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Ne le soumettez pas à ce prince farouche:
Si la paix se peut faire, il la veut comme moi;
Sur-tout, si vous l'aimez, conservez-lui son roi.
Cependant écoutez le prince votre frere,
Et, s'il se peut, seigneur, cachez votre colere;
Feignez... Mais quelqu'un vient.

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Oui, seigneur, les voici.

Ils ont trouvé d'abord la princesse et la reine;

Et bientôt ils seront dans la chambre prochaine.

ÉTÉOGLE.

Qu'ils entrent. Cette approche excite mon courroux. Qu'on hait un ennemi quand il est près de nous!

CREON.

Ah! le voici. (à part.) Fortune, acheve mon ouvrage, Et livre-les tous deux aux transports de leur rage!

SCENE III.

JOCASTE, ETEOCLE, POLYNICE, ANTIGONE, HEMON, CREON.

JOCASTE.

Me voici donc tantôt au comble de mes vœux, Puisque déja le ciel vous rassemble tous deux. Vous revoyez un frere, après deux ans d'absence, Dans ce même palais où vous prîtes naissance:

Et moi, par un bonheur où je n'osois penser,
L'un et l'autre à-la-fois je vous puis embrasser.
Commencez donc, mes fils, cette union si chere;
Et que chacun de vous reconnoisse son frere:
Tous deux dans votre frere envisagez vos traits;
Mais, pour en mieux juger, voyez-les de plus près.
Sur-tout que le sang parle et fasse son office.
Approchez, Etéocle; avancez, Polynice....
Hé quoi! loin d'approcher, vous reculez tous deux!
D'où vient ce sombre accueil et ces regards fâcheux?
N'est-ce point que chacun, d'une ame irrésolue,
Pour saluer son frere attend qu'il le salue;
Et qu'affectant l'honneur de céder le dernier,
L'un ni l'autre ne veut s'embrasser le premier?
Etrange ambition qui n'aspire qu'au crime,
Où le plus furieux passe pour magnanime!
Le vainqueur doit rougir en ce combat honteux;
Et les premiers vaincus sont les plus généreux.
Voyons donc qui des deux aura plus de courage,
Qui voudra le premier triompher de sa rage....
Quoi! vous n'en faites rien ! C'est à vous d'avancer,
Et, venant de si loin, vous devez commencer;
Commencez, Polynice, embrassez votre frere;
Et inontrez....

ÉTÉOCLE.

Hé, madame! à quoi bon ce mystere? Tous ces embrassements ne sont guere à propos : Qu'il parle, qu'il s'explique, et nous laisse en repos.

POLYNICE.

Quoi! faut-il davantage expliquer mes pensées?
On les peut découvrir par les choses passées:
La guerre, les combats, tant de sang répandu,
Tout cela dit assez que le trône m'est dû.

ÉTÉOCLE.

Et ces mêmes combats, et cette même guerre,

Ce sang qui tant de fois a fait rougir la terre,
Tout cela dit assez que le trône est à moi;
Et, tant que je respire, il ne peut être à toi.

POLYNICE.

Tu sais qu'injustement tu remplis cette place.
ÉTÉOCLE.

L'injustice me plaît pourvu que je t'en chasse.

POLYNICE.

Si tu n'en veux sortir, tu pourras en tomber.

ÉTÉOGLE.

Si je tombe, avec moi tu pourras succomber.

JOCASTE.

Oh dieux! que je me vois cruellement déçue!
N'avois-je tant pressé cette fatale vue,
Que pour les désunir encor plus que jamais ?
Ah mes fils! est-ce là comme on parle de paix ?
Quittez, au nom des dieux, ces tragiques pensées;
Ne renouvelez point vos discordes passées :
Vous n'êtes pas ici dans un champ inhumain,
Est-ce moi qui vous mets les armes à la main?
Considérez ces lieux où vous prîtes naissance;
Leur aspect sur vos cœurs n'a-t-il point de puissance?
C'est ici que tous deux vous reçûtes le jour;
Tout ne vous parle ici que de paix et d'amour :
Ces princes, votre sœur, tout condamne vos haínes;
Enfin moi, qui pour vous pris toujours tant de peines,
Qui, pour vous réunir, immolerois.... Hélas!
Ils détournent la tête, et ne m'écoutent pas !
Tous deux pour s'attendrir ils ont l'ame trop dure;
Ils ne connoissent plus la voix de la nature!

