0 UI, puisque je retrouve un ami si fidele, Ma fortune va prendre une face nouvelle; Et déja son courroux semble s'être adouci Depuis qu'elle a pris soin de nous rejoindre ici. Qui l'eût dit, qu'un rivage à mes vœux si funeste Présenteroit d'abord Pylade aux yeux d'Oreste; Qu'après plus de six mois que je t'avois perdu, A la cour de Pyrrhus tu me serois rendu ?
J'en rends graces au ciel, qui m'arrêtant sans cesse Sembloit m'avoir fermé le chemin de la Grece, Depuis le jour fatal que la fureur des eaux, Presque aux yeux de l'Epire, écarta nos vaisseaux.. Combien dans cet exil ai-je souffert d'alarmes, Combien à vos malheurs ai-je donné de larmes, Craignant toujours pour vous quelque nouveau
Que ma triste amitié ne pouvoit partager! Sur-tout je redoutois cette mélancolie Où j'ai vu si long-temps votre ame ensevelie : Je craignois que le ciel, par un cruel secours,
Ne vous offrît la mort que vous cherchiez toujours. Mais je vous vois, seigneur; et, si j'ose le dire, Un destin plus heureux vous conduit en Epire: Le pompeux appareil qui suit ici vos pas N'est point d'un malheureux qui cherche le trépas.
Hélas! qui peut savoir le destin qui m'amene? L'amour me fait ici chercher une inhumaine: Mais qui sait ce qu'il doit ordonner de mon sort, Et si je viens chercher ou la vie ou la mort?
Quoi! votre ame à l'amour en esclave asservie Se repose sur lui du soin de votre vie? Par quel charme, oubliant tant de tourments soufferts, Pouvez-vous consentir à rentrer dans ses fers? Pensez-vous qu'Hermione, à Sparte inexorable, Vous prépare en Epire un sort plus favorable? Honteux d'avoir poussé tant de vœux superflus, Vous l'abhorriez: enfin, vous ne m'en parliez plus. Vous me trompiez, seigneur.
Je me trompois moi-même!
Ami, n'accable point un malheureux qui t'aime: T'ai-je jamais caché mon cœur et mes desirs ? Tu vis naître ma flamme et mes premiers soupirs: Enfin, quand Ménélas disposa de sa fille En faveur de Pyrrhus vengeur de sa famille, Tu vis mon désespoir; et tu m'as vu depuis Traîner de mers en mers ma chaîne et mes ennuis. Je te vis à regret, en cet état funeste, Prêt à suivre par-tout le déplorable Oreste, Toujours de ma fureur interrompre le cours, Et de moi-même enfin me sauver tous les jours.. Mais quand je me souvins que, parmi tant d'alarmes, Hermione à Pyrrhus prodiguoit tous ses charmes, Tu sais de quel courroux mon cœur alors épris
Voulut en l'oubliant punir tous ses mépris. Je fis croire et je crus ma victoire certaine; Je pris tous mes transports pour des transports de
Détestant ses rigueurs, rabaissant ses attraits, Je défiois ses yeux de me troubler jamais. Voilà comme je crus étouffer ma tendresse. En ce calme trompeur j'arrivai dans la Grece; Et je trouvai d'abord ses princes rassemblés, Qu'un péril assez grand sembloit avoir troublés. J'y courus. Je pensai que la guerre et la gloire De soins plus importants rempliroient ma mémoire; Que, mes sens reprenant leur premiere vigueur, L'amour acheveroit de sortir de mon cœur. Mais admire avec moi le sort, dont la poursuite Me fait courir alors au piege que j'évite. J'entends de tous côtés qu'on menace Pyrrhus: Toute la Grece éclate en murmures confus: On se plaint qu'oubliant son sang et sa promesse Il éleve en sa cour l'ennemi de la Grece, Astyanax, d'Hector jeune et malheureux fils, Reste de tant de rois sous Troie ensevelis. J'apprends que pour ravir son enfance au supplice Andromaque trompa l'ingénieux Ulysse, Tandis qu'un autre enfant arraché de ses bras Sous le nom de son fils fut conduit au trépas. On dit que, peu sensible aux charmes d'Hermione, Mon rival porte ailleurs son cœur et sa couronne. Ménélas, sans le croire, en paroît affligé, Et se plaint d'un hymen si long-temps négligé. Parmi les déplaisirs où son ame se noie, Il s'éleve en la mienne une secrete joie: Je triomphe; et pourtant je me flatte d'abord Que la seule vengeance excite ce transport. Mais l'ingrate en mon cœur reprit bientôt sa place: De mes feux mal éteints je reconnus la trace:
Je sentis que ma haine alloit finir son cours; Ou plutôt je sentis que je l'aimois toujours. Ainsi de tous les Grecs je brigue le suffrage. On m'envoie à Pyrrhus : j'entreprends ce voyage. Je viens voir si l'on peut arracher de ses bras Cet enfant dont la vie alarme tant d'états.
