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Sin jungez lebn

Erstarp; sin bihte ergienc doch ê.
Reht als lign álôê

Al die boum mit fiwer wærn enzunt,
Selch wart der smac en der stunt,
Dâ sich lip und sèle schiet

<< Sa jeune vie s'éteignit; mais sa confession avait été faite auparavant; justement comme si du bois d'aloës avait été brûlé, fut l'odeur au moment où le corps et l'âme se séparèrent. >> Cependant il se pourrait que M. Jonckbloet fût trop sévère, et que le traducteur, par son bois d'aloës (suspect, j'en conviens, à côté d'aloer) eût voulu exprimer, librement à sa manière, ces deux vers qui sont un peu auparavant et où il est dit de Vivien :

qui gisoit toz sanglans,

Plus soef flere que basme ne pimenz.

Quoi qu'il en soit, le poëme allemand est une imitation de la geste romane. Wolfram lui-même nous apprend que la chanson des Enfances Guillaume, que M. Jonckbloet n'a pas comprise dans sa publication, était répandue en Allemagne. Le succès européen de la poésie française au moyen âgę est un fait historique désormais hors de toute contestation, et qu'il ne faut pas perdre de vue, si l'on veut comprendre le mouvement social et littéraire de cette époque.

A la vie fictive des deux Guillaume, le leude de Charlemagne et le comte de Provence, la geste a joint bon nombre de traits qui sont des échos défigurés de l'histoire. M. Jonckbloet a recherché ces traces avec diligence etérudition. Ainsi, quand, dans li Coronemens Looys, la couronne menace de ne pas se poser sur le front du fils de Charlemagne, il montre qu'il y a là souvenir des intrigues qui assaillirent Louis le Débonnaire à son avénement, et surtout des dangereuses protections qui soutinrent Louis d'Outre-Mer. L'expédition de Guillaume en Italie et sa bataille contre les Allemands sont rattachées aux exploits de Gui, duc de Spolète, qui, à la tête d'une armée d'Italiens et de Français, remporta des victoires sur les troupes allemandes. Les Sarrasins ravagèrent plus d'une fois l'Italie, jusqu'aux portes de Rome; ce sont ces invasions qui suscitèrent la légende racontant comment la ville et le pape furent sauvés par les mains de Guillaume. La geste imagina que les païens vinrent assiéger Paris, et c'est là que l'Arioste a pris l'idée du terrible assaut donné par Rodomont à la capitale de Charlemagne; en ceci elle s'écarte singulièrement de l'histoire, à moins qu'on ne veuille y voir une transformation de ce redoutable siége de Paris par les Normands, où le chroniqueur Abbon, témoin oculaire, nous apprend qu'il y avait, parmi les défenseurs de la ville, un guerrier qui se distingua par une valeur extraordinaire, et qui, justement, portait une main de fer. Toutefois, il est manifeste que ce n'est pas avec les chansons de geste que l'on peut retrouver l'histoire véritable; loin de là, l'histoire véritable a besoin d'être minutieusement étudiée et connue pour que l'on détermine, dans les chansons de geste, les faits réels tissés dans cette toile sans fin que prend, quitte et reprend l'imagination légendaire et poétique. Rien, sauf le génie d'Homère, ne ressemble plus à nos chansons de geste

:

que le cycle homérique; et celui-ci, qui est moins connu peut trouver, dans celui-là, qui est plus connu, des explications plausibles et des conjectures qui l'éclairent.

Pourtant il est un côté paroù nos chansons de geste, comme aussi les poésies d'Homère pour l'âge héroïque, sont véritablement historiques; ce côté, c'est la peinture animée et saisissante de la haute époque féodale. Quiconque a lu seulement les historiens de ces temps, n'a qu'une idée morte des barons et de leur empereur; couchés dans ces chroniques comme dans un froid tombeau, l'évocation la plus puissante n'est pas capable de les remettre dans la vie avec leurs intérêts et leurs passions. Mais celui qui prend en main Raoul de Cambrai, la geste de Guillaume, celle de Garin et quelques autres, celui-là voit se dresser devant lui ces têtes féodales, avec leurs heaumes aigus et leurs targes fleuries; un désir hautain d'indépendance les emporte, et pourtant une soumission au suzerain les arrête; ils le reconnaissent, mais ils le bravent; on dirait à chaque instant que le lien qui se relâche tant va se rompre, mais il ne se rompt pas; le tumulte retentit dans la salle voûtée où siége l'Empereur; on se dispute devant lui les fiefs; on ne tient compte de ses décisions, et l'òn guerroie entre soi avec des haines implacables et héréditaires. Les jongleurs sont là, à côté des barons, qui redoutent par-dessus tout que male chanson ne soit chantée, s'ils se montrent faibles dans les combats. Les femmes demeurent dans l'ombre; ce n'est ni pour gagner leur sourire, ni pour porter leurs couleurs quć s'agitent ces turbulents fervestus; les mères, les épouses ont quelquefois de l'autorité; les maîtresses n'en ont point. Telle est la physionomie du dixième siècle, donnée par les trouvères du onzième avec énergie et sans doute avec vérité.

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SOMMAIRE DU DIXIÈME ARTICLE. (Journal des Savants, mai 1857). - Faveur dont jouissait en Europe la poésie française. Note sur les anciens mots allemands birssen et quintieren, qui proviennent de l'ancien français berser et cointoier. Origine et explication du mot tafur; les tafurs, en une extrémité, mangent de la chair humaine; indice chronologique que fournit le mot tafur. Correction de quelques vers faux; remarque sur jeûner, anciennement jeüner; les anciens trouvères versifient avec une très-grande régularité, et, toutes les fois qu'un vers est défectueux, il y a faute de copiste. Licences que les trouvères prennent avec la grammaire. Participes féminins en ie, mal écrits, dans certains imprimés, , ce qui fait un masculin et un solécisme. De l'ancienne négation nen, qu'on a confondue à tort plus d'une fois avec n'en (ne, en). Discussion de quelques passages que les fautes de copistes ont rendus inintelligibles, et essais de restitution. Remarque sur le mot bete; sur le mot hanneton; sur le mot complot; sur le mot reoillier, conservé dans le Berry sous la forme de rœiller; sur le mot latin meretrix, francisé par un trouvère; sur le mot empire signifiant armée; sur bris, bricon. La poésie narrative en langue d'oïl remonte incontesta-blement jusqu'au onzième siècle; mention de vers faits en langue vulgaire dès le neuvième siècle.

Il faut savoir beaucoup de gré à M. Jonckbloet d'avoir publié cinq chansons de geste inédites, avec les variantes fournies par plusieurs manuscrits. A fur et mesure que les textes viennent au jour, notre histoire littéraire s'étend et se consolide. Ce travail de publication, et cela nous est à la fois utile et honorable, ne se fait pas seulement par les Français; des étrangers y prennent part avec succès. De même que, dans les temps où notre vieille littérature florissait, elle avançait au delà de nos frontières, de même, de nos

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