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SCENE IV.

OREST E.

Que vois-je? est-ce Hermione? Et que viens-je d'en=

tendre?

Pour qui coule le sang que je viens de répandre?
Je suis, si je l'en crois, un traître, un assassin.
Est-ce Pyrrhus qui meurt? et suis-je Oreste enfin?
Quoi! j'étouffe en mon cœur la raison qui m'éclaire;
J'assassine à regret un roi que je révere;
Je viole en un jour les droits des souverains,
Ceux des ambassadeurs, et tous ceux des humains,
Ceux même des autels où ma fureur l'assiege;
Je deviens parricide, assassin, sacrilege;
Pour qui? pour une ingrate à qui je le promets,
Qui même, s'il ne meurt, ne me verra jamais,
Dont j'épouse la rage : et quand je l'ai servie,
Elle me redemande et son sang et sa vie!
Elle l'aime! et je suis un monstre furieux !
Je la vois pour jamais s'éloigner de mes yeux!
Et l'ingrate en fuyant me laisse pour salaire
Tous les noms odieux que j'ai pris pour lui plaire!

SCENE V.

ORESTE, PYLADE, SOLDATS D'ORESTE.

PYLADE.

Il faut partir, seigneur. Sortons de ce palais,
Ou bien résolvons-nous de n'en sortir jamais.
Nos Grecs pour un moment en défendent la porte :
Tout le peuple assemblé nous poursuit à main forte.
Aux ordres d'Andromaque ici tout est soumis;
Ils la traitent en reine, et nous comme ennemis.

Andromaque elle-même, à Pyrrhus si rebelle,
Lui rend tous les devoirs d'une veuve fidele,
Commande qu'on le venge; et peut-être sur nous
Veut venger Troie encore et son premier époux.
Allons, n'attendons pas que l'on nous environne;
Nos Grecs nous rejoindront: et tandis qu'Hermione
Tient encore le peuple autour d'elle arrêté,
Voilà notre chemin, sortons en sûreté.

ORESTE.

Non, non, c'est Hermione, amis, que je veux sui

vre,

A son dernier arrêt je ne puis plus survivre;
Partez: j'ai fait le crime, et je vais l'expier.

PYLADE.

Hermione, seigneur? il la faut oublier.
Quoi! toujours l'instrument et l'objet de sa rage,
Cherchez-vous chez les morts quelque nouvel ou-

trage?

Et parcequ'elle meurt faut-il que vous mouriez?

ORESTE.

Elle meurt! dieux! qu'entends-je!

PYLADE.

Hé quoi! vous l'ignoriez?

En rentrant dans ces lieux nous l'avons rencontrée
Qui couroit vers le temple, inquiete, égarée.
Elle a trouvé Pyrrhus porté sur des soldats
Que son sang excitoit à venger son trépas.
Sans doute à cet objet sa rage s'est émue.
Mais du haut de la porte enfin nous l'avons vue
Un poignard à la main sur Pyrrhus se courber,
Lever les yeux au ciel, se frapper, et tomber.

ORESTE.

Grace aux dieux, mon malheur passe mon espé

rance!

Oui, je te loue, ò ciel, de ta persévérance:

Appliqué sans relâche au soin de me punir,
Au comble des douleurs tu m'as fait parvenir:
Ta haine a pris plaisir à former ma misere;
J'étois né pour servir d'exemple à ta colere,
Pour être du malheur un modele accompli :
Hé bien! je meurs content, et mon sort est rempli.
Où sont ces deux amants? Pour couronner ma joie,
Dans leur sang, dans le mien, il faut que je me noie;
L'un et l'autre en mourant je les veux regarder:
Réunissons trois cœurs qui n'ont pu s'accorder.
Mais quelle épaisse nuit tout-à-coup m'environne?
De quel côté sortir? D'où vient que je frissonne?
Quelle horreur me saisit? Grace au ciel, j'entrevoi...
Dieux! quels ruisseaux de sang coulent autour de

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Quoi! Pyrrhus, je te rencontre encore !

Trouverai-je par-tout un rival que j'abhorre?
Percé de tant de coups, comment t'es-tu sauvé?
Tiens, tiens, voilà le coup que je t'ai réservé.
Mais que vois-je ? A mes yeux Hermione l'embrasse!
Elle vient l'arracher au coup qui le menace!
Dieux! quels affreux regards elle jette sur moi !
Quels démons, quels serpents traîne-t-elle après soi!
Hé bien! filles d'enfer, vos mains sont-elles prêtes?
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos

têtes?

A qui destinez-vous l'appareil qui vous suit?
Venez-vous m'enlever dans l'éternelle nuit?
Venez, à vos fureurs Oreste s'abandonne.
Mais non, retirez-vous, laissez faire Hermione:
L'ingrate mieux que vous saura me déchirer;
Et je lui porte enfin mon cœur à dévorer.

PYLADE.

Il perd le sentiment. Amis, le temps nous presse ; Ménageons les moments que ce transport nous laisse. Sauvons-le. Nos efforts deviendroient impuissants S'il reprenoit ici sa rage avec ses sens.

FIN.

LES PLAIDEURS,

COMEDIE.

1668.

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