Il m'auroit tenu lieu d'un pere et d'un époux: Mais il me faut tout perdre, et toujours par vos coups.
Madame, mes refus ont prévenu vos larmes. Tous les Grecs m'ont déja menacé de leurs armes : Mais, dussent-ils encore, en repassant les eaux, Demander votre fils avec mille vaisseaux; Coûtât-il tout le sang qu'Hélene a fait répandre ; Dussé-je après dix ans voir mon palais en cendre; Je ne balance point, je vole à son secours, Je défendrai sa vie aux dépens de mes jours. Mais, parmi ces périls où je cours pour vous plaire, Me refuserez-vous un regard moins sévere? Haï de tous les Grecs, pressé de tous côtés, Me faudra-t-il combattre encor vos cruautés? Je vous offre mon bras. Puis-je espérer encore Que vous accepterez un cœur qui vous adore? En combattant pour vous, me sera-t-il permis De ne vous point compter parmi mes ennemis?
Seigneur, que faites-vous, et que dira la Grece? Faut-il qu'un si grand cœur montre tant de foiblesse? Voulez-vous qu'un dessein si beau, si généreux, Passe pour le transport d'un esprit amoureux ? Captive, toujours triste, importune à moi-même, Pouvez-vous souhaiter qu'Andromaque vous aime? Quels charmes ont pour vous des yeux infortunés Qu'à des pleurs éternels vous avez condamnés? Non, non: d'un ennemi respecter la misere, Sauver des malheureux, rendre un fils à sa mere, De cent peuples pour lui combattre la rigueur Sans me faire payer son salut de mon cœur, Malgré moi, s'il le faut, lui donner un asyle; Seigneur, voilà des soins dignes du fils d'Achille.
Hé quoi! votre courroux n'a-t-il pas eu son cours?
Peut-on haïr sans cesse? et punit-on toujours? J'ai fait des malheureux, sans doute; et la Phrygie Cent fois de votre sang a vu ma main rougie: Mais que vos yeux sur moi se sont bien exercés! Qu'ils m'ont vendu bien cher les pleurs qu'ils ont
De combien de remords m'ont-ils rendu la proie! Je souffre tous les maux que j'ai faits devant Troie. Vaincu, chargé de fers, de regrets consumé, Brûlé de plus de feux que je n'en allumai, Tant de soins, tant de pleurs, tant d'ardeursinquietes... Hélas! fus-je jamais si cruel que vous l'êtes? Mais enfin, tour-à-tour, c'est assez nous punir; Nos ennemis communs devroient nous réunir: Madame, dites-moi seulement que j'espere, Je vous rends votre fils, et je lui sers de pere ; Je l'instruirai moi-même à venger les Troyens; J'irai punir les Grecs de vos maux et des miens. Animé d'un regard, je puis tout entreprendre: Votre Ilion encor peut sortir de sa cendre; Je puis, en moins de temps que les Grecs ne l'ont pris, Dans ses murs relevés couronner votre fils.
Seigneur, tant de grandeurs ne nous touchent plus
Je les lui promettois tant qu'a vécu son pere. Non, vous n'espérez plus de nous revoir encór, Sacrés murs, que n'a pu conserver mon Hector! A de moindres faveurs des malheureux prétendent, Seigneur; c'est un exil que mes pleurs vous demandent: Souffrez que, loin des Grecs, et même loin de vous, J'aille cacher mon fils, et pleurer mon époux. Votre amour contre nous allume trop de haine: Retournez, retournez à la fille d'Hélene.
Et le puis-je, madame? Ah! que vous me gênez!
Comment lui rendre un cœur que vous me retenez? Je sais que de mes vœux on lui promit l'empire: Je sais que pour régner elle vint dans l'Epire : Le sort vous y voulut l'une et l'autre amener, Vous, pour porter des fers, elle, pour en donner. Cependant ai-je pris quelque soin de lui plaire? Et ne diroit-on pas, en voyant au contraire Vos charmes tout-puissants, et les siens dédaignés, Qu'elle est ici captive, et que vous y régnez? Ah! qu'un seul des soupirs que mon cœur vous envoie, S'il s'échappoit vers elle, y porteroit de joie!
Et pourquoi vos soupirs seroient-ils repoussés? Auroit-elle oublié vos services passés? Troie, Hector, contre vous révoltent-ils son ame? Aux cendres d'un époux doit-elle enfin sa flamme? Et quel époux encore! Ah! souvenir cruel! Sa mort seule a rendu votre pere immortel; Il doit au sang d'Hector tout l'éclat de ses armes : Et vous n'êtes tous deux connus que par mes larmes.
Hé bien, ımadame, hé bien, il faut vous obéir : Il faut vous oublier, ou plutôt vous haïr. Oui, mes vœux ont trop loin poussé leur violence Pour ne plus s'arrêter que dans l'indifférence : Songez-y bien; il faut désormais que mon cœur, S'il n'aime avec transport, haïsse avec fureur. Je n'épargnerai rien dans ma juste colere: Le fils me répondra des mépris de la mere; La Grece le demande; et je ne prétends pas Mettre toujours ma gloire à sauver des ingrats.
Hélas! il mourra done! il n'a pour sa défense Que les pleurs de sa mere, et que son innocence.... Et peut-être après tout, en l'état où je suis, Sa mort avancera la fin de mes ennuis:
J'abandonne en ces lieux une beauté si rare? Mais vous-même plutôt voulez-vous renoncer Au tròne de l'Asie où je vous veux placer?
Seigneur, vous le savez, je dépends de mon frere.
Ah! s'il disposoit seul du bonheur que j'espere, Tout l'empire de l'Inde asservi sous ses lois Bientôt en ma faveur iroit briguer son choix.
Mon amitié pour lui n'est point intéressée. Appaisez seulement une reine offensée; Et ne permettez pas qu'un rival aujourd'hui, Pour vous avoir bravé, soit plus heureux que lui,
Porus étoit sans doute un rival magnanime: Jamais tant de valeur n'attira mon estime. Dans l'ardeur du combat je l'ai vu, je l'ai joint; Et je puis dire encor qu'il ne m'évitoit point : Nous nous cherchions l'un l'autre. Une fierté si belle Alloit entre nous deux finir notre querelle, Lorsqu'un gros de soldats, se jetant entre nous, Nous a fait dans la foule ensevelir nos coups.
Hé bien! ramene-t-on ce prince téméraire?
On le cherche par-tout; mais quoi qu'on puisse faire, Seigneur, jusques ici sa fuite ou son trépas Dérobe ce captif aux soins de vos soldats.
Mais un reste des siens entourés dans leur fuite,
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