Que l'on fasse parler et le peuple et les dieux. Si le pèuple y consent, je lui cede ma place ; Mais qu'il se rende enfin, si le peuple le chasse. Je ne force personne; et j'engage ma foi
De laisser aux Thébains à se choisir un roi.
JOCASTE, ETEOCLE, ANTIGONE,
Seigneur, votre sortie a mis tout en alarmes, Thebes, qui croit vous perdre, est déja tout en larmes, L'épouvante et l'horreur regnent de toutes parts, Et le peuple effrayé tremble sur ses remparts.
Cette vaine frayeur sera bientôt calmée. Madame, je m'en vais retrouver mon armée; Cependant vous pouvez accomplir vos souhaits, Faire entrer Polynice, et lui parler de paix. Créon, la reine ici commande en mon absence; Disposez tout le monde à son obéissance; Laissez, pour recevoir et pour donner ses lois, Votre fils Ménécée, et j'en ai fait le choix : Comme il a de l'honneur autant que de courage, Ce choix aux ennemis ôtera tout ombrage, Et sa vertu suffit pour les rendre assurés.
Commandez-lui, madame. Et vous, vous me suivrez.
Oui, Créon, la chose est résolue.
Et vous quittez ainsi la puissance absolue ?
Que je la quitte, ou non, ne vous tourmentez pas; Faites ce que j'ordonne, et venez sur mes pas.
JOCASTE, ANTIGONE, CREON, OLYMPE.
Qu'avez-vous fait, madame? et par quelle conduite Forcez-vous un vainqueur à prendre ainsi la fuite?
Ce conseil va tout perdre.
Et par ce seul conseil Thebes se peut sauver.
Eh quoi, madame, éh quoi! dans l'état où nous sommes, Lorsqu'avec un renfort de plus de six mille hommes La fortune promet toute chose aux Thébains, Le roi se laisse ôter la victoire des mains!
La victoire, Créon, n'est pas toujours si belle ; La honte et les remords vont souvent après elle. Quand deux freres armés vont s'égorger entre eux, Ne les pas séparer, c'est les perdre tous deux. Peut-on faire au vainqueur une injure plus noire, Que lui laisser gagner une telle victoire ?
Leur courroux est trop grand....
Tous deux veulent régner.
On ne partage point la grandeur souverainē; Et ce n'est pas un bien qu'on quitte et qu'on reprenne.
L'intérêt de l'état leur servira de loi.
L'intérêt de l'état est de n'avoir qu'un roi, Qui, d'un ordre constant gouvernant ses provinces, Accoutume à ses lois et le peuple et les princes. Ce regne interrompu de deux rois différents, En lui donnant deux rois, lui donne deux tyrans. Par un ordre souvent l'un à l'autre contraire Un frere détruiroit ce qu'auroit fait un frere: Vous les verriez toujours former quelque attentat, Et changer tous les ans la face de l'état. Ce terme limité que l'on veut leur prescrire Accroît leur violence en bornant leur empire. Tous deux feront gémir les peuples tour-à-tour: Pareils à ces torrents qui ne durent qu'un jour; Plus leur cours est borné, plus ils font de ravage, Et d'horribles dégâts signalent leur passage.
On les verroit plutôt, par de nobles projets, Se disputer tous deux l'amour de leurs sujets. Mais avouez, Créon, que toute votre peine C'est de voir que la paix rend votre attente vaine; Qu'elle assure à mes fils le trône où vous tendez, Et va rompre le piege où vous les attendez. Comme, après leur trépas, le droit de la naissance Fait tomber en vos mains la suprême puissance, Le sang qui vous unit aux deux princes mes fils Vous fait trouver en eux vos plus grands eunemis; Et votre ambition, qui tend à leur fortune, Vous donne pour tous deux une haine commune. Vous inspirez au roi vos conseils dangereux, Et vous en servez un pour les perdre tous deux.
Je ne me repais point de pareilles chimeres : Mes respects pour le roi sont ardents et sinceres; Et mon ambition est de le maintenir
Au trône où vous croyez que je veux parvenir. Le soin de sa grandeur est le seul qui m'anime ; Je hais ses ennemis, et c'est là tout mon crime : Je ne m'en cache point. Mais, à ce que je voi, Chacun n'est pas ici criminel comme moi.
Je suis mere, Créon; et, si j'aime son frere, La personne du roi ne m'en est pas moins chere. De lâches courtisans peuvent bien le haïr; Mais une mere enfin ne peut pas se trahir.
Vos intérêts ici sont conformes aux nôtres, Les ennemis du roi ne sont pas tous les vôtres; Créon, vous êtes pere, et, dans ces ennemis, Peut-être songez-vous que vous avez un fils. On sait de quelle ardeur Hémon sert Polynice. CRÉON.
Oui, je le sais, madame, et je lui fais justice; Je le dois, en effet, distinguer du commun, Mais c'est pour le haïr encor plus que pas un : Et je souhaiterois, dans ma juste colere, Que chacun le haït comme le hait son pere.
Après tout ce qu'a fait la valeur de son bras, Tout le monde en ce point ne vous ressemble pas. CRÉON.
Je le vois bien, madame, et c'est ce qui m'afflige: Mais je sais bien a quoi sa révolte m'oblige; Et tous ces beaux exploits qui le font admirer, C'est ce qui me le fait justement abhorrer. La honte suit toujours le parti des rebelles : Leurs grandes actions sont les plus criminelles,
Ils signalent leur crime en signalant leur bras; Et la gloire n'est point où les rois ne sont pas.
Ecoutez un peu mieux la voix de la nature.
Plus l'offenseur m'est cher, plus je ressens l'injure.
Mais un pere à ce point doit-il être emporté?
C'est trop parler, madame, en faveur d'un rebelle.
L'innocence vaut bien que l'on parle pour elle.
Je sais ce qui le rend innocent à vos yeux.
Et je sais quel sujet vous le rend odieux.
L'Amour a d'autres yeux que le commun des hommes.
Vous abusez, Créon, de l'état où nous sommes; Tout vous semble permis: mais craignez mon cour=
Vos libertés enfin retomberoient sur vous.
L'intérêt du public agit peu sur son ame, Et l'amour du pays nous cache une autre flamme. Je la sais: mais, Créon, j'en abhorre le cours; Et vous ferez bien mieux de la cacher toujours. CRÉON.
Je le ferai, madame; et je veux par avance Vous épargner encor jusques à ma présence. Aussi-bien mes respects redoublent vos mépris ; Et je vais faire place à ce bienheureux fils. Le roi m'appelle ailleurs, il faut que j'obéisse.
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