N'en doutons plus, Olympe, ils se vont égorger. Que l'on coure avertir et håter la princesse ; Je l'attends. Juste ciel, soutenez ma foiblesse! Il faut courir, Olympe, après ces inhumains; Il les faut séparer, ou mourir par leurs mains. Nous voici donc, hélas! à ce jour détestable Dont la seule frayeur me rendoit misérable! Ni prieres ni pleurs ne m'ont de rien servi; Et le courroux du sort vouloit être assouvi.
O toi, Soleil, ô toi, qui rends le jour au monde, Que ne l'as-tu laissé dans une nuit profonde ! A de si noirs forfaits prêtes-tu tes rayons? Et peux-tu sans horreur voir ce que nous voyons? Mais ces monstres, hélas! ne t'épouvantent gueres; La race de Laïus les a rendus vulgaires;
Tu peux voir sans frayeur les crimes de mes fils, Après ceux que le pere et la mere ont commis. Tu ne t'étonnes pas si mes fils sont perfides, S'ils sont tous deux méchants, et s'ils sont parricides; Tu sais qu'ils sont sortis d'un sang incestueux, Et tu t'étonnerois s'ils étoient vertueux.
JOCASTE, ANTIGONE, OLYMPE.
Ma fille, avez-vous su l'excès de nos miseres?
Oui, madame; on m'a dit la fureur de mes freres.
Allons, chere Antigone, et courons de ce pas Arrêter, s'il se peut, leurs parricides bras. Allons leur faire voir ce qu'ils ont de plus tendre ; Voyons si contre nous ils pourront se défendre,
Ou s'ils oseront bien, dans leur noire fureur, Répandre notre sang pour attaquer le leur.
Madame, c'en est fait, voici le roi lui-même.
JOCASTE, ETEOCLE, ANTIGONE, OLYMPE.
Olympe, soutiens-moi; ma douleur est extrême.
Madame, qu'avez-vous? et quel trouble...
Quelles traces de sang vois-je sur vos habits? Est-ce du sang d'un frere ? ou n'est-ce point du vôtre?
Non, madame, ce n'est ni de l'un ni de l'autre. Dans son camp jusqu'ici Polynice arrêté, Pour combattre, à mes yeux ne s'est point présenté. D'Argiens seulement une troupe hardie M'a voulu de nos murs disputer la sortie : J'ai fait mordre la poudre à ces audacieux; Et leur sang est celui qui paroît à vos yeux.
Mais que prétendiez-vous? et quelle ardeur soudaine Vous a fait tout-à-coup descendre dans la plaine ?
Madame, il étoit temps que j'en usasse ainsi, Et je perdois ma gloire à demeurer ici. Le peuple, à qui la faim se faisoit déja craindre, De mon peu de vigueur commençoit à se plaindre, Me reprochant déja qu'il m'avoit couronné, Et que j'occupois mal le rang qu'il m'a donné.
Il le faut satisfaire; et, quoi qu'il en arrive, Thebes dès aujourd'hui ne sera plus captive : Je veux, en n'y laissant aucun de mes soldats, Qu'elle soit seulement juge de nos combats. J'ai des forces assez pour tenir la campagne; Et si quelque bonheur nos armes accompagne, L'insolent Polynice et ses fiers alliés
Laisseront Thebes libre, ou mourront à mes pieds.
Vous pourriez d'un tel sang, oh ciel! souiller vos armes? La couronne pour vous a-t-elle tant de charmes? Si par un parricide il la falloit gagner,
Ah mon fils! à ce prix voudriez-vous régner ? Mais il ne tient qu'à vous, si l'honneur vous anime, De nous donner la paix sans le secours d'un crime, Et, de votre conrroux triomphant aujourd'hui, Contenter votre frere, et régner avec lui.
Appelez-vous régner partager ma couronne, Et céder lâchement ce que mon droit me donne ?
