vrai dire, du latin moderne; that soft bastard latin, comme dit Byron, conserva les articulations primitives, et, sans dénaturer le corps des mots, il en dénatura les inflexions. Le français est le plus éloigné, non pas que l'élément fondamental ne soit aussi latin qu'en Italie même, l'immense majorité des mots a cette origine, mais ils ont tous été altérés d'une façon uniforme et caractéristique, à tel point qu'il est aisé de reconnaître aujourd'hui ceux qui y sont d'origine ou ceux qui y ont été plus tard introduits directement du latin. Ainsi, pour qui connaît le procédé instinctif qui présida à cette élaboration, fidèle est nouveau et refait sur fidelis; la forme ancienne est féal, qui est encore usité. Il en est ainsi partout: des consonnes intermédiaires tombent, des voyelles faibles disparaissent, et il en résulte un mot très-contracté et désormais marqué au coin français. Il est généralement coupé sur la syllabe qui dans le latin avait l'accent; ainsi dominus, qui avait l'accent sur do, fait dom, qui est accentué; domina fait dame avec da accentué. Cette habitudė se généralisant, il en est résulté que l'accent s'est trouvé toujours placé sur la dernière syllabe quand la terminaison est en rime masculine, et sur l'avant-dernière quand la terminaison est en rime féminine. Grande simplification pour la règle des accents, quand on la compare avec ce qu'elle est en italien, en anglais et en allemand, et qui compense quelques-unes des difficultés et des anomalies de notre idiome! Vu l'uniformité de cette formation, on ne peut l'attribuer au hasard d'altérations grossières et inintelligentes; il faut y voir le résultat d'une disposition dans l'oreille et dans le gosier du peuple indigène, qui était un peuple celtique, et l'on peut dire que le français est, au fond, du latin prononcé par des Celtes. On arrive à confirmer ce point de vue quand on fait entrer dans la comparaison les caractères de quelques-uns des dialectes celtiques encore exis tants. i On a remarqué que, lorsque deux langues se rencontraient et se pénétraient, le produit qui résultait de cette combinaison était privé des principaux caractères grammaticaux appartenant aux idiomes qui s'étaient trouvés en contact. Ainsi les cas tombent et disparaissent, les personnes des verbes deviennent uniformes. On en a un exemple très-frappant dans l'anglais; là, un dialecte germanique, que la conquête avait implanté dans la Grande-Bretagne, se heurta avec le français, qu'une nouvelle conquête amenait; le résultat fut une langue où les désinences significatives n'existent presque plus. Il en est de même pour le persan moderne; l'invasion musulmane porta l'arabe dans le persan ancien, et cette langue qui, comme tous les idiomes frères du sanscrit, avait abondance de flexions, a été réduite par ce mélange à un état de nudité. C'est ce qui est arrivé au latin, devenu, après la chute de l'empire romain, langue vulgaire. L'examinant soit dans l'italien, soit dans l'espagnol, soit dans le français, on reconnaît au premier coup d'œil l'effet du contact de la langue des envahisseurs sur la langue des envahis: la plupart des désinences ont été effacées. On a souvent dit que dans cet effacement était un perfectionnement qui donnait aux langues plus de précision et plus de capacité analytique. Cela peut être vrai jusqu'à un certain point; cependant, sans entrer dans cette question, on n'est point autorisé à considérer comme développement de la langue un phénomène qui est essentiellement produit par des causes fortuites, conquêtes, immigrations, colonisations. Sans doute les langues éprouvent une évolution graduelle qui les rend de plus en plus aptes à exprimer avec plus de netteté des idées plus nombreuses, plus étendues, plus générales; mais, au fond, ce fait, qui tient au progrès de la civilisation totale, paraît moins dépendre des formes et des désinences que de l'élaboration qui précise le sens des mots et des locutions, les nuance et les approprie. Une différence essentielle entre les langues antiques et les langues modernes est ce que j'appellerai