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Ce cas n est pas le seul où l'érudition bien conduite ait obtenu d'importants résultats. Il lui est arrivé plus d'une fois de dissiper des préjugés, d'exhumer des vérités oubliées et de trouver des démonstrations auxquelles on ne serait arrivé par aucune autre voie. Grâce à elle, il commence à s'établir que nous avons aussi un passé littéraire et que l'arrêt porté au dixseptième siècle est à reviser. C'est certainement un notable triomphe que d'avoir ainsi ébranlé des opinions qui paraissaient fixées irrévocablement. On aurait tort de penser que cette étude des débris de l'antiquité, des vieux textes et des vieux monuments, soit stérile et sans portée; elle a une action sur les intelligences, elle les modifie, et coopère aussi pour sa part aux mutations successives qni affectent les sociétés. Voir le passé sous un plus véritable jour importe grandement à l'intelligence que l'on a du présent et à l'usage qu'on en fait.

Un penchant naturel conduit l'homme à la contemplation du passé. Les vieux monuments, les vieux livres, les vieux souvenirs, éveillent chez lui un intérêt profond. Les récits traditionnels de la famille et de la tribu enchantèrent les populations primitives, et l'effet des histoires positives n'est pas moindre sur les populations civilisées. La rupture avec les âges antérieurs, qui serait un méfait contre la science, serait aussi un méfait contre le sentiment moral; et, si l'esprit humain s'est complu aux traditions alors même que ces traditions étaient bien courtes, il se sent de plus en plus captivé à mesure que s'agrandit l'espace qu'il aperçoit derrière lui. Le temps est une étendue qui ne s'ouvre à

nous que dans une seule direction, et encore à la condition que nous la parsèmerons de jalons et que nous emploierons notre industrie à y entretenir quelque phare qui nous éclaire. Tout ce qui fait un peu reculer ces ténébres est bien venu de l'esprit humain. Lorsque Cuvier composa son Anatomie comparée, ce livre ne fut que pour les savants; mais, quand il exhuma des entrailles de la terre une histoire plus ancienne que l'histoire de l'homme, toutes les imaginations l'accompagnèrent dans ses recherches et jouirent avec lui des merveilleux résultats de cette nouvelle archéologie.

De tout ce qui reste des siècles écoulés, les monuments des arts et en particulier ceux de la littérature nous mettent le plus directement en rapport avec les hommes qui ont vécu jadis. Quelle histoire pourrait aussi bien que les poëmes d'Homère nous faire pénétrer au sein de l'âge héroïque ? Quand dans une de ses pages éclate une pensée sublime ou une harmonie, et que le charme nous pénètre, alors nous nous sentons transportés au milieu d'un temps qui n'est pas le nôtre, et c'est le suprême effort de cette poésie antique. Homère, en une de ses plus belles comparaisons qui lui est suggérée par les feux de l'armée troyenne allumés dans la plaine, se représente les astres splendides qui brillent au ciel autour de la lune radieuse. La nuit est paisible; les sommets aigus, les pentes escarpées, les forêts, les vallons apparaissent sous cette lumière nocturne; les profondeurs du ciel elles-mêmes s'entr'ouvrent devant le regard, et le berger qui contemple ce grand spectacle sent son cœur ému d'une joie secrète. De même pour le lecteur, quand rayonnent les

flammes de la poésie, les profondeurs du temps s'entr'ouvrent, les choses du passé s'éclairent; un moment on croit assister à la scène qu'on a devant so1, et, comme le berger du poète, on est touché d'une émotion inconnue.

DEUXIÈME PARTIE

Après le conseil, l'exemple; après la théorie, la pratique ; mais le vieux poëte grec est bien difficile à reproduire et le vieux français est un instrument bien peu familier à nos oreilles. Je conviens de tout cela, et je comprends le risque que court la pratique ; cependant je ne m'en tiens que plus fermement à la théorie, et même, en finissant, je prétends que le vieux français n'est point, à vrai dire, une langue absolument morte, qu'il faut peu d'efforts pour en raviver certaines parties, et que l'étude en est salutaire, instructive, altrayante.

ILIADE

CHANT PREMIER

I

1

2

Chante l'ire, ô deesse, d'Achile fil Pelée,

3 Greveuse et qui douloir fit Grece la louée
Et choir ens en enfer mainte âme 5 desevrée,
Baillant le cors as chiens et oiseaus en curée.