(à Polynice.)

Et vous, que je croyois plus doux et plus soumis....

POLYNICE.

Je ne veux rien de lui que ce qu'il m'a promis :
Il ne sauroit régner sans se rendre parjure.

JOCASTE.

Une extrême justice est souvent une injure.
Le trône vous est dû, je n'en saurois douter;
Mais vous le renversez en voulant y monter.
Ne vous lassez-vous point de cette affreuse guerre?
Voulez vous sans pitié désoler cette terre,
Détruire cet empire afin de le gagner?

Est-ce donc sur des morts que vous voulez régner ?
Thebes avec raison craint le regne d'un prince
Qui de fleuves de sang inonde sa province :
Voudroit-elle obéir à votre injuste loi?
Vous êtes son tyran avant qu'être son roi.
Dieux! si devenant grand souvent on devient pire,
Si la vertu se perd quand on gagne l'empire,
Lorsque vous régnerez, que serez-vous, hélas!
Si vous êtes cruel quand vous ne régnez pas ?

POLYNICE.

Ah! si je suis cruel, on me force de l'être;
Et de mes actions je ne suis pas le maître.
J'ai honte des horreurs où je me vois contraint;
Et c'est injustement que le peuple me craint.
Mais il faut en effet soulager ma patrie;
De ses gémissements mon ame est attendrie.
Trop de sang innocent se verse tous les jours;
Il faut de ses malheurs que j'arrête le cours;
Ft, sans faire gémir ni Thebes ni la Greçe,
A l'auteur de mes maux il faut que je m'adresse:
Il suffit aujourd'hui de son sang ou du mien.

JOCASTE.

Du sang de votre frere?

POLYNICE.

Oui, madame, du sien:

Il faut finir ainsi cette guerre inhumaine.
Oui, cruel, et c'est là le dessein qui m'amene;
Moi-même à ce combat j'ai voulu t'appeler:

A tout autre qu'à toi je craignois d'en parler;
Tout autre auroit voulu condamner ma pensée,
Et personne en ces lieux ne te l'eût annoncée.
Je te l'annonce donc. C'est à toi de prouver
Si ce que tu ravis tu le sais conserver.
Montre-toi digne enfin d'une si belle proie.
ÉTÉOCLE.

J'accepte ton dessein, et l'accepte avec joie;
Créon sait là-dessus quel étoit mon desir :
J'eusse accepté le trône avec moins de plaisir.
Je te crois maintenant digne du diademe;
Je te le vais porter au bout de ce fer même.

JOCASTE.

Hatez-vous donc, cruels, de me percer le sein,
Et commencez par moi votre horrible dessein:
Ne considérez point que je suis votre mere,
Considérez en moi celle de votre frere.
Si de votre ennemi vous recherchez le sang,
Recherchez-en la source en ce malheureux flanc,
Je suis de tous les deux la commune ennemie,
Puisque votre ennemi reçut de moi la vie;
Cet ennemi, sans moi, ne verroit pas le jour.
S'il meurt, ne faut-il pas que je meure à mon tour?
N'en doutez point, sa mort me doit être commune;
Il faut en donner deux, ou n'en donner pas une;
Et, sans être ni doux ni cruel à demi,

Il faut me perdre, ou bien sauver votre ennemi.
Si la vertu vous plaît, si l'honneur vous anime,
Barbares, rougissez de commettre un tel crime:
Ou si le crime, enfin, vous plaît tant à chacun,
Barbares, rougissez de n'en commettre qu'un.
Aussi-bien, ce n'est point que l'amour vous retienne,
Si vous sauvez ma vie en poursuivant la sienne ;
Vous vous garderiez bien, cruels, de m'épargner,
Si je vous empêchois un moment de régner.

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