pu servir d'enseigne à Victor Cousin, qui a commencé par elle sa galerie de portraits de femmes célèbres du xvir® siècle1. Dans l'avant-propos de son édition de 1856, Victor Cousin, qui appelle à juste titre Jacqueline une femme bien peu connue, mais qui la fait connaître beaucoup plus qu'elle ne l'a été de son temps, constate qu'elle « avait reçu du ciel de rares facultés et les a volontairement négligées pour un objet plus grand que toute la gloire humaine », qu'elle a jeté dans le monde « un très vif éclat », et alla de bonne heure « ensevelir dans un cloître les agréments de son esprit et de sa personne ». Les agréments de son esprit sont réels; l'énergie de son caractère l'a fait estimer de ceux qui l'ont approchée. Quant aux agréments de sa personne, la petite vérole les avait fait disparaître à l'heure où elle est censée les avoir ensevelis dans un cloître. Cet accident pourrait n'avoir pas nui à sa vocation. Quoi qu'il en soit, c'était une petite bourgeoise, avisée, spirituelle et pleine d'entregent, lorsqu'en 1638, elle fut admise à présenter elle-même à Anne d'Autriche l'épigramme qu'on a lue plus haut. Dans l'antichambre où elle attend que la reine veuille bien la recevoir, elle rencontre Mademoiselle, fille de Monsieur, frère du roi, qui lui dit : « Puisque vous faites si bien des vers, faites-en pour moi. » Jacqueline se retire dans un coin et revient au bout d'un instant avec les vers suivants : Muse, notre grande princesse, Te commande aujourd'hui d'exercer ton adresse Qu'on ne sauroit la satisfaire, Et que le seul moyen qu'on a de la louer, C'est de dire en un mot qu'on ne le sauroit faire. L'improvisation plut. Jacqueline a fait de meilleurs vers. Ceux-ci sont de 1643; elle avait dix-huit ans. Elle semble 1. Jacqueline Pascal, Premières études sur les femmes illustres de la société du XVIIe siècle, 1 vol. in-8°. Paris, 1844; 2e édit. en 1849; 9e édit., 1878, 1 vol. in-18. rechercher les sujets scabreux. La pièce est intitulée : Pour une dame amoureuse d'un homme qui n'en savoit rien: Imprudente divinité, Injuste et fàcheuse chimère Tandis que ses yeux innocents La grâce qu'on voit en son port, Est un écueil inévitable Où sa raison perd son effort. Son ardeur qui toujours augmente Et le seul qu'elle veut toucher, Seul ne sait pas la reconnoître, etc. Ces variations durent encore plusieurs strophes. Victor Cousin en a recherché les variantes. Cela n'a d'intérêt que parce que ces vers sont d'une sœur de Pascal et d'une héroïne de Port-Royal. La sève qui coule de la plume de Mme Périer, l'autre sœur de Pascal, a une odeur plus pénétrante. Pourtant la bonne volonté de Jacqueline eut sa récompense immédiate. Elle fut reçue à la cour et admise à l'honneur de « ser Ce ne vir la reine quand elle mangeoit en particulier ». devait pas être inutile aux siens. Richelieu, en butte à l'aversion de la Noblesse dont il coupait les têtes, recrutait des adhérents dans le Tiers État. Pendant l'hiver de 1639, il eut envie de voir jouer par des enfants l'Amour tyrannique, tragi-comédie de Scudéry. Il recrutait aussi parmi les gens de lettres, et il est un de ceux qui ont fondé leur influence sociale en dehors de l'Académie, dont il est le père, et qui fut la consécration officielle de son entreprise. Sa nièce, Mme d'Aiguillon, chargée par lui de choisir des acteurs et des actrices, sollicita le concours de Jacqueline par l'intermédiaire de Mme Sainctot, femme du maître des cérémonies de la Cour. D'abord Gilberte, qui n'était pas encore Mme Périer, mais qui était la maîtresse de la maison en l'absence d'Étienne Pascal, répondit au gentilhomme envoyé par Mme Sainctot: «< Monsieur le Cardinal ne nous donne pas assez de plaisir pour que nous pensions à lui en faire. » Cette réponse à la Plutarque avait été faite sans réflexion. Gilberte se ravisa. Elle songea à la détresse de son père, contraint de se cacher en Auvergne, et acquiesça à la demande du Cardinal. Jacqueline joua à ravir, mais elle s'était préparée à tirer parti de son art. La pièce terminée, elle se présente elle-même au Cardinal qui la prend sur ses genoux. Là-dessus, elle lui récite, avec des larmes dans la voix, un compliment rimé : Ne vous étonnez pas, incomparable Armand, Ainsi