A quor te résous-tu, princesse infortunée?
Ta mere vient de mourir dans tes bras; Ne saurois-tu suivre ses pas,
Et finir, en mourant, ta triste destinée? A de nouveaux malheurs te veux-tu réserver? Tes freres sont aux mains, rien ne les peut sauver
De leurs cruelles armes.
Leur exemple t'anime à te percer le flanc; Et toi seule verses des larmes, Tous les autres versent du sang.
Quelle est de mes malheurs l'extrémité mortelle ! Où ma douleur doit-elle recourir?
Dois-je vivre ? dois-je mourir?
Un amant me retient, une mere m'appelle ; Dans la nuit du tombeau je la vois qui m'attend: Ce que veut la raison, l'amour me le défend,
Et m'en ôte l'envie. Que je vois de sujets d'abandonner le jour! Mais, hélas! qu'on tient à la vie, Quand on tient si fort à l'amour!
Oui, tu retiens, amour, mon ame fugitive; Je reconnois la voix de mon vainqueur : L'espérance est morte en mon cœur, Et cependant tu vis, et tu veux que je vive;
Tu dis que mon amant me suivroit au tombeau, Que je dois de mes jours conserver le flambeau Pour sauver ce que j'aime.
Hémon, vois le pouvoir que l'amour a sur moi: Je ne vivrois pas pour moi-même, Et je veux bien vivre pour toi.
Si jamais tu doutas de ma flamme fidele.... Mais voici du combat la funeste nouvelle.
Hé bien, ma chere Olympe, as-tu vu ce forfait?
J'y suis courue en vain, c'en étoit déja fait. Du haut de nos remparts j'ai vu descendre en larmes Le peuple qui couroit et qui crioit aux armes; Et pour vous dire enfin d'où venoit sa terreur, Le roi n'est plus, madame, et son frere est vainqueur. On parle aussi d'Hémon; l'on dit que son courage S'est efforcé long-temps de suspendre leur rage, Mais que tous ses efforts ont été superflus.
C'est ce que j'ai compris de mille bruits confus.
Ah! je n'en doute pas, Hémon est magnanime; Son grand cœur eut toujours trop d'horreur pour le
Je l'avois conjuré d'empêcher ce forfait;
Et s'il l'avoit pu faire, Olympe, il l'auroit fait. Mais, hélas! leur fureur ne pouvoit se contraindre; Dans des ruisseaux de sang elle vouloit s'éteindre. Princes dématurés, vous voilà satisfaits;
La mort seule entre vous pouvoit mettre la paix.
Le trône pour vous deux avoit trop peu de place; Il falloit entre vous mettre un plus grand espace, Et que le ciel vous mît, pour finir vos discords, L'un parmi les vivants, l'autre parmi les morts. Infortunés tous deux, dignes qu'on vous déplore! Moins malheureux pourtant que je ne suis encore, Puisque de tous les maux qui sont tombés sur vous Vous n'en sentez aucun, et que je les sens tous!
Mais pour vous ce malheur est un moindre supplice Que si la mort vous eût enlevé Polynice;
Ce prince étoit l'objet qui faisoit tous vos soins : Les intérêts du roi vous touchoient beaucoup moins.
Il est vrai, je l'aimois d'une amitié sincere;
Je l'aimois beaucoup plus que je n'aimois son frere : Et ce qui lui donnoit tant de part dans mes vœux, Il étoit vertueux, Olympe, et malheureux. Mais, hélas! ce n'est plus ce cœur si magnanime, Et c'est un criminel qu'a couronné son crime: Son frere plus que lui commence à me toucher; Devenant malheureux, il m'est devenu cher.
Il est triste; et j'en connois la cause: Au courroux du vainqueur la mort du roi l'expose. C'est de tous nos malheurs l'auteur pernicieux.
ANTIGONE, CREON, OLYMPE,
ATTALE, GARDES.
Madame, qu'ai-je appris en entrant dans ces lieux? Est-il vrai que la reine....
ANTIGONE.
Oui, Créon, elle est morte.
Oh dieux! puis-je savoir de quelle étrange sorte Ses jours infortunés ont éteint leur flambeau?
Elle-même, seigneur, s'est ouvert le tombeau; Et s'étant d'un poignard en un moment saisie, Elle en a terminé ses malheurs et sa vie.
Elle a su prévenir la perte de son fils.
Ah madame! il est vrai que les dieux ennemis....
N'imputez qu'à vous seul la mort du roi mon frere, Et n'en accusez point la céleste colere.
A ce combat fatal vous seul l'avez conduit: Il a cru vos conseils; sa mort en est le fruit. Ainsi de leurs flatteurs les rois sont les victimes; Vous avancez leur perte en approuvant leurs crimes: De la chûte des rois vous êtes les auteurs; Mais les rois, en tombant, entraînent leurs flatteurs. Vous le voyez, Créon; sa disgrace mortelle Vous est funeste autant qu'elle nous est cruelle: Le ciel, en le perdant, s'en est vengé sur vous; Et vous avez peut-être à pleurer comme nous.
Madame, je l'avoue; et les destins contraires Me font pleurer deux fils, si vous pleurez deux freres.
Mes freres et vos fils! dieux! que veut ce discours? Quelque autre qu'Etéocle a-t-il fini ses jours?
Mais ne savez-vous pas cette sanglante histoire ?
J'ai su que Polynice a gagné la victoire,
Et qu'Hémon a voulu les séparer en vain.
Madame, ce combat est bien plus inhumain. Vous ignorez encor mes pertes et les vôtres; Mais, hélas! apprenez les unes et les autres.
Rigoureuse fortune, acheve ton courroux! Ah! sans doute, voici le dernier de tes coups! CREON.
Vous avez vu, madame, avec quelle furie Les deux princes sortoient pour s'arracher la vie; Que d'une ardeur égale ils fuyoient de ces lieux, Et que jamais leurs cœurs ne s'accorderent mieux. La soif de se baigner dans le sang de leur frere Faisoit ce que jamais le sang n'avoit su faire: Par l'excès de leur haine ils sembloient réunis, Et, prêts à s'égorger, ils paroissoient amis. Ils ont choisi d'abord, pour leur champ de bataille, Un lieu près des deux camps, au pied de la muraille. C'est là que, reprenant leur premiere fureur, Ils commencent enfin ce combat plein d'horreur. D'un geste menaçant, d'un œil brûlant de rage, Dans le sein l'un de l'autre ils cherchent un passage; Et, la seule fureur précipitant leurs bras, Tous deux semblent courir au-devant du trépas. Mon fils, qui de douleur en soupiroit dans l'ame, Et qui se souvenoit de vos ordres, madame, Se jette au milieu d'eux, et méprise pour vous Leurs ordres absolus qui nous arrêtoient tous. Il leur retient le bras, les repousse, les prie, Et pour les séparer s'expose à leur furie: Mais il s'efforce en vain d'en arrêter le cours; Et ces deux furieux se rapprochent toujours. Il tient ferme pourtant, et ne perd point courage; De mille coups mortels il détourne l'orage, Jusqu'à ce que du roi le fer trop rigoureux,
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