant à sa parole pour le salut de son fils. Cette résolution est-elle aussi

sage qu'elle le croit? A-t-elle bien calculé en supposant que, trompé par sa mort et n'étant plus captivé par ses charmes, Pyrrhus pourra et voudra encore sauver Astyanax du courroux des Grecs? N'est-ce pas ici la mère qui s'immole à l'époux et qui livre au hasard, c'està-dire à la parole d'un roi barbare, dont elle a tant de fois flétri les crimes, le salut de son fils? Telles sont les objections de la froide raison; mais les sentiments les plus nobles ont aussi leurs illusions. Heureuse d'avoir trouvé un biais qui satisfasse à la fois son cœur de mère et son cœur d'épouse, elle cède enfin; elle consent à donner sa main. Qui sait? Une fois le sacrifice fait, peut-être l'amour d'Astyanax eût-il arrêté le poignard de la fidèle épouse; peut-être l'intention qu'elle avait eue de se donner la mort lui eût-elle paru suffisante pour apaiser les mâncs de l'époux involontairement trahi; mais une autre catastrophe vient empêcher celle qu'elle a méditée et vient mettre d'accord son devoir et son

cœur.

Le consentement d'Andromaque lui ramène Pyrrhus. Il lui offre sa main comme tout à

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