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plus, blaireau ne se trouve ni dans le provençal, ni dans l'italien, ni dans le bas-latin; car Ducange n'a aucun mot qui puisse y être rapporté. Dans cette absence de tout document, qui montre qu'en effet, dans la langue, quelque association entre blé et blaireau a existé, il me paraît trop hasardeux de s'en rapporter à une simple dérivation, qui, dans le fond, pourrait

être tout autre.

Ménage supposait que blaireau, c'est-à-dire blereau, venait de melis, qui est le nom latin de cet animal. II. admettait un diminutif, melerellus, puis un changement de l'm en b. Le mot latin a donné le provençal melota, le napolitain mologna; mais, du reste, le roman n'offre aucun vestige de melis. L'étymologie de Ménage est donc trop peu appuyée par les formes connues pour qu'on puisse s'y fier.

Il y a encore moins à compter sur le celtique. Le gaélique et l'irlandais nomment le taisson broc, le basbreton et l'idiome de Cornouailles, broch, d'où l'anglais brock. Mais, sans intermédiaire, il est interdit de passer de ces mots à blaireau.

J'ai une autre conjecture à proposer. Notre mot belette est un diminutif de l'ancien français bele. Il me paraît possible que de bele, un diminutif masculin se soit formé, belerellus, d'où belereau, puis blereau. La contraction de belereau en blereau se justifie par des exemples tels que bluter, forme contracte de beluter. Des diminutifs, sans idée de diminution, sont fréquents dans la formation de l'ancien français, taurellus, un taureau, et, parfois avec changement de genre, avicellus, oiseau, du féminin avis. Enfin, les noms d'a

nimaux passent facilement de l'un à l'autre. Maintenant d'où vient bele? ou bien du kymri bele, martre, ou du haut-allemand bille, ancien haut-allemand bilih, qui désigne une espèce de rongeurs? Remarquons, en tout cas, que le mot celtique et le mot allemand sont les mêmes.

A l'article baron, M. Diez invoque l'autorité du Dictionnaire de Jean de Garlande, autorité qui serait en effet très-grande pour la langue française, si cet auteur était du onzième siècle; à la vérité, les Bénédictins, dans l'Histoire littéraire de la France, lui avaient attribué une aussi haute antiquité, et ils avaient été suivis par Géraud, qui publia, il y a moins de vingt ans, une édition de ce dictionnaire. Mais c'est une erreur, et Jean de Garlande est postérieur de deux siècles, ainsi que M. Leclerc l'a démontré, dans cette même Histoire littéraire, t. XXI, p. 369-374. En voici les preuves, afin de prévenir, du moins ici, ceux qui s'occupent des antiquités de notre langue. Dans son dictionnaire, aux articles 16, 34, 67, Jean de Garlande parle des écoliers de Paris comme d'étrangers que l'on trompe, et comme faisant une partie considérable de la population de la ville, ce qui est vrai, non du onzième siècle, mais du treizième. A l'article 73, il appelle nemus regis le bois de Vincennes, que Philippe-Auguste ne fit clore de murs qu'en 1183. A l'article 48, il raconte qu'il a vu à Toulouse plusieurs machines de guerre; entre autres, celle qui tua le fameux Simon de Montfort (en 1218), et qu'il y était fort peu de temps après la fin de la guerre contre les Albigeois, qui ne se termina qu'en 1229. Dans un poëme intitulé de Triumphis ecclesiæ, il rapporte les événements de la croisade albigeoise, et donne de longs détails sur la mort de Simon de Montfort, disant expressément qu'il était à Toulouse vers la fin de la lutte, disant aussi qu'il avait étudié la philosophie à Oxford avec Jean de Londres, dont parle Roger Bacon, qui se souvenait d'avoir entendu Jean de Garlande disserter sur le sens d'un mot latin. Un autre de ses poëmes, intitulé de Mysteriis Ecclesiæ, se termine par quelques vers chronologiques à la gloire du célèbre docteur Alexandre de Halès, qui venait de mourir, le 11 août 1245. Enfin, il y est aussi question de Foulques, évêque de Londres, qui siégea de 1244 à 1259.

Il n'y a donc aucun doute, Jean de Garlande est bien du milieu du treizième siècle. M. Mahn dit dans un court préambule, mis en tête de ses spécimens : « Dans les langues romanes, les étymologistes nationaux n'ont produit rien que d'imparfait et d'à peine digne d'être nommé. A un Allemand, au professeur Diez, il était réservé, dans son lexique, exclusivement étymologique, de mettre au jour une œuvre éminente et véritablement admirable, et de faire plus que toutes les académies française, italienne, espagnole et portugaise. » Je ne suis aucunement enclin à contester les éloges qui sont ici donnés à M. Diez; pour cela, j'ai accordé trop d'attention à son livre, et je m'en suis trop servi; mais je suis disposé à reprocher aux savants allemands de ne pas tenir assez compte de ce qui se fait chez nous, de ne pas connaître suffisamment l'Histoire littéraire de France, ouvrage utile à tous ceux qui étudient les langues romanes, ou du moins la langue française, et

d'attendre sans doute, pour mettre Jean de Garlande à sa place chronologique, que la vraie date, trouvée il y a dix ans par M. Leclerc, soit retrouvée sur la rive droite du Rhin.

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SOMMAIRE DU QUATRIÈME article. (Journal des Savants, septembre 1855). - Discussions étymologiques sur les mots bachelier, air, au sens de manière; grimoire, fouteau, chenille, buste, frayeur, guivre, vautrer, bélier, trouver.

Le travail de M. Diez, sur l'étymologie des langues romanes, est destiné à être beaucoup consulté, aussi j'en prolonge l'examen, me plaisant à discuter avec un auteur muni de tant d'informations sur le sujet qu'il traite, et si habile à en tirer parti.

Bachelier, bas-latin baccalarius, italien baccalare, provençal bacalar, ancien catalan batxeller, espagnol bachiller, portugais bacharel, est un mot sur lequel M. Diez n'a rien essayé. Il se contente d'écarter des étymologies anciennement données : bas chevalier, que ne permettent ni l'histoire du mot ni la grammaire; et baculus, qui, avec un mot celtique de même signification, gaélique bachall, irlandais bacal, conviendrait très-bien pour la forme, mais qu'il ne trouve appuyé, quant à la liaison logique des sens, que sur des présomptions tout à fait incertaines. Il va sans dire qu'il n'y a ici à faire aucun compte de baccalaureus. Bachelier a eu, entre autres acceptions, celle de gradué dans. une faculté; et, cherchant une étymologie au mot pris ainsi, on l'a décomposé, contre toutes les lois de l'analogie, en bacca-laureus, comme s'il venait de bacca lauri, baie de laurier. Le sens primitif du bas-latin bac

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