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nouvelles armes contre elle, contre fon sexe. Quelle logique que celle de l'envie !

Dans le Numéro 2 de ce Journal, nous avons parlé de l'Histoire d'Elifabeth, & nos Lecteurs fe rappelent ce que nous en avons penfé. L'Ouvrage que nous annonçons aujourd'hui, augmentera la réputation de Mlle. de K. & juftifiera en même tems ce que nous venons d'avancer en faveur des Femmes lettrées.

Mile. de K. avait dit dans fon Profpectus : J'ai conçu le défir d'élever un monument à la gloire des Femmes Françaises qui fe font diftinguées dans les lettres; il m'a femblé que rien ne remplirait mieux cette idée, que le choix & la réunion des meilleurs ouvrages compofés pas elles en différens genres, c'està-dire, de tous ceux qui préfentent des objets d'utilité & d'agrément, dans lesquels règne cette décence qui convient aux bonnes mœurs, & qui jouiffent depuis long-temps des fuffrages & de l'eftime du Public. Ces ouvrages font épars, fouvent raffemblés au hafard & fans choix : les éditions en font pour la plupart incorrectes & mal foignées. Mon projet eft d'en raffembler les meilleurs & de les faire

imprimer avec ordre, dans un format commode, fur de beau papier, avec beaucoup de foin, & cependant au meilleur marché poffible.»

Ce projet, un peu trop vafte, demandait quelques reftrictions, & c'eft ce qu'a fait fagement Mile. de K. Depuis Héloïse jusqu'à Mlle. Scudéry inclufivement, elle ne compte imprimer aucun ouvrage entier. A cette époque, elle donnera les ouvrages complets d'un grand nombre de Femmes dont le nom & les écrits font chers au Public; tels font les Mémoires de Mad. de Motteville, ceux de Mlle. de Montpenfier, de Mad. de Villars, &c. les Lettres de Ninon de l'Enclos, de, Mad. de Sévigné, les Euvres de Mad. & Mlle. Deshoulières, de Mad. de la Fayette, quelques Ouvrages choifis de Mad. de Villedieu, un Poëme de Mlle. Cheron, quelques Morceaux de Mlle. Descartes & de Mlle. de la Vigne, les Œuvres de Mad. d'Aulnoỷ, de Mlle. de la Force, de Mad. de Saintonge & de fa Mère, de Mlle. Bernard, les meilleurs. Romans de Mlle. de Luffan, de Mad. de Murat, de Mad. de Gomez, de Mad. de Villeneuve, de Mlle. de Lubert, de Mlle. Fauques, &c. les Poefies de Mad. de Montégut de Toulouse, les Euvres de la célèbre Mad. Dacier, de Mad. du Chatelet, &c.

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Il paraît en ce moment deux volumes de " cette intéreffante collection. Mlle. de Kéralio auffi refpectueufe que reconnaiffante, les a dédiés à fa Mère, ainfi qu'elle avait fait à fon Père l'hommage de fon Hiftoire d'Elifabeth. Nous allons rapporter fon Epître dédicatoire, chef-d'œuvre de modeftie & de fenfibilité.

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» Un Ouvrage compofé à la gloire des per◄ fonnes de mon fexe, appartient à celle qui, du monde entier, eft la plus chère & la plus respectable à mes yeux. La reconnaissance filiale ne fe réserve rien: nous ne fommes que ce que les foins, l'éducation, la vigilance paternelle ont fait de nous. Nous ne pouvons rendre les bienfaits que notre enfance & notre faible jeuneffe ont reçus ; au moins, que l'hommage des fruits que nous en retirons foit l'offrande pure & fimple de notre cœur. Vous n'avez pas moins cherché qu'un père fage & vertueux, à élever l'ame de votre fille & å cultiver fon efprit; je lui ai confacré les premiers & timides effais de ma plume; ceux-ci. dédiés aux femmes de ma nation, feront honorés du nom de ma mère; & fi j'en crois mon cœur, ils acquerront quelque prix à leurs yeux, lorfqu'elles verront que la main qui

cherche à leur élever un monument durable; en a d'abord élevé un à vos vertus, à l'amour maternel, à l'amour filial, à ma reconnaissance & au profond refpect avec lequel, &c. »

Mlle. de K. remonte, dans le premier volume, jufqu'à la première, des Femmes Françaifes, qui pofa les fondemens de leur gloire en littérature, à la célèbre Héloïfe dont bef prit, le favoir, les charmes & les malheurs, exciteront toujours, comme elle le dit fort bien, l'admiration & la pitié. Sa vie & les morceaux de fes Lettres, qu'on peut rapporter, font précédés d'un abrégé de l'Hiftoire des lettres dans les Gaules, depuis leur établissement jufqu'au douzième siècle. Ce morceau compofe environ le tiers du premier volume. En voici le début : il fera juger du ftyle & du

talent de Mlle. de Kéralio.

» L'origine des Sciences & des Arts fe perd chez tous les peuples dans une obfcurité impénétrable. L'Hiftoire civile, malgré les ténè bres qui l'environnent, a été plutôt & mieux connue que l'Hiftoire littéraire. La guerre, les émigrations, les invafions, les grandes calamités de la nature humaine s'impriment profondément dans la mémoire des hommes qui

font

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font les témoins & les victimes de ces fléaux elles paffent d'âge en âge, revêtues du plus grand dégré de certitude hiftorique. Les monu mens en conftatent l'exiftence; la génération les tranfimet à celle qui la fuit; & la tradition, quoiqu'infidelle dans quelques détails, conferve le fouvenir des faits principaux. Les pyramides, les inscriptions, les tombeaux, font les premiers caractères de l'Hiftoire civile. Les fables mêmes, ornées de toutes les grâces de a poéfie, ont quelquefois pour base des faits hiftoriques. Mais les arts, les fciences, les lettres n'ont pas les mêmes fecours dans leurs commencemens. La fenfation que produit un petit nombre d'hommes qui travaillent à l'inftruction de leurs femblables, s'évanouit facilement & n'affecte jamais la totalité d'une na tion. On connaît les tyrans & les deftructeurs des peuples; on ignore les inventeurs des arts & des fciences. L'Hiftoire littéraire ne peut être éclaircie que par les monumens qu'elle s'élève à elle-même; & ces ouvrages étant toujours très-poftérieurs à l'origine des connaissances, i' eft impoffible de porter au milieu de ces ténèbres le plus faible rayon de lumière «. Ces réflexions font auffi vraies qu'elles font

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