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pas faire, sur quelque sujet de piété et de marale, une espece de Poëme, où le chant fût mêlé avec le récit; le tout lié par une action qui rendît la chose plus vive et moins capable d'ennuyer.

Je leur proposai le sujet d'Esther, qui les frappa d'abord, cette histoire leur paroissant pleine de grandes leçons d'amour de Dieu, et de détar chement du monde, au milieu du monde même, et je crus, de mon côté, que je trouverois assez de facilité à traiter ce sujet, d'autant plus qu'il me sembla que, sans altérer aucune des circonstances tant soit peu considérables de l'EcritureSainte, ce qui seroit, à mon avis, une espece de sacrilége, je pourrois remplir toute mon action avec les seules scenes que Dieu lui-même, pour ainsi-dire, a préparées.

J'entrepris donc la chose, et je m'apperçus qu'en travaillant sur le plan qu'on m'avoit donné, j'exécutois, en quelque sorte, un dessein qui m'avoit souvent passé dans l'esprit, qui étoit de lier, comme dans les anciennes Tragédies Grecques, le Chœur et le chant avec l'action et d'employer à chanter les louanges du vra Dieu

cette partie du Chœur que les Payens em ployoient à chanter les louanges de leurs fausses Divinités.

A dire vrai, je ne pensois gueres que la chose dût être aussi publique qu'elle l'a été; mais les grandes vérités de l'Ecriture, et la maniere sublime dont elles y sont énoncées, pour peu qu'on les présente, même imparfaitement, aux yeux des hommes, sont si propres à les frapper, et d'ailleurs ces jeunes Demoiselles ont déclamé et chanté cet Ouvrage avec tant de grace, tant de modestie et tant de piété, qu'il n'a pas été possible qu'il demeurât renfermé dans le secret de leur Maison: de sorte qu'un divertissement d'enfans est devenu le sujet de l'empressement de toute la Cour; le Roi lui-même, qui en avoit été touché, n'ayant pu refuser tout ce qu'il y a de plus grands Seigneurs de les y mener, et ayant eu la satisfaction de voir, par le plaisir qu'ils y ont pris, qu'on se peut aussi bien divertir aux choses de piété qu'à tous les spectacles profanes. Au reste, quoique j'aie évité soigneusement de mêler le profane avec le sacré, j'ai cru néanmoins que je pouvois emprunter deux ou trois

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traits d'Hérodote, pour mieux peindre Assuérus; car j'ai suivi le sentiment de plusieurs savans interpretes de l'Ecriture, qui tiennent que ce Roi est le même que le fameux Darius, fils d'Hystaspe, dont parle cet Historien. En effet, ils en rapportent quantité de preuves, dont quelques-unes me paroissent des démonstrations. Mais je n'ai pas jugé à propos de croire ce même Hérodote sur sa parole, lorsqu'il dit que les Perses n'élevoient ni Temples, ni Autels, ni Statues à leurs Dieux, et qu'ils ne se servoient point de libations dans leurs sacrifices. Son témoignage est expressément détruit par l'Ecriture, aussi-bien que par Xénophon, beaucoup mieux instruit que lui des mœurs et des affaires de la Perse, et enfin par Quinte-Curce.

On peut dire que l'unité de lieu est observée dans cette Piece, en ce que toute l'action se passe dans le Palais d'Assuérus. Cependant, comme on vouloit rendre ce divertissement plus agréable à des enfans, en jettant quelque variété dans les décorations, cela a été cause que je n'ai pas gardé cette unité avec la même rigueur que j'ai fait autrefois dans mes Tragédies.

Je crois qu'il est bon d'avertir ici que bien qu'il y ait dans Esther des personnages d'hommes, ces personnages n'ont pas laissé d'être représentés par des filles, avec toute la bienséance de leur sexe. La chose leur a été d'autant plus aisée qu'anciennement les habits des Persans et des Juifs étoient de longues robes, qui tomboient jusqu'à terre.

Je ne puis me résoudre à finir cette Préface, sans rendre à celui qui a fait la Musique (1) la justice qui lui est due, et sans confesser franchement que ses chants ont fait un des plus grands agrémens de la Piece. Tous les connoisseurs demeurent d'accord que depuis long-tems on n'a point entendu d'airs plus touchans ni plus convenables aux paroles. Quelques personnes ont trouvé la Musique du dernier Chœur un peu longue, quoique très-belle; mais qu'auroit-on dit de ces jeunes Israélites qui avoient tant fait de vœux à Dieu, pour être délivrées de l'horrible péril où elles étoient, si ce péril étant passé, elles lui en

(2) Jean-Baptiste Moreau, Musicien, né à Angers en 1655; mort, à Paris, en 1733.

avoient rendu de médiocres actions de graces? Elles auroient directement péché contre la louable coutume de leur nation, où l'on ne recevoit de Dieu aucun bienfait signalé qu'on ne l'en remer• ciát, sur le champ, par de fort longs Cantiques; témoins ceux de Marie, sœur de Moyse, de Débora et de Judith, et tant d'autres dont l'Ecriture est pleine. On dit même que les Juifs, encore aujourd'hui, célebrent, par de grandes actions de graces, le jour où leurs ancêtres furent délivrés par Esther de la cruauté d'Aman,

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