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mais à la corruption qu'entraîna le mélange des populations. Ajoutez que c'est à ce moment que s'introduisirent bon nombre de mots germaniques, qui sont certainement d'origine récente dans le latin. Tout nous ramène donc, pour l'ensemble de la modification, à la dissolution de l'empire romain.

Quand on faisait les étymologies en n'ayant égard qu'au sens et à la forme, ou bien en créant, comme Ménage, arbitrairement des formes qui servaient à rejoindre les deux bouts, elles étaient peu sûres, mais faciles. Aujourd'hui qu'il faut se subordonner rigoureusement à la doctrine des sons et aux règles qui en découlent, elle sont plus sùres, mais difficiles. « CeluiIn seul, dit M. Diez, se fraye un chemin à un jugement établi scientifiquement, qui embrasse tout le lexique des langues romanes jusque dans leurs patois. Si on ne se sent pas l'envie de pénétrer si avant, qu'on ne se plaigne pas de perdre pied bien souvent. Il n'y a pas lieu de s'étonner que plus d'un explorateur habile dans le domaine d'autres langues, commette maintes méprises dans celui des langues romanes, n'examinant qu'un fait isolé, et à un point de vue particulier, sans connaître l'histoire entière et les relations du mot dont il s'agit. L'étymologie romane n'a pas moins de parties obscures que toute autre; même les matériaux latins ne sont pas, en plusieurs cas, plus aisés à reconnaître que les matériaux étrangers. Après avoir épuisé tous les moyens qui sont à notre disposition, il se trouve, dans chacune des langues romanes, un reste considé. rable de mots réfractaires à l'analyse. A la vérité, plusieurs langues où les Romans puisèrent n'ont pas encore été soumises à une élaboration suffisante. Et certainement des efforts judicieux parviendront encore à résoudre bien des énigmes qui, jusqu'à présent, demeurent insolubles. >>>

Il faut donner un plein assentiment à ces paroles de M. Diez. La base de l'étymologie est désormais placée dans l'induction historique; et induire historiquement, c'est rassembler et conférer toutes les formes collatérales d'un même mot soit dans les différentes régions où il s'est produit, soit dans les différents temps où il a existé.

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SOMMAIRE DU TROISIÈME ARTICLE (Journal des Savants, août 1855.) - Quelques discussions étymologiques: Aller, épée. Prédominance étymologique, dans les langues romanes, du latin sur le celtique ou le germanique. Blé, abri, dîner, danger, blaireau. Époque de Jean de Garlande.

En mettant rigoureusement sur le terrain de la mutation des lettres et des formes l'étymologie des langues romanes, M. Diez a travaillé à augmenter la précision des recherches et des résultats, et plus que jamais il faudra, dans les investigations qui auront ces langues pour objet, suivre maintenant son exemple. Dans le choix des mots qu'il a réunis, il y a souvent à louer, souvent aussi à discuter, et quelquefois à reprendre. Je n'ai pas l'intention de tout passer en revue, un article de journal n'y suffirait pas. Pourtant quelques exemples me serviront à montrer et les difficultés et les mérites du sujet.

Certains mots, surtout des mots usuels ont pris des formes qui n'offrent qu'à grand'peine une issue pour remonter à l'origine, d'autant plus qu'on ignore même en quelle source il faut les chercher, soit dans le latin, soit dans l'allemand, soit dans le celtique. Tel est le verbe aller, italien andare, espagnol et portugais andar, provençal anar, pays de Vaud annar. Ici se présente une première question, aller et andare sont-ils un seul et même mot? M. Diez me paraît l'avoir résolue d'une manière satisfaisante. Il rapporte un vers de la chronique de Benoît :

Si qu'en exil nos en anium,

et un vers du Tristan :

Que vos anez por moi fors terre,

qui montrent qu'il y a eu dans l'ancien français, à côté de aller, une forme aner, qui est tout à fait parallèle aux autres formes romanes. La permutation de l'n, en I n'est aucunement sans exemple dans le français, témoin orphenin et orphelin. Cela constaté, et l'identité d'aller et d'andare établie, reste à savoir d'où l'on peut les tirer. M. Diez examine les diverses conjectures: 1° celle de Grimm, qui le dérive d'un ancien prétérit gothique ididédun, dont le radical aurait pu être and dans la langue lombarde; mais dire que ce radical aurait pu être and, c'est montrer combien le fil est peu sûr; 2o celle qui le tire d'ambulare; ambulare pourrait, à la rigueur, donner la forme aller, bien qu'il ait donné régulièrement amble, mais il ne peut se prêter à la forme italienne; 3o celle qui a recours à un verbe ambitare, dérivé d'ambire, mais l'italien répugne à changerm[i]t en nd. Ayant ainsi exclu les conjectures qui lui semblent erronées, il indique celle qu'il préfère, c'est aditare, qui, du reste, avait déjà été indiqué par Ferrari. Aditare a pu sans peine devenir en italien andare, par l'intercalation d'un n, pour donner au mot roman plus de corps, comme dans rendere, rendre, de reddere. Le sens aussi est satisfaisant. Pourtant je trouve une difficulté; c'est qu'il faut supposer que le français et le provençal aner, aller, anar, sont venus non pas directement du latin, mais de l'italien. Or, cela est difficile à admettre sans preuve suffisante; et M. Diez lui-même, discutant la conjecture relative à ambitare, remarque que ambitare aurait très-bien donné l'espagnol andar, mais que l'introduction d'un mot tel que andar, d'Espagne en Italie, est tout à fait invraisemblable, la syllabe amb ne se transformant pas, dans l'italien, en and. Mon objection est que anar, aner, qui se laisseraient facilement dériver de andare, par la perte de la dentale, ne se laissent aucunement dériver de aditare, dans lequel il n'y a point d'n; anar, aner, ayant un net point de dentale, ne peuvent venir d'un mot qui a une dentale et point d'n. Je ferais la même difficulté à une provenance celtique : athu en kymri, eath en irlandais, qui sígnifient aller, se prêteraient fort bien à andare; mais n'ayant point d'n, ils ne se prêtent pas à anar ou aner. Il faut donc, à moins qu'on ne découvre quelque fait qui établisse d'une manière plausible, que c'est le mot italien andare qui a servi de type au provençal et au français, s'adresser à un mot qui permette le second type. Or, ce mot est cité par M. Diez lui-même, mais aussitôt rejeté, c'est adnare que Papias traduit justement par venire, et qui prend ce sens général, comme adripare a pris celui d'arriver; là nous avons ce qu'il nous faut, adnare, fournissant sans peine anar

et aner.

Le problème étymologique en est là: anar et aner

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