la couleur, voulant par là exprimer la relation, à peu près conservée dans les premières, à peu près perdue dans les secondes, entre les idées intellectuelles, morales, philosophiques et les idées matérielles. Les langues primitives conservent, par cela même qu'elles sont primitives, des rapports bien plus directs avec leur origine; aussi tous les mots abstraits y ont, pour les moins clairvoyants, une affinité manifeste avec la forme concrète d'où ils proviennent; spiritus, en latin, ne pouvait pas avoir son sens abstrait d'esprit ou de courage sans avoir son sens concret de souffle et d'haleine, tandis qu'en français esprit n'a que la signification abstraite, et c'est seulement aux yeux de l'étymologie qu'apparaît l'idée matérielle qui est le fond. Ce résultat d'effacement est le plus complet quand une nouvelle langue, se formant d'une ancienne, n'est plus en communication directe avec les radicaux des termes employés. Les langues antiques ont de ce côté un charme que rien ne peut remplacer, et, quand elles sont maniées par un esprit heureusement doué pour la poésie, elles arrivent à des effets merveilleux. C'est ainsi qu'un sceau de beauté est mis sur le vieil Homère, type suprême de la poésie antique. Les mots y sont, par eux-mêmes, lumineux et expressifs, ils portent en soi l'empreinte de leur origine, si bien que, sous l'inspiration du génie, se produisirent ces poëmes qui touchent si profondément même les hommes d'à présent par cette combinaison entre la pensée qui spiritualise et le mot qui a couleur et forme. Autre est la condition des langues modernes, surtout de celles pour qui les catastrophes politiques ont été une cause de formation. Là les mots, dépouillés de leur symbolisme primitif, ne sont plus en grande partie que des signes conventionnels, ne pouvant désormais se prêter aux reflets et aux échos que la pensée antique trouvait dans le vocable antique. De ce côté sont supprimées des sources réelles d'art, de poésie et d'effet; mais il a bien fallu que le souffle inspirateur qui ne cessait de gonfler les poitrines humaines se fit jour. C'est ici qu'intervint le caractère de généralité plus élevée que la langue avait pris; la tendance qui résultait d'une plus haute conception du monde et emportait déjà les esprits se trouvant ainsi secondée, la poésie se fraya un chemin plein d'une sévère grandeur vers l'idéal et l'infini. En même temps qu'à l'appel des besoins éternellement renaissants de l'esprit humain se constituait une langue nouvelle avec les débris de celle dont les événements n'avaient plus fait qu'une ruine, des procédés de versification se créaient aussi, et ils se créaient non pas dans les écoles, car, s'ils en étaient provenus, ils auraient été marqués au coin de l'ancienne métrique; mais ils sortirent de l'atelier d'où la langue même sortait, et, à mesure que le balbutiement des peuples novo-latins devint plus distinct et plus articulé, le vers destiné à l'expression de leurs émotions poétiques apparut dans le monde à la place de l'hexamètre, consacré par de si glorieux monuments. Les érudits se réservaient le vers classique et l'employaient encore dans la vieille langue savante, que déjà le nouveau venu prenait possession de la langue vulgaire, pénétrant toutes les oreilles de sa mélodie inaccoutumée. Voilà derechef un phénomène historique bien digne d'attention. Le même travail spontané qui enfanta la langue enfanta aussi un rhythme; la voix, à peine débarrassée du filet, se cadença elle-même pour les chants de guerre et d'amour, qui commencèrent à retentir de toutes parts. On peut immédiatement faire l'application de cette production instinctive à des temps beaucoup plus reculés où l'histoire est en défaut. Nulle tradition ne nous apprend comment fut trouvé le vers qu'Homère a immortalisé dans l'Iliade; mais on doit affirmer qu'il naquit comme naquit celui des populations modernes, par le sentiment combiné d'une langue qui se forme, d'une âme qui aspire et d'une oreille qui s'exerce. Tandis que là-bas, sur les bords de la mer Égée, ce fut le jeu de la quantité des |