Oui, seigneur, il est mort;
Il s'est livré lui-même aux rigueurs de son sort. Porus étoit vaincu: mais, au lieu de se rendre, Il sembloit attaquer, et non pas se défendre. Ses soldats, à ses pieds étendus et mourants, Le mettoient à l'abri de leurs corps expirants. Là, comme dans un fort, son audace enfermée Se soutenoit encor contre toute une armée; Et, d'un bras qui portoit la terreur et la mort, Aux plus hardis guerriers en défendoit l'abord. Je l'épargnois toujours. Sa vigueur affoiblie Bientôt en mon pouvoir auroit laissé sa vie; Quand sur ce champ fatal Taxile descendu: << Arrêtez, c'est à moi que ce captif est dù. « C'en est fait, a-t-il dit, et ta perte est certaine, « Porus; il faut périr, ou me céder la reine. » Porus, à cette voix ranimant son courroux, A relevé ce bras lassé de tant de coups; Et cherchant son rival d'un œil fier et tranquille: << N'entends-je pas, dit-il, l'infidele Taxile, « Ce traître à sa patrie, à sa maîtresse, à moi? « Viens, lâche, poursuit-il; Axiane est à toi: « Je veux bien te céder cette illustre conquête; « Mais il faut que ton bras l'emporte avec ma tête. « Approche ». A ce discours, ces rivaux irrités L'un sur l'autre à-la-fois se sont précipités. Nous nous sommes en foule opposés à leur rage: Mais Porus parmi nous court et s'ouvre un passage, Joint Taxile, le frappe; et lui perçant le cœur, Content de sa victoire, il se rend au vainqueur.
Seigneur, c'est donc à moi de répandre des larmes; C'est sur moi qu'est tombé tout le faix de vos armes. Mon frère a vainement recherché votre appui; Et votre gloire, hélas! n'est funeste qu'à lui.
Que lui sert au tombeau l'amitié d'Alexandre? Sans le venger, seigneur, l'y verrez-vous descendre? Souffrirez-vous qu'après l'avoir percé de coups On en triomphe aux yeux de sa sœur et de vous?
Oui, seigneur, écoutez les pleurs de Cléofile. Je la plains. Elle a droit de regretter Taxile: Tous ses efforts en vain l'ont voulu conserver; Elle en a fait un lâche, et ne l'a pu sauver. Ce n'est point que Porus ait attaqué son frere ; Il s'est offert lui-même à sa juste colere. Au milieu du combat que venoit-il chercher? Au courroux du vainqueur venoit-il l'arracher? Il venoit accabler dans son malheur extrême Un roi que respectoit la victoire elle-même. Mais pourquoi vous ôter un prétexte si beau? Que voulez-vous de plus? Taxile est au tombeau: Immolez-lui, seigneur, cette grande victime; Vengez-vous. Mais songez que j'ai part à son crime. Oui, oui, Porus, mon cœur n'aime point à demi; Alexandre le sait, Taxile en a gémi:
Vous seul vous l'ignoriez; mais ma joie est extrême De pouvoir, en mourant, vous le dire à vous-même.
Alexandre, il est temps que tu sois satisfait. Tout vaincu que j'étois, tu vois ce que j'ai fait: Crains Porus; crains encor cette main désarmée Qui venge sa défaite au milieu d'une armée. Mon nom peut soulever de nouveaux ennemis, Et réveiller cent rois dans leurs fers endormis: Etouffe dans mon sang ces semences de guerre ; Va vaincre en sûreté le reste de la terre. Aussi-bien n'attends pas qu'un cœur comme le mien Reconnoisse un vainqueur, et te demande rien. Parle: et, sans espérer que je blesse ma gloire, Voyons comme tu sais user de la victoire.
Votre fierté, Porus, ne se peut abaisser: Jusqu'au dernier soupir vous m'osez menacer. En effet, ma victoire en doit être alarmée, Votre nom peut encor plus que toute une armée: Je m'en dois garantir. Parlez donc, dites-moi, Comment prétendez-vous que je vous traite?
Hé bien! c'est donc en roi qu'il faut que je vous traite :
Je ne laisserai point ma victoire imparfaite; Vous l'avez souhaité, vous ne vous plaindrez pas. Régnez toujours, Porus; je vous rends vos états. Avec mon amitié recevez Axiane:
A des liens si doux tous deux je vous condamne. Vivez, régnez tous deux, et seuls de tant de rois Jusques aux bords du Gange allez donner vos lois.
Ce traitement, madame, a droit de vous surprendre: Mais enfin c'est ainsi que se venge Alexandre. Je vous aime; et mon cœur, touché de vos soupirs,. Voudroit par mille morts venger vos déplaisirs. Mais vous-même pourriez prendre pour une offense La mort d'un ennemi qui n'est plus en défense: Il en triompheroit; et, bravant ma rigueur Porus dans le tombeau descendroit en vainqueur. Souffrez que, jusqu'au bout achevant ma carriere, J'apporte à vos beaux yeux ma vertu tout entiere. Laissez régner Porus couronné par mes mains; Et commandez vous-même au reste des humains. Prenez les sentiments que cerang vous inspire; Faites, dans så naissance, admirer votre empire; Et regardant l'éclat qui se répand sur vous, De la sœur de Taxile oubliez le courroux.
Oui, madame, régnez; et souffrez que moi-même J'admire le grand cœur d'un héros qui vous aime. Aimez, et possédez l'avantage charmant De voir toute la terre adorer votre amant.
Seigneur, jusqu'à ce jour l'univers en alarmes Me forçoit d'admirer le bonheur de vos armes : Mais rien ne me forçoit, en ce commun effroi, De reconnoître en vous plus de vertus qu'en moi. Je me rends; je vous cede une pleine victoire : Vos vertus, je l'avoue, égalent votre gloire. Allez, seigneur, rangez l'univers sous vos lois; Il me verra moi-même appuyer vos exploits: Je vous suis; et je crois devoir tout entreprendre Pour lui donner un maître aussi grand qu'Alexandre.
Seigneur, que vous peut dire un cœur triste, abattu? Je ne murmure point contre votre vertu : Vous rendez à Porus la vie et la couronne; Je veux croire qu'ainsi votre gloire l'ordonne. Mais ne me pressez point : en l'état où je suis, Je ne puis que me taire, et pleurer mes ennuis.
Oui, madame, pleurons un ami si fidele; Faisons en soupirant éclater notre zele; Et qu'un tombeau superbe instruise l'avenir Et de votre douleur et de mon souvenir.
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