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XLVIII

Si dit, et, se dressant, es mains 1 sa mere amie

Il met double hanap, et à tant l'araisnie:

« Ma mere, endure, et tien ton cuer, bien que marie; « Ne soies, tu que j'aime, sous mes yeus 6 maubaillie; << Lors t'aider ne pourroie, jà soit qu'aurai douleur; << Car on contreste mal à l'Olympe seigneur.

<< Et jà quant je tentai de te porter saïe,

<< Me prit aus pieds, et jus lança du seuil divin; << Devalai tout le jour, si 10 qu'à soleil declin

« Je 11 cheï dans Lemnos, aiant mout peu de vie.

<<< Gisant me recueillirent bientost gens de 1a Sinthie. >>>

1 De sa mère.

2 Coupe.

5 Et, cela fait, il lui adresse la parole. Araisnier est une forme contracte d'arraisoner. Ses homes en a araisniés, Lai de Melion, p. 54.

4 Tiens, contiens.

Soies est de deux syllabes.

6 Maltraitée, mise à mal.

7 Contrester, résister, lutter contre (contra stare).

8 Aide, secours.

9 Je roulai en bas.

10 Au déclin du soleil. Li jors va à declin, si aproche la nuis.

Berte, xxxvi.

11 Je tombai. Cheï est le parfait du verbe choir.

12 Nom de peuple.

XLIX

Si dit; à lui sourit et reçut sourians
Le hanap presenté la deesse aus bras blans.
Ore il aus autres dieus, à destre començans,
Verse le douc nectar, qu'en l'urne il va puisans.

Uns ris inextinguibles se leve es dieus joians, Quant Vulcains par la sale est veüs clopinans.

1 Alors lui.

2 Doux. Voy. XXIV.

5 Heureux, jouissants.

L

Si il, le jour entier jusqu'à soleil declin,
Festinent; et ne faut ne la pars au festin,
Ne la lyre mout bele qu'Apollons tient en main,
Ne les chanson des Muses se respondant à plein.

1 Ainsi eux.

2 Manque.

LI

Quant jus est du soleil la tant bele clartés,
Il s'en vont, pour dormir, aus manoirs dessevrés,
Que d'un très grant savoir à "chascun a dressés
Li renommés Vulcains, clopins des deus costés.
Li dieus qui lance esclairs est à son lit alés,

Où, quant vient dous someils, 4 seut estre reposés;

Là se git; et Junons à trone d'or, 6 delez.

1 Est en bas, est descendue..

* Séparés.

5 Boiteux.

4 Il a coutume; du verbe souloir, mot très-digne de regret et encore employé par la Fontaine.

Dist la dame: Vous mangerés, Et un peu vous reposerés, Jehan de Condet, p. 83.

6 A côté. Chascun ira al regne où il fu nés, Ou à Estampes ou à Paris delés, Roncisvals, p. 3. Li rois Hues li fors et sa moillier delez, Travels of Charlem, v. 401,

IV

ÉTUDE SUR DANTE

SOMMAIRE. (Journal des Débats, 11 janvier 1857; 15 janvier; 17 janvier). Cette étude s'est faite à propos de deux nouvelles traduc-tions de la Divine Comédie, l'une par Lamennais (la Divine Comédie de Dante Alighieri, précédée d'une introduction sur la vie, les doctrines, les œuvres de Dante, Paris, 1855), l'autre par M. Mesnard. premier vice-président du Sénat (la Divine Comédie de Dante Alighieri).

1. Style de Dante.

Dante est admiré en Italie depuis plus de cinq siècles. Tantôt rentrant davantage dans l'ombre, comme au dix-huitième siècle, où le moyen âge était traité avec mépris, tantôt reparaissant avec éclat, comme de notre temps, où chaque période historique est mieux appréciée, il n'a jamais cessé de vivre dans la mémoire des hommes. Ses contemporains (les contemporains se trompent parfois soit dans leurs dédains, soit dans leurs enthousiasmes) ne commirent ici point de méprise: leur jugement a été ratifié par une tradition non interrompue. Depuis lors, toutes les générations se sont recommandé l'une à l'autre Dante et son œuvre.

Ce poëme, sombre, difficile, hérissé d'allusions aux choses et aux hommes du temps, tout empreint des passions politiques, tout enchevêtré de théologie, n'en captive pas moins d'âge en âge les esprits de ceux qui, l'ayant lu, le relisent et ne se lassent pas d'en contempler certaines beautés singulières. D'où lui vient donc ce charme qui jamais ne s'épuise? d'un style qui, dans ses excellences, n'est la prérogative que des plus grands maîtres. Mais quoi! Dante n'a-t-il pas écrit en 1300? n'est-il pas du treizième ou du quatorzième siècle, comme on voudra? n' n'appartient-il pas au moyen âge et pouvait-il trouver dans ce moyen âge quelque grand style digne de rivaliser avec tout ce qu'on connaît de plus beau avant ou après? n'y a-t-il pas là une contradiction entre la splendeur de la diction et la barbarie attribuée généralement à cette époque?

C'est donc du grand style au moyen âge, style dont le type est dans le poëme de Dante, que je veux m'occuper. Mais peut-être, sous l'influence d'une erreur très-répandue, objectera-t-on que l'Italie échappa aux ténèbres du moyen âge, ou du moins que, si elle s'y enfonça quelque peu, elle y échappa longtemps avant les autres, de sorte que Dante est le poëte souverain (je me sers ici du titre que lui-même donne à Homère), venant couronner une époque de culture et de préparation inconnue ailleurs. Il n'en est rien, l'Italie n'a point devancé les autres populations latines, la France du moins. Le préjugé est fortement soutenu, je le sais, soit par la gloire des trois noms de Dante, de Pétrarque, de Boccace, dont les œuvres sont restées classiques, soit par l'éclat des arts dans le seizième siècle, soit

1

par le souvenir de l'incontestable prééminence de l'Italie antique sur le reste de l'Occident, soit par l'opinion qui, confondant jusqu'à un certain point le latin avec l'italien, admet que tel mot que nous avons dans notre langue a d'abord été italien avant d'être français. Non, la langue française n'est pas fille de la langue italienne; toutes deux sont sœurs et se sont développées par un travail contemporain. Mais ce qui est vrai, et ce qui heurte directement la croyance générale, c'est que le développement poétique fut antérieur dans la France. Il y eut dès le onzième siècle, et surtout dans le douzième, un épanouissement incroyable de poésie dans la langue d'oc et dans la langue d'oïl. L'Italie n'a rien de pareil à montrer pour une date si reculée. Ces poésies provençales et françaises, ces grandes compositions qui redisent les gestes des preux carlovingiens ou les exploits des chevaliers de la Table-ronde, ces romans rimés où l'on raconte les aventures de héros imaginaires, ces fabliaux malins, ces chansons d'amour, de guerre et de courtoisie, ont alors joui, dans toute l'Europe, de la plus grande faveur. L'Italie ellemême ne les a ni ignorėsni méconnus; Dante, dont nous parlons, était très-versé dans la connaissance du français et du provençal et dans toute cette littérature, et des critiques ont même dressé une liste de gallicismes trouvés en ses écrits.

Les textes et les témoignages établissent donc l'antériorité de la France, antériorité qui d'ailleurs est en rapport avec la teneur de toute l'histoire de cette époque. Mais, cela posé, j'ai hâte de déclarer que, si Dante n'est pas le plus ancien, il est le premier parmi

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