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Du jour où la querelle se leva primerin
D'Atride roi des hommes, d'Achile le divin

La colère. Ire se trouve encore dans les auteurs du dix-septième siècle.

2 Fils de Pelée. Le rapport que les Latins rendaient par le génitif s'exprimait dans l'ancienne langue par le cas régime sans préposi⚫ tion. Fil au régime, fils au nominatif.

3 Qui fait souffrir. Tant fai por lui greveuse penitence, Couci, x1.

Ens en, préposition composée qui signifie au sein de, au fond de. 5 Séparée du corps. Nous avons gardé le simple en un sens spécial,

sevrer.

6 Li quinze an furent acompli et passé, Raoul de Cambrai, p. 16. 7 S'éleva. Vers Durandal est li chaples (combat) levés, Roncisvals, p. 41.

8 En premier. Primerain est un adjectif qui s'emploie aussi adverbialement. Il vous convient primerain despoiller, Raoul de Cambrai, p. 293. Il est ici écrit primerin, pour rimer à l'œil avec divin, les trouvères ayant en effet l'habitude d'introduire dans l'orthographe des modifications qui ne changeaient pas le son.

II

D'entre les immortels qui troubla leur 1 courage?
Apollons. Vers le roi si eut-il 5 mautalent,

3

7

Que mit la peste en l'ost et perissoit la gent,
Puisqu'Atride à Chrysès prouvere fit outrage.
Chrysès s'en vint as nefs

8

& qui font lointain voyage,

Jeter à raançon sa fille de servage,

Du dieu de longue 10 archie entre ses mains portant 11 Bandel et sceptre d'or, et tous les 12 Greux priant, Surtout les deux Atrides, qui tant ont 15 seignorage.

13

Ce mot, qui a ici le sens que nous donnons au mot cœur, a conservé celte signification jusque dans le dix-septième siècle, et ne l'a pas encore complétement perdue.

L's indique ici le nominatif singulier, comme dans beaucoup d'autres mots; cette remarque est faite ici une fois pour toutes.

3 Envers. Onques vers lui n'oi (je n'eus) faus cuer ne volage, Couci, XIX.

La forme la plus fréquente est ot; cependant on trouve aussi eut: Car en lui eut des biens planté (abondance), Jehan de Condet, p. 94.

• Colère Mautalent ot li rois, si que tout en rougist, Berte, xc. Mautalent est encore dans la première édition du Dictionnaire de l'Aadémie.

• L'armée. L'ost des Grecs, dit la Fontaine.

7 Le prêtre. Li prestre au nominatif ; le prouvere, au régime.

8 Ναῦς ποντοπόρος, nef qui chemine en mer.

• Bien savez que tous trois de servage jetai, Berte, vii.

10 La portée d'un arc. Quatre archies ert loin du manoir et demie, Berte, cix.

11 Bandeau. Nos noms en eau avaient, dans l'ancienne langue, cls ou aus au nominatif, et el au régime.

13 Les Grecs. On les nommait Greus, Grieus (monosyllabe), Gregeois, et même Grifons.

13 Autorité. Jamais n'ert rois de si grant seignorage, Roncisvals, p? 19. Tant signifie si grand.

III

Atride, et vous, portant beaus jambars, Acheen,
Fassent li dieu qui3 sus ont manoir olympien,

♦ Gastiez la cit Priam et 6 repairiez à bien !
Mais prenez raançon, rendez ma fille amie,

"Doutant le fil Latone, Phebus à longues archie.

1 Atride et Achéen sont nominatif pluriel, ce cas au pluriel n'ayant point d's.

2 Les dieux.

* En haut. Grans fu la noise sus au palais plenier, Raoul de Cam ai, p. 198.

• Que vous ravagiez. Ravager est l'ancienne signification de gâter. Que est sous-entendu ; vous l'est aussi ; les pronoms qui sont sujets se suppriment à volonté.

La cité de Priam. Or s'en va la roïne vers la cit de Paris, Berte, LXXI.

6 Repairer, retourner dans son pays.

7 Craignant. Ce sens est resté dans le composé re-douter.

8 Portée d'arc.

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