Heureux si je pouvois, dans l'ardeur qui me presse, Au lieu d'Astyanax, lui ravir ma princesse! Car enfin n'attends pas que mes feux redoublés Des périls les plus grands puissent être troublés. Puisqu'après tant d'efforts ma résistance est vaine, Je me livre en aveugle au transport qui m'entraîne. J'aime: je viens chercher Hermione en ces lieux, La fléchir, l'enlever, ou mourir à ses yeux. Toi qui connois Pyrrhus, que penses-tu qu'il fasse ? Dans sa cour, dans son cœur, dis-moi ce qui se passe. Mon Hermione encor le tient-elle asservi? Me rendra-t-il, Pyladé, un bien qu'il m'a ravi?
Je vous abuserois si j'osois vous promettre Qu'entre vos mains, seigneur, il voulût la remettre : Non que de sa conquête il paroisse flatté. Pour la veuve d'Hector ses feux ont éclaté; Il l'aime: mais enfin cette veuve inhumaine N'a payé jusqu'ici son amour que de haine; Et chaque jour encore on lui voit tout tenter Pour fléchir sa captive, ou pour l'épouvanter. De son fils qu'il lui cache il menace la tête, Et fait couler des pleurs qu'aussitôt il arrête. Hermione elle-même a vu plus de cent fois Cet amant irrité revenir sous ses lois, Et, de ses vœux troublés lui rapportant l'hommage, Soupirer à ses pieds moins d'amour que de rage. Ainsi n'attendez pas que l'on puisse aujourd'hui Vous répondre d'un cœur si peu maître de lui : Il peut, seigneur, il peut, dans ce désordre extrême,
Epouser ce qu'il hait, et perdre ce qu'il aime.
Mais dis-moi de quel œil Hermione peut voir Son hymen différé, ses charmes sans pouvoir.
Hermione, seigneur, au moins en apparence, Semble de son amant dédaigner l'inconstance, Et croit que, trop heureux de fléchir sa rigueur, Il la viendra presser de reprendre son cœur. Mais je l'ai vue enfin me confier ses larmes : Elle pleure en secret le mépris de ses charmes; Toujours prête à partir, et demeurant toujours, Quelquefois elle appelle Oreste à son secours.
Ah! si je le croyois, j'irois bientôt, Pylade, Me jeter...
Achevez, seigneur, votre ambassade.
Vous attendez le roi. Parlez, et lui montrez Contre le fils d'Hector tous les Grecs conjurés. Loin de leur accorder ce fils de sa maîtresse, Leur haine ne fera qu'irriter sa tendresse: Plus on les veut brouiller, plus on va les unir. Pressez: demandez tout, pour ne rien obtenir.!
Hé bien, va donc disposer la cruelle A revoir un amant qui ne vient que pour elle.
PYRRHUS, ORESTE, PHOENIX.
Avant que tous les Grecs vous parlent par ma voix, Souffrez que j'ose ici me flatter de leur choix,
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