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sont analysés et examinés; mais par ces analyses et par ces examens se constitue un fond général, suffisamment indiqué et caractérisé par ce titre : à savoir l'étymologie, l'ancienne grammaire, et la correction des vieux textes en langue d'oïl. D'ailleurs, de brefs sommaires, accompagnant chaque article, noteront ce qui y est renfermé en particulier.

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SOMMAIRE DU PREMIER ARTICLE (Journal des Savants) avril 1855. Cet article est destiné à des remarques générales sur l'étude de la langue française ancienne ou langue d'oïl. La langue d'oïl, celle de la Provence ou langue d'oc, l'italien et l'espagnol sont des langues sœurs qui ont été produites parallèlement par la décomposition du latin. Cette formation a suivi, sur une aussi vaste étendue de pays, des procédés tout à fait analogues; analogies dont l'étendue et la régularité écartent les préjugés traditionnels sur la barbarie qu'on y suppose. Importance d'étudier en un temps historique, comme on le peut ici, la formation d'une langue. Grammaire de la langue ancienne; elle a des cas; elle est plus régulière et plus analogue que celle du français moderne. Rôle que l'accent latin joue dans l'étude de l'étymologie. Formation des vers, non d'après le principe classique de la quantité qui est abandonné, mais d'après celui de l'accent. Ce qui éclate à cette haute période, c'est, d'une part, la force de production qui crée une langue et une poésie adaptées aux nouvelles circonstances, et, d'autre part, la généralité et la régularité de ce travail qui étend ses procédés sur F'Italie, l'Espagne et la Gaule.

Il fut un temps, notamment au dix-septième siècle, où les monuments anciens de notre idiome étaient tombés dans l'oubli le plus profond. Sous la forte impulsion de la Renaissance, et dans l'orgueil légitime inspiré par les chefs-d'œuvre qui succédèrent, on renonça sans peine à se croire issu du moyen âge, et l'on préféra pour aïeux les admirables modèles de Rome et de la Grèce. La conscience se serait révoltée si, dans l'ordre religieux, la descendance eût été rattachée aux idolâtres, qui avaient persécuté l'Église naissante, et que l'Église triomphante avait anathématisés; mais l'esprit ne se serait guère moins révolté si, dans l'ordre littéraire et scientifique, la filiation eût été comptée à partir du moyen âge. De la sorte, on scindait le développement total: une part 'en était rapportée, comme cela devait être, à la tradition non interrompue des âges intermédiaires; l'autre part était ramenée à des origines plus lointaines, sans égard pour un passé dont on croyait n'avoir aucun compte à tenir. Toutefois, malgré ce dédain oublieux, rien ne pouvait effacer une trace ineffaçable du travail antérieur; c'était la langue qu'alors on parlait et que nous parlons encore. Celle-là, du moins, émanait, sans aucun doute, de cette période de confusion et d'obscurité de laquelle on détournait le regard, mais où, manifestement, les choses nouvelles s'étaient préparées et commencées. Il faut bien confesser que notre idiome et celui des Provençaux, ainsi que l'italien et l'espagnol, sont une transformation, une corruption, si l'on veut, du latin. De ce côté, nous tenons étroitement à notre souche, et, pour me servir du langage du poëte,

gées et expliquées, auxquelles des comparaisons avec les chansons en provençal, en vieil italien et en haut-allemand du moyen âge, et un glossaire en vieux français sont joints), par Ed. Mätzner. Berlin, Dümmler, 1853, 1 vol. in-8.

documenta damus qua simus origine nati.

Mais peut-être cette origine n'est-elle pas tant à dédaigner, et peut-être y a-t-il lieu de constater, dans ce

