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puisse l'aider. Ce n'est pas qu'il soit sans rhétorique. Mais cette rhétorique, il ne la doit pas à Aristote ou à l'enseignement de l'école. Elle lui est comme naturelle. Il en a inventé les préceptes. Ils se réduisent à deux : démontrer et plaire. Dans les Pensées il entreprendra de démontrer. Il démontre également dans les Provinciales; le plus souvent, néanmoins, dans les Provinciales, il se contente de plaire, ce qui est un moyen très inférieur de persuader, mais utile à employer ici parce qu'il a à se défendre contre l'injure et la persécution. Il méprise ce moyen. « Il y a deux manières, dit-il1, par où les opinions entrent dans l'âme, l'entendement et la volonté. La meilleure est la première; mais la plus ordinaire, quoique contre la nature, est celle de la volonté, car tout ce qu'il y a d'hommes sont presque toujours emportés à croire non par la preuve, mais par l'agrément. Cette voie est basse, indigne et étrangère; aussi tout le monde la désavoue », et tout le monde l'emploie, y compris Pascal. Si vous lui demandez pourquoi, il répondra qu'on n'est point parfait, qu'on prend les hommes par où l'on peut, que l'intention qu'on met à plaire est une excuse, qu'une autre excuse consiste à tirer l'agréable du vrai. Il faut bien se rendre aux conditions du succès, de l'expérience. C'est au point de vue de l'expérience que Pascal observe, que l'éloquence continue ennuie, parce que la continuité dégoûte de tout, que l'éloquence est une peinture de la pensée, un art de dire les choses de telle façon que ceux à qui l'on parle puissent les entendre sans peine, et avec plaisir, y prendre tant d'intérêt que leur amour-propre les porte à la réflexion.

Il a été jusqu'au fond du sujet et cela avant les Provinciales, où il a mis en œuvre les artifices d'un art infini. A juger de lui par l'ascendant qu'il a obtenu sur tous ceux qui l'ont approché, Pascal parlait aussi bien qu'il écrivait. Il remarque qu'il y en a qui parlent bien et qui n'écrivent pas bien : c'est que le lieu et l'assistance les échauffent, et tirent de leur

1. De l'esprit géométrique.

esprit plus qu'ils n'y trouveraient sans cette chaleur. Il traduit une assertion de Montaigne qui se vante selon sa coutume : « C'est à l'adventure, écrit Montaigne 1, que je puis plus à parler qu'à escrire le mouvement et action animent les paroles. » C'est une façon de prévenir la postérité qu'il réussissait mieux dans la conversation que dans les Essais.

C'est par ce qu'il dit dans les Pensées ou dans les opuscules qu'on y annexe d'ordinaire qu'on peut juger de l'art caché dans les Provinciales. Ce n'est point du bonheur; chaque effet est prévu. La simplicité du style n'est pas davantage un don de la nature; elle est acquise : « Quand on voit le style naturel, dit l'auteur des Provinciales, on est tout étonné et ravi; on s'attendait de voir un auteur et on trouve un homme. »> Les gens de goût cherchent toujours un homme dans un livre; ils ne trouvent qu'un auteur. Il place les auteurs au même rang que les poètes, c'est-à-dire très bas. Ils fuient le naturel; il est tenté de leur crier à tous plus poetice quam humane locutus es. Ce n'est pas au moins le travail, comme on serait tenté d'imaginer, qu'il condamne chez eux. La plupart s'éloignent laborieusement de la nature; lui la cherche avec autant de labeur qu'ils peuvent en mettre à l'écarter. Quelques-unes des Provinciales qui n'ont que huit pages de texte dans l'édition in-4° ont exigé de Pascal jusqu'à vingt jours d'efforts. « Il étoit souvent vingt jours entiers sur une seule lettre. Il en recommençoit même quelques-unes jusqu'à sept et huit fois, afin de les mettre au degré de perfection que nous les voyons 2. » Il y en a une qu'il eut la patience de remettre treize fois sur le métier. Il avait le travail pénible; il imitait à son insu les poètes qui astreignent la pensée à la mesure et à la quantité du vers, afin de l'empêcher de courir et de s'évaporer. D'Aguesseau, qui n'avait qu'une éloquence de parquet, croit faire beaucoup d'honneur à l'éloquence qui

1. Essais, livre II, ch. XVII.

2. Histoire des provinciales. (Dans la préface de la traduction latine de Nicole.)

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règne dans les Provinciales en la comparant à celle de Cicéron. « Les Lettres Provinciales, dit-il, et surtout les dernières, par rapport à l'objet qu'on se propose, de plaire en prouvant, - peuvent se placer hardiment à côté des grands orateurs, et je ne sais quels sont ceux qui devront avoir le plus peur du voisinage. La Quatorzième Lettre surtout est un chef-d'œuvre d'éloquence qui peut le disputer à tout ce que l'Antiquité a de plus admiré, et je doute que les Philippiques de Démosthène et de Cicéron offrent rien de plus fort et de plus parfait. » Les Philippiques de Cicéron, comme leur titre l'indique, sont dans le cas de ses traités de philosophie morale elles sont du genre imitatif. L'abondance de Pascal n'est pas la redondance de l'orateur romain; elle coule de source; elle n'amplifie pas.