vous me rendrez l'entière liberté De l'esprit et du corps, de la voix et du geste. Il est clair qu'on avait aidé Jacqueline à rédiger cette supplique habile, et on attribue toute cette négociation à l'acteur Mondory, sous la direction duquel Jacqueline avait appris son rôle, et qui était natif de Clermont. Richelieu n'avait pas demandé mieux que de se prêter à cette petite intrigue. Il se laissa prier, pour la forme, par Mme d'Aiguillon, sa nièce, et par Séguier, qui était aussi de l'affaire. Blaise, âgé de seize ans, et Gilberte qui en avait dix-neuf, étaient là « tous deux parfaitement beaux », dit le Recueil d'Utrecht. Richelieu aimait les coups de théâtre : « Eh bien, mon enfant, dit-il, mandez à monsieur votre père qu'il peut revenir en toute assurance et que je suis bien aise de le rendre à une si aimable famille. » Étienne Pascal revint à Paris et se rendit à Rueil, résidence ordinaire de Richelieu, accompagné de ses enfants. Richelieu l'accueillit avec une bienveillance marquée, lui apprit qu'il n'était pas ignorant de son mérite et voulut bien ajouter, en désignant ses enfants du geste : « J'en ferai quelque chose de grand. » Ils devaient en effet être quelque chose de grand, mais non par lui. L'intendance des tailles de Normandie, qu'il offrit à Étienne Pascal, n'y fut pas inutile néanmoins. A Rouen, l'intendant des tailles était un personnage en vue. La Noblesse et la Robe affluèrent chez lui. Pendant que Blaise inventait sa machine arithmétique, Jacqueline concourait au Puy. Ce puy (podium, théâtre) était une institution locale, importée de Caen où elle existait depuis le xr siècle, au témoignage de Robert Wace, l'illustre auteur du Roman de Brut et du Roman de Rou. On y couronnait chaque année une poésie lyrique sur le sujet de l'Immaculée conception1. Jacqueline concourait sur l'invitation de Pierre Corneille. On lui apporta le prix au son du tambour et Corneille remercia en vers le Prince (président) du puy : Une fille de douze ans (quinze, voyons) A seule de son sexe eu des prix sur ce Puy. 1. Voir notre introduction aux Poésies de Malfilâtre, un des lauréats du Puy de Caen. 1 vol. in-12. Paris, 1884. Quantin. <<< Cela sortait de la même bouche que le qu'il mourût », observe Sainte-Beuve. Sans doute; Corneille n'était pas tous les jours en haleine. Et puis, dans la circonstance, il parlait au nom de Mademoiselle l'Intendante, et dans ces occasions-là. il n'avait pas de verve. Il n'était pas né flatteur; chaque fois qu'il essaye de ce rôle, et il essaya souvent, il balbutie : il tient du Cid. Aussi a-t-il une attitude pénible devant Jacqueline, qui n'est pourtant pas Mme de Longueville. « M. Corneille, dit Sainte-Beuve1, si grand dans son théâtre et qui était un peu humble et disproportionné dans la vie, lui marquait une bonne grâce, j'imagine, où entrait quelque déférence. » Blaise ne prit point garde à lui. Peut-être était-il déjà d'avis que s'il n'y avait pas de fleurs, les poètes manqueraient de preuves. On n'a pas de données précises sur ses occupations durant plusieurs années de son séjour à Rouen. Il achève ses études, expérimente sur le Vide. D'autre part, il est malade, s'il est vrai que depuis l'âge de dix-huit ans il n'a pas passé un jour sans douleur. En 1647, il en a vingtquatre. Ses maux se sont aggravés. Il ne peut avaler que des liquides, au rapport de Mme Périer; il faut qu'ils soient chauds, qu'il les prenne goutte à goutte. Il a en outre des chaleurs d'entrailles, la tête endolorie. Les médecins lui ordonnent de se purger durant trois mois, de deux jours l'un. C'était un supplice « qui faisoit mal au cœur de tous ceux qui étoient auprès de lui ». D'après le récit de Marguerite Périer, « il tomba dans un état fort extraordinaire, qui étoit causé par la grande application qu'il avoit donnée aux sciences; car les esprits étant montés trop fortement au cerveau, il se trouva dans une espèce de paralysie depuis la ceinture en bas, en sorte qu'il fut réduit à ne marcher qu'avec des potences; ses jambes et ses pieds devinrent froids comme du marbre, et on étoit obligé de lui mettre tous les jours des chaussons 1. Port-Royal, livre III, ch. iv. 2. Cousin, Des Pensées de Pascal, p. 394 de la 1re édit. |