Images de page
PDF
ePub

quel il avoit été invité par Esther) pour être conduit au supplice. L'action est donc continue? II faut, à la vérité, plus de tems pour son exécution que pour la représentation; mais si tout n'arrive pas le même jour, du moins, tout arrive dans l'espace de tems qu'Aristote prescrit, qui est celui d'un tour de soleil >>>

« Tous les rôles de cette Piece étoient distribués aux Demoiselles de Saint-Cyr, lorsque la jeune Comtesse de Caylus, qui avoit été élevée dans cette maison, et n'en étoit sortie que depuis peu de tems, témoigna une grande envie de faire quelque personnage, ce qui engagea l'Auteur à faire pour elle le Prologue, qui est trèsheureusement imaginé. Il ne ressemble point à ces Prologues d'Euripide, où tout ce qui doit arriver dans la Piece est froidement annoncé. C'est la Piété qui descend du Ciel et vient dans un séjour où habite l'innocence. Elle demande à Dieu de protéger le fondateur d'une si sainte Maison, un Roi qui a rassemblé ces timides colombes pour leur procurer l'abondance et la paix, un Roi qui est toujours plein du zele de la Religion. Les louanges du Roi mises dans la bouche de la Piété , sont bien différentes de toutes ces basses flatteries dont les Poëtes sont si prodigues. La versification de ce Prologue est d'une grande noblesse.... >>

Voici ce que dit encore Louis Racine, dans ses Mémoires sur la vie de son pere, à l'occasion de la jeune Comtesse de Caylus.

<< Cette aimable éleve de Saint-Cyr exécuta le Prologue de la Piété, fait pour elle, et plusieurs fois le rôle d'Esther. Par les charmes de sa personne et de sa déclamation, elle contribua au succès de cette l'iece, dont elle a parlé, dans le Recueil qu'elle fit un an avant sa mort, et qu'elle intitula Mes souvenirs, parce qu'elle y rassembla ce que lui rappela sa mémoire de plusieurs événemens arrivés, de son tems, à la Cour. C'est de ces Souvenirs, Recueil si estimé des personnes qui en ont connoissance, qu'est tiré le morceau suivant. Le style de Madame de Caylus rend ce morceau précieux. Je le dois à M. le Comte de Caylus, son fils, dont le zele officieux est connu de tout le monde. >>>

«Madame de Brinon, premiere supérieure de Saint-Cyr, aimoit les vers et la Comédie; et au défaut des Pieces de Corneille et de Racine, qu'elle

n'osoit faire jouer, elle en composoit de détesta

bles, à la vérité ; mais c'est

cependant,

à

elle et à son goût pour le Théatre qu'on doit les deux belles Pieces que Racine a faites pour SaintCyr. Madame de Brinon avoit de l'esprit et une faci

[ocr errors][merged small]

lité incroyable d'écrire et de parler, car elle faisoir aussi des especes de Sermons, fort éloquens; et tous les Dimanches, après la Messe, elle expliquoit l'Evangile, comme auroit fait M. Le Tourneux (célebre Prédicateur). Mais je viens à l'origine de la Tragédie de Saint-Cyr. Madame de Maintenon voulut voir une des Pieces de Madame de Brinon. Elle la trouva telle qu'elle étoit ; c'est-à-dire, si mauvaise qu'elle la pria de n'en plus faire jouer de semblables, et de prendre plutôt quclques belles Pieces de Corneille ou de Racine, choisissant seulement celles où il y auroit le moins d'amour. Les petites filles représenterent Cinna assez passablement pour des enfans qui n'avoient été formés au Théatre que par une vieille Religieuse. Elles jouerent aussi Andromaque; et soit que les Actrices en fussent mieux choisies, ou qu'elles commençassent à prendre des airs de la Cour, dont elles ne laissoient pas de voir, de tems en tems, ce qu'il y avoit de meilleur, cette Piece ne fut que trop bien représentée, au gre de Madame de Maintenon, et elle lui fit appréhender que cet amusement ne leur insinuât des sentimens opposés à ceux qu'elle vouloit leur inspirer. Cependant, comme elle étoit persuadée que ces sortes d'amusemens sont bons à la jeunesse ; qu'ils donnent de la grace, apprennent à mieux prononcer et cultivent la mémoire (car elle n'oublioit rien de tout ce qui pouvoit contribuer à l'éducation de ces Demoi selles, dont elle se croyoit, avec raison, particuliérement chargée), elle écrivit à Racine, après la représentation d'Andromaque: Nos petites filles viennent de jouer votre Andromaque, et l'ont si bien jouée qu'elles ne la joueront de leur vie, ni aucune autre de vos Pieces. Elle le pria, dans cette même lettre, de lui faire, dans ses momens de Loisir, quelqu'espece de Poëme moral, ou historique, dont l'amour fût entiérement banni, et dans lequel il ne crut pas que sa réputation fût intéressée, parce que la Piece resteroit ensevelie à Saint Cyr; ajoutant qu'il lui importoit peu que cet Ouvrage fût contre les regles, pourvu qu'il contribuât aux vues qu'elle avoit de divertir les Demoiselles de Saint-Cyr, en les instruisant. Cette lettre jetia Racine dans une grande agitation. Il vouloit plaire à Madame de Maintenon. Le refus étoit impossible à un courtisan, et la commission délicate pour un homme qui, comme lui, avoit une grande réputation à soutenir, et qui, s'il avoit renoncé à travailler pour les Comédiens, ne vouloit pas, du moins, détruire l'opinion que ses Ouvrages avoient donnée de lui. Despréaux, qu'il alla consulter, décida, brusquement, pour la négative. Ce n'étoit pas le compte de Racine. Enfin, après un peu de réflexions, il trouva dans le sujet d'Esther tout ce qu'il falloit pour plaire à la Cour. Despréaux, lui-même, en fut enchanté, et l'exhorta à travailler, avec autant de zele qu'il en avoit eu pour l'en détourner. »

« Racine ne fut pas long-tems sans porter à Madame de Maintenon, non-seulement le plan de sa Piece (car il avoit accoutumé de les faire en prose, scene pour scene, avant que d'en faire les vers), il porta le premier acte tout fait. Madame de Maintenon en fut charmée, et sa modestie ne put l'empêcher de trouver dans le caractere d'Esther, et dans quelques circonstances de ce sujet, des choses flatteuses pour elle. La Vasthi avoit ses applications, Aman des traits de ressemblance, et, indépendam

« PrécédentContinuer »