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leur tour elles eurent leur chantre inspiré; l'homme avait fait sur lui-même ce grand retour qu'on nomme le moyen âge; et cela se marque dans la pensée comme dans l'expression. On a souvent rapproché Dante et Milton. Les Anglais, fiers, à juste titre, de leur grand poëte, sont disposés à le mettre au-dessus de l'illustre Toscan; ils lui trouvent un essor plus élevé, une sublimité plus vraie, plus de puissance poétique. Malgré ma profonde admiration pour Milton, je ne puis souscrire à ce jugement. On cède en ceci, je crois, à une illusion, prenant l'agrandissement de la pensée générale au dix-septième siècle pour une marque qui fixe l'infériorité du poëte du quatorzième. Qu'on les mette tous deux à leur temps, qu'on les rapporte tous deux à leur type de beauté, et l'on ne trouvera chez Dante ni moins d'essor, ni moins de sublimité, ni moins de puissance poétique.

On a dit, et cela est vrai, que Dante, dans ses peintures de démons, n'a rien qui soit comparable au Satan de Milton. Mais remarquons ici l'influence des temps et des milieux sur les génies les plus puissants. Milton est sans doute un chrétien pieux et convaincu; toutefois il appartient au protestantisme qui a brisé l'antique unité catholique; il s'est trouvé mêlé aux luttes politiques, et il a figuré parmi ces révolutionnaires ardents qui, au dix-septième siècle, tentèrent de fonder une république anglaise. Eh bien! qu'est Satan, sinon un révolté indomptable que Milton condamne comme l'ennemi du Très-Haut, mais qu'il n'aurait jamais conçu dans sa funeste et sombre grandeur si lui-même n'avait vécu, le cœur palpitant et déchiré, dans ce

tourbillon d'insurrections opiniâtres, de convictions inébranlables, de pensées indépendantes? C'est le côté par lequel son poëme, véritablement épique, reflète son époque; mais ce côté, tout effectif qu'il est et tout splendide, combien moindre paraît-il que l'ensemble immense où Dante nous déploie le moyen âge! Lamennais a raison de dire : « Le poëme entier, sous ses nombreux aspects, politique, historique, philosophique, théologique, offre le tableau complet d'une époque, des doctrines reçues, de la science vraie ou erronée, du mouvement de l'esprit, des passions, des mœurs, de la vie enfin dans tous les ordres, et c'est à juste titre qu'à ce point de vue la Divine Comédie a été appelée un poëme encyclopédique... Dans cette vaste conception, Dante toutefois ne pouvait dépasser les limites où son siècle était enfermé. Son épopée est tout un monde, mais un monde correspondant au développement de la pensée et de la société en un point du temps, et sur un point de la terre, le monde du moyen âge. Si le sujet est universel, l'imperfection de la connaissance le ramène en une sphère aussi bornée que l'était, comparée à la science postérieure, celle qu'enveloppaient dans son étroit berceau les langes de l'école. » Cette dernière restriction qu'indique Lamennais, je voudrais non pas l'effacer, mais l'expliquer. La vraie philosophie de l'histoire, concevant que le moyen âge, héritier de la civilisation gréco-romaine, fille elle-même des civilisations asiatiques, enferme en substance et représente tout ce qui le précède, conçoit aussi qu'à ce titre l'épopée de Dante est universelle, du moins jusqu'à l'époque qu'atteint le poëte. C'est pour être en dehors de la série que les épopées des civilisations collatérales, par exemple de l'Inde, malgré d'incontestables beautés, demeurent toujours à un rang inférieur. Rien, même pour le génie, ne peut remplacer cette condition suprème d'appartenir au courant direct de la grande série historique.

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