renouvellement, plus d'ordre et de régularité qu'on ne le suppose d'ordinaire; tout au moins, il est impossible de n'être pas singulièrement frappé de la grandeur du phénomène. Le latin, par les armes, par l'administration, par les lettres, s'était emparé de l'Italie, où il était né dans un coin, de l'Espagne et de la Gaule; au delà de ce domaine, il avait échoué, n'en tamant ni la Grèce ni l'Asie, ne faisant quelques progrès en Afrique que pour en être chassé, et n'ayant pas eu le temps de s'imposer à la Bretagne. Mais, dans les deux péninsules et dans le pays entre les Alpes et le Rhin, il fut pleinement vainqueur des idiomes na tionaux. Il supplanta le grec dans la Grande-Grèce, l'étrusque dans l'Étrurie, le gaulois dans la Gaule cisalpine; des trois langues que César signale dans la Gaule transalpine, il ne laissa subsister que l'armoricain, relégué en un coin sur le bord de la mer, comme il ne laissa, en Espagne, de l'ibérien que le basque, retiré sur les deux versants des Pyrénées. Ce fut une œuvre immense d'assimilation qui ne devait plus se défaire, quelque fragile qu'elle pût paraître, quelque violents que fussent les assauts qui allaient survenir. Et ils ne tardèrent pas : à peine était-elle achevée que commença la ruine prévue par Tacite, quand, s'apercevant que les destins de l'empire allaient à leur déclin, il souhaitait que, pour le salut de Rome, la discorde fût éternelle entre les peuplades germaniques. Les barbares s'épandirent sur la Gaule, sur l'Italie, sur l'Espagne, apportant tous les dialectes qui se parlaient au delà du Rhin. Et pourtant le tronc latin résista; et, lorsqu'une influence plus favorable eut remplacé ce

hiver qui avait dispersé au loin tout l'honneur du feuillage, il se couvrit peu à peu de fleurs et de fruits. Ses racines même s'enfoncèrent plus profondément dans le sol, et, d'exotique qu'il était pour l'Espagne et pour la Gaule, il devint finalement acclimaté et indigène.

Avant toute donnée sur ce grand événement, on aurait pu facilement supposer que l'irrégularité fut extrême, et que le hasard seul se chargea de déterminer les nouvelles langues qui naissaient. Comment croire que des éléments aussi désordonnés reconnaîtraient jamais quelque ordre? C'étaient, ce semble, les atomes d'Épicure lancés dans l'espace vide, sans grande chance de se rencontrer et d'entrer en des combinaisons générales. Ici s'établissaient les Ostrogoths, là les Visigoths et les Suèves, plus loin les Bourguignons, ailleurs les Francs. Ils campaient sur des terres qui n'étaient pas plus semblables qu'eux-mêmes; la Gaule, l'Espagne, l'Italie conservaient des marques de leur individualité, ne fût-ce que par le climat, les productions naturelles et les races d'hommes. En cet état, il semblait que les tendances anarchiques, en fait de langage, ne devaient avoir aucun terme ; il semblait que la langue allait se décomposer de mille manières, et que, quand enfin la crise serait passée, il y aurait aulant de systèmes que de villages, que de villes, que de populations. En d'autres termes, les déclinaisons des noms, les conjugaisons des verbes, les formations des adverbes, les règles de la syntaxe étaient menacées de prendre toutes sortes de directions; et pourtant il n'en fut rien : les influences dispersives ne prévalurent

pas. Grand fait qui montre, même en une telle pèrturbation, que les conditions antécédentes d'une société, et surtout d'une vaste société, ont une force coercitive qui pose des limites, resserre les écarts et détermine le sens des mutations inévitables.

Au moindre coup d'œil jeté sur les quatre principales langues romanes, on en découvre les analogies intimes et profondes. Non-seulement elles firent leur fond du vocabulaire latin et de la grammaire latine; ce qui prouve que, quant à la langue, la situation fut assez dominée pour qu'en Italie, en Espagne, en Provence et en France, ce vocabulaire et cette grammaire aient imprimé leur cachet; mais la conformité ne s'arrête pas là, et, pénétrant plus loin, elle se marque même dans ce qui s'écarte du latin et dans les innovations auxquelles le nouveau parler est contraint. Ainsi la plupart des mots germains qui ont été incorporés ont passé simultanément dans les quatre langues. Helm a donné le français haume, le provençal elme, l'italien elmo, l'espagnol yelmo; brand a donné l'ancien français brand, épée (d'où brandir), le provençal bran, l'italien brando (il manque en espagnol); war a donné guerre, provençal et italien guerra, espagnol guerra ou gerra; schmelzen a donné émail, provençal esmaut, italien, smalto, espagnol esmalte; schnell, rapide, a donné ancien français et provençal, isnel, italien snello (manque en espagnol); hring, cercle, a donné harangue, provençal arengua, italien aringa, espagnol arenga; herberge a donné auberge, provençal alberc, italien albergo, espagnol albergue. Je m'arrête à ce petit nombre d'exemples, mais on n'a qu'à poursuivre cette recher

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