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ment de ces idées, l'histoire d'Esther convenoit parfaitement à Saint-Cyr. Les Chœurs, que Racine, à L'imitation des Grecs avoit toujours en vue de mettre sur la scene, se trouvoient placés naturellement dans Esther, et il étoit ravi d'avoir eu cette occasion de les faire connoître et d'en donner le goût. Enfin, je crois que si l'on fait attention au lieu, au tems et aux circonstances, on trouvera que Racine n'a pas moins marqué d'esprit en cette occasion que dans d'autres Ouvrages, plus beaux en euxmêmes. Esther fut représentée un an après la résolution que Madame de Maintenon avoit prise de ne plus laisser jouer de Pieces profanes à Saint-Cyr. Elle eut un si grand succès que le souvenir n'en est pas encore effacé. »

<< Jusques-là, il n'avoit point été question de moi, et on n'imaginoit pas que je dusse y représenter un rôle ; mais me trouvant présente aux récits que Racine venoit faire à Madame de Maintenon de chaque scene, à mesure qu'il les composoit, j'en retenois des vers; et comme j'en récitai un jour à Racine, il en fut si content qu'il demanda, en grace, à Madame de Maintenon de m'ordonner de faire un personnage: ce qu'elle fit. Mais je ne vou

lus point de ceux qu'on avoit déja destinés : ce qui l'obligea de faire pour moi le Prologue de sa Pieee. Cependant, ayant appris, à force de les entendre, tous les autres rôles, je les jouai successivement, à mesure qu'une des Actrices se trouvoit incommodée ; car on représenta Esther tout l'hiver, et cette Piece, qui devoit être renfermée dans Saint Cyr, fut vue plusieurs fois du Roi et de toute la Cour, toujours avec le même applaudissement. »

Racine le fils ajoute. « Ces Demoiselles avoient été formées à la déclamation par l'Auteur même, qui en fit d'excellentes Actrices. Pour cette raison, il étoit tous les jours, par ordre de Madame de Maintenon, dans la Maison de Saint-Cyr; et la mémoire qu'il y a laissée lui fait tant d'honneur qu'il m'est permis d'en parler. J'ose dire qu'elle y est chérie et respectée, à cause de l'admiration qu'eurent toutes ces Dames pour la douceur et la simplicité de ses mœurs...»

<< Des applications particulieres contribuerent encore au succès de la Tragédie d'Esther. Ces jeunes et tendres fleurs, transplantées (dit Esther scene premiere du premier acte, en parlant des filles de Sion) étoient représentées par les Demoi

selles de Saint-Cyr. La Vasthy, comme dit Madame de Caylus, avoit quelque ressemblance (avec Madame de Montespan). Cet Esther qui a puisé ses jours dans la race proscrite par Aman (dit Mardochée, dans la troisieme scene du même acte) avoit aussi sa ressemblance (avec Madame de Maintenon ). Quelques paroles échappées à un, Ministre ( M. de Louvois ) avoient, dit-on, donné lieu à ces vers: Il sait qu'il me doit tout, &c. (que dit Aman, en parlant d'Assuérus, dans la premiere scene du troisieme acte). On prétendoit aussi expliquer ces ténebres jettées sur les yeux les plus saints, dont il est parlé dans le Prologue; en sorte que l'Auteur avoit suivi l'exemple des Anciens, dont les Tragédies ont souvent rapport aux événemens de leur tems. » Louis Racine rapporte ensuite ces deux passages de Madame de Sévigné, dans lesquels (Lettres cinq cents douzieme et cinq cents seizieme) elle rend justice au mérite de cette Tragédie, et où elle raconte ainsi le succès qu'elle eut à la Cour. Le Roi et toute la Cour ont été charmés d'Esther, dit-elle. M. le Prince y a pleuré. Madame de Maintenon et huit Jésuites, dont étoit le Pere Gaillard (célebre Prédicateur et Directeur), ont honoré de leur présence la derniere représentation. Enfin, c'est un chef d'œuvre de Racine.... Il s'y est surpassé. Il aime Dieu comme il aimoit ses maîtresses. (Racine le fils observe que Madame de Sévigné n'auroit pu nommer d'autres maîtresses qu'eût eu son pere que Madame Champmêlé). Il est pour les choses saintes comme il étoit pour les profanes. La Sainte Ecriture est suivie exactement. Tout est beau; tout est grand, tout est écrit avec dignité. »

<<« Les grandes leçons que contient cette Tragédie pour les Rois, que leurs Ministres trompent souvent, continue Louis Racine; pour les Ministres, qu'aveugle leur fortune, et pour les innocens, qui, prêts à périr, voient le Ciel prendre leur défense; les applaudissemens réitérés de la Cour, et, sur-tout, ceux du Roi, qui honora plusieurs fois cette Piece de sa présence, devoient fermer la bouche aux critiques. Cependant elle fut vivement attaquée. Plusieurs même de ceux qui avoient répété si souvent dans leurs Epîtres dédicatoires, ou dans leurs Discours Académiques, que le Roi étoit au-dessus des autres

hommes, autant par la justesse de son esprit que par la grandeur de son rang, ne regarderent pas, dans cette occasion sa décision comme une loi pour eux. Je juge de la maniere dont cette Tragédie fut critiquée par une apologie qui en fut faite dans ce tems, et que j'ai trouvée, par hasard. >>>

« L'Auteur de cette apologie manuscrite (Louis Racine ne savoit apparamment pas le nom de l'Auteur de cette apologie d'Esther, puisqu'il ne nous l'apprend pas) après avoir avoué que le jugement du Public n'est pas favorable à la Piece, et qu'il est même déja un peu tard pour en appeler, entreprend de montrer qu'elle a été jugée sans examen, et que tout son mérite n'est pas connu. Après l'avoir relevée par la grandeur du sujet, par les caracteres et la régularité de la conduite, il s'arrête à faire observer ce que les connoisseurs y remarquerent d'abord ; cette maniere admirable et nouvelle de faire parler d'amour, en conservant à un sujet saint toute sa sainteté, et en conservant à Assuérus toute la majesté d'un Roi de Perse. L'amour s'accorde difficilement avec la fierté, encore plus difficilement avec la sagesse.

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