Vous le savez, mon fils, la justice et le sang Lui donnent, comme à vous, sa part à ce haut rang: OEdipe, en achevant sa triste destinée, Ordonna que chacun régneroit son année ; Et, n'ayant qu'un état à mettre sous vos lois, Voulut que tour-à-tour vous fussiez tous deux rois. A ces conditions vous daignates souscrire. Le sort vous appela le premier à l'empire, Vous montates au trône; il n'en fut point jaloux: Et vous ne voulez pas qu'il y monte après vous! ÉTÉOCLE.
Non, madame; à l'empire il ne doit plus prétendre: Thebes à cet arrêt n'a point voulu se rendre ; Et, lorsque sur le trône il s'est voulu placer, C'est elle, et non pas moi, qui l'en a su chasser.
Thebes doit-elle moins redouter sa puissance, Après avoir six mois senti sa violence ? Voudroit-elle obéir à ce prince inhumain, Qui vient d'armer contre elle et le fer et la faim ? Prendroit-elle pour roi l'esclave de Mycene, Qui pour tous les Thébains n'a plus que de la haine, Qui s'est au roi d'Argos indignement soumis, Et que l'hymen attache à nos fiers ennemis? Lorsque le roi d'Argos l'a choisi pour son gendre, Il espéroit par lui de voir Thebes en cendre. L'amour eut peu de part à cet hymen honteux ; Et la seule fureur en alluma les feux. Thebes m'a couronné pour éviter ses chaînes ; Elle s'attend par moi de voir finir ses peines : Il la faut accuser si je manque de foi; Et je suis son captif, je ne suis pas son roi.
Dites, dites plutôt, cœur ingrat et farouche, Qu'auprès du diadême il n'est rien qui vous touche. Mais je me trompe encor; ce rang ne vous plaît pas, Et le crime tout seul a pour vous des appas. Hé bien! puisqu'à ce point vous en êtes avide, Je vous offre à commettre un double parricide : Versez le sang d'un frere; et, si c'est peu du sien, Je vous invite encore à répandre le mien. Vous n'aurez plus alors d'ennemis à soumettre, D'obstacle à surmonter, ni de crime à commettre; Et, n'ayant plus au trône un fâcheux concurrent, De tous les criminels vous serez le plus grand.
Hé bien, madame, hé bien, il faut vous satisfaire; Il faut sortir du trône, et couronner mon frere; Il faut, pour seconder votre injuste projet, De son roi que j'étois, devenir son sujet; Et, pour vous élever au comble de la joie, Il faut à sa fureur que je me livre en proie;
Il faut par mon trépas....
Ah ciel! quelle rigueur! Que vous pénétrez mal dans le fond de mon cœur! Je ne demande pas que vous quittiez l'empire ; Régnez toujours, mon fils, c'est ce que je desire. Mais si tant de malheurs vous touchent de pitié, Si pour moi votre cœur garde quelque amitié, Et si vous prenez soin de votre gloire même, Associez un frere à cet honneur suprême: Ce n'est qu'un vain éclat qu'il recevra de vous; Votre regne en sera plus puissant et plus doux; Les peuples, admirant cette vertu sublime, Voudront toujours pour prince un roi si magnanime; Et cet illustre effort, loin d'affoiblir vos droits, Vous rendra le plus juste et le plus grand des rois. Ou, s'il faut que mes vœux vous trouvent inflexible, Si la paix à ce prix vous paroît impossible, Et si le diadême a pour vous tant d'attraits, Au moins consolez-moi de quelque heure de paix : Accordez cette grace aux larmes d'une mere. Et cependant, mon fils, j'irai voir votre frere ; La pitié dans son ame aura peut-être lieu; Ou du moins pour jamais j'irai lui dire adieu. Dès ce même moment permettez que je sorte : J'irai jusqu'à sa tente, et j'irai sans escorte ; Par mes justes soupirs j'espere l'émouvoir.
Madame, sans sortir vous le pouvez revoir; Et si cette entrevue a pour vous tant de charmes, Il ne tiendra qu'à lui de suspendre nos armes. Vous pouvez dès cette heure accomplir vos souhaits, Et le faire venir jusques dans ce palais. J'irai plus loin encore; et, pour faire connoître Qu'il a tort en effet de me nommer un traître, Et que je ne suis pas un tyran odieux,
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