Du reste, si la puissance de l'éloquence des Provinciales vaut celle de Démosthène et diffère de celle de Cicéron autant qu'un tableau de maître diffère d'une copie bien faite, elle a de plus que l'une et l'autre une qualité que les Anciens n'ont guère connue et qui est rare chez les Modernes ; c'est la distinction, une chose difficile à définir qui tient au caractère, à un parfum sui generis où la conscience intervient, on ne sait au juste dans quelle mesure, avec une délicatesse exquise, née de la culture chrétienne et propre à ceux qui l'ont reçue. Démosthène est fort et ne l'a pas; on l'admire plus qu'on ne l'estime. Cicéron est délié; l'élégance de sa forme et la facilité de son élocution ne lui confèrent pas la noblesse qui distingue la forme et la facilité de Pascal. Le langage de La Rochefoucauld est plus raffiné il ne touche que l'esprit, n'attire pas. La Bruyère a quelquefois plus de saveur : il n'a pas cela. Bossuet est grand et il est foncièrement bon il n'a pas cette odeur maladive et pénétrante de l'éloquence de Pascal. Fénelon en approcherait si derrière l'onction de sa pensée on n'apercevait qu'il est trop content de lui-même et que cette onction est peut-être un procédé. En réalité, c'est l'indépendance orageuse du caractère de Pascal qui domine

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toutes ces manières jalouses d'être applaudi. Il consent à persuader par le moyen qui consiste à plaire. Ce n'est qu'une concession provisoire; l'envie de la retirer perce tout de suite et il convient que c'est une méthode basse d'entrer dans l'âme. Il fait contre fortune bon cœur, comme les Romains aux Fourches Caudines. Bref, il va de préférence à l'estime. Celle qu'on lui accorde est la déférence à laquelle on se croit obligé, qu'on ne saurait refuser d'ailleurs à cette sensibilité extrême, à la fois tendre, douce et frêle, qui est sans doute un effet de la complexion nerveuse de Pascal. Elle est délicate et ténue d'aspect. Cette délicatesse n'est pas celle que décrit La Rochefoucauld: « La véritable délicatesse, dit-il, est une solide subtilité. » Celle de Pascal est solide et subtile, mais il y joint un attrait qui lui procure l'adhésion du cœur. Enfin il a une impressionnabilité extraordinaire et communicative mêlée d'amertume, et c'est un attrait. Elle serait féminine s'il n'y joignait la force.

Et puis ce géomètre d'un jugement si sûr a de l'esprit. L'esprit est une des plus belles fleurs qui décorent les Provinciales. On admet communément que ceux qui sont absorbés dans l'étude des sciences sont très dépourvus du côté de l'esprit ou, comme on dit maintenant, de la verve. C'est peut-être vrai de ceux qui cultivent les sciences naturelles; l'habitude de peser la matière alourdit. Ce ne l'est pas de ceux qui cultivent les sciences mathématiques. Ce ne l'est pas en particulier de Pascal qui a une imagination merveilleuse. « Quelque paradoxal que cela puisse paraître à première vue, dit Henry Rogers 1, à plusieurs personnes accoutumées à regarder le jugement et l'esprit comme habitant à part, nous doutons qu'il y ait un autre attribut plus commun aux intelligences supérieures, soit dans la science, soit dans l'imagination, que cette qualité sous une forme ou sous une autre. Les noms de Bacon, de Shakespeare, de Platon, de Pascal, de Johnson, de Byron,

1. Génie et écrits de Pascal, p. 29 de la traduction Faugère.

de Walter Scott et de beaucoup d'autres se présenteront à l'instant au lecteur. Il est vrai que l'histoire nous fait connaître des esprits livrés si exclusivement aux branches les plus abstraites de la science, ou si continuellement absorbés en elle, que s'ils possèdent la faculté de l'esprit, elle n'est pas développée. Aristote et Newton, bien que quelques-uns du petit nombre des bons mots du premier, que la tradition a conservés, soient loin d'être médiocres, peuvent être cités comme exemples. Mais, en général, et l'histoire des sciences et des lettres le montrera, cette qualité, dans l'une ou l'autre de ses mille variétés, a presque toujours accompagné les esprits d'un ordre supérieur. » Les grands écrivains ont toujours de l'esprit. Pascal en a plus qu'un autre, à cause de sa supériorité. L'activité de l'inspiration, l'aptitude à trouver des analogies et des différences entre les objets où le commun n'en voit pas, en exigent beaucoup. C'est la finesse de celui de Pascal qui le rend si propre à spécifier, à ranger, à saisir les nuances. C'est par elle qu'il a pu sortir du terre à terre et de l'aridité de la controverse théologique. A qui le comparer sous le rapport de l'ironie des Provinciales? Socrate ne l'avait pas si aiguë. Pascal ne lui doit rien à cet égard; il n'avait pas lu Platon; il ne lui a rien emprunté. Lui et Socrate étaient doués d'une sagacité et d'une pénétration égales dans le domaine de l'abstraction; tous les deux ils aimaient à scruter les profondeurs de la nature morale de l'homme; tous les deux avaient au même degré l'amour de l'idéal, du beau moral; tous les deux avaient une belle intelligence, l'art de présenter la pensée, de l'orner des grâces du langage. Le moraliste grec avait l'imagination plus riante parce qu'il n'était ni malade ni ascétique; le moraliste français l'avait plus riche et plus saisissante. Il l'avait en même temps plus sévère: il ne sacrifiait point à la pompe; il aurait cru tomber dans la poésie qu'il méprisait. La méprisait-il vraiment? Non; il la haïssait comme la muse des sens. Quant aux moyens de piquer la curiosité, moyens qu'il n'approuve pas, mais dont il use dans les Pro

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