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qu'on désignât quelques coupables même parmi les membres de la Convention. Ceux-ci, députés de Paris, pouvaient tous se défendre, et par eux-mêmes, et par leurs collègues qui les auraient soutenus dans l'évidence même de leurs torts. Les traiter en coupables, sans pouvoir en venir à un jugement, c'était les aigrir à pure perte. Barbaroux proposa des mesures fortes tout aussi peu praticables avec les mêmes oppositions: nous allons les exposer d'après le discours de cet orateur, discours qui ne fut point distribué, sans doute parce qu'il était trop violent. Barbaroux s'y fait gloire d'avoir préparé, avec son parti, dans un conventicule, à Charenton, l'attaque du 10 août, qui peut-être n'aurait pas eu lieu sans la brusque défense des Suisses. Si les deux partis désiraient passionnément la liberté, ils n'étaient pas d'accord sur les moyens de la conserver ou de l'établir. Barbaroux disait que les moyens sanguinaires et licencieux du parti contraire, n'étaient bons que pour la détruire, ce qui était vrai. Le parti de Robespierre ne voyait le salut de la république et sa propre défense que dans les moyens atroces, et il résolut de se défaire par le fer et l'assassinat de ceux qui les combattaient. Ces horreurs sont quelquefois couvertes, dans une république, du beau manteau du zèle patriotique. Pour moi, vivement touché de ces honteuses scènes et plus encore des malheurs qu'elles annonçaient, je pris dès-lors le dessein de me tenir constamment à l'écart sous l'égide de mon silence et de ma nullité; mais comme, dans mon poste, je ne pouvais me rendre invisible ni même indifférent, j'avais soin de n'opiner que d'après moi seul et selon mes principes. Je n'étais ni de la société de la dame Roland ni d'aucune autre; je ne contrariais ni les goûts ni l'ambition de personne; mais pour ne pas paraître approuver les barbaries de la montagne, je siégeais tout exprès au côté droit avec des députés honnêtes, qui, comme moi, restaient immobiles aux mauvaises délibérations. Ceux du centre ne leur étaient pas toujours étrangers; ce qui leur valait une sorte d'assurance et les sauvait des injures comme des menaces auxquelles nous étions en butte, surtout après le jugement du roi dont nous ne votâmes pas la mort et dont nous voulions renvoyer la ratification au peuple. Mais je reviens au discours de Barbaroux, que je ne puis faire connaître que par des extraits; ils suffiront à l'éclaircissement du sujet que je traite. L'orateur disait :

« Je viens vous proposer des mesures salutaires. >> L'anarchie règne autour de nous, et nous n'avons

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rien fait encore pour la réprimer; les provoca>> teurs aux meurtres, les administrateurs infidè>> les, les sentimens d'une poignée de citoyens éga>> rés, sont encore triomphans. N'est-ce donc plus » ici la volonté nationale qui commande, et les >> représentans de vingt-cinq millions d'hommes >> doivent-ils courber la tête devant une trentaine >> de factieux? Nous n'avons pas assez calculé >> les conséquences terribles de notre longue pa>> tience. Quelle opinion les peuples chez lesquels >> nous allons porter la liberté, peuvent-ils se for>> mer de notre république, lorsqu'ils voient le >> crime siéger à côté de la vertu, dans la Conven» tion nationale, et les dictateurs respirer le même >> air que les hommes du 14 juillet? Il importe an » salut de la république que nous prenions enfin >> des mesures conservatrices de l'ordre social. » Les agitateurs se défendent par deux calomnies » qui en imposent aux ignorans. Ils nous accusent >> de vouloir le fédéralisme et une force départe>> mentale. A l'égard du fédéralisme nos mandats » même nous justifient, et si l'on a parlé de >> gardes des départemens, c'est sans aucun pré>> judice pour personne, encore moins pour la li>> berté. Croira-t-on que c'est avec ces deux élé» mens, projet de fédéralisme et force-armée, >> que les agitateurs ont perpétué les troubles qu'ils » avaient fait naître? Les travaux du camp, les >> billets de la maison de secours, ont été dans

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leurs mains des moyens d'agitation; mais c'est >> leur audace, surtout, qui les a servis. Après >> avoir plus ou moins concouru à la spoliation >> d'une foule de maisons d'émigrés devenues na>> tionales, ils ont dit: Nous avons fait la révolu» tion du 10 août. O vous qui combattiez au Car>> rousel, Parisiens, fédérés des départemens, >> gendarmes nationaux, dites-nous : Ces hommes > étaient-ils avec vous? Marat m'écrivit le 9 août

>> de le conduire à Marseille. Panis et Robespierre >> faisaient de petites cabales: aucun d'eux n'était >> chez Roland lorsqu'on y traçait le plan de dé>> fense du midi qui devait reporter la liberté dans >> le nord, si le nord eût succombé. Aucun d'eux » n'était à Charenton où fut arrêtée la conjuration >> contre la cour, qui devait s'exécuter le 29 juil>> let et qui n'eut lieu que le 10 août.

>> C'est pourtant avec ces mensongères paroles : >> Nous avons fait la révolution du 10 août, qu'ils >> espèrent faire oublier et les assassinats du 2 sep>> tembre, et leur projet de dictature, et les spo>> liations qu'ils ont exercées. Les oublier! non, >> jene ferai pas cette injure au peuple français dont >> ils ont terni la révolution : je les ai dénoncés, » je les dénonce, je les dénoncerai, et il n'y au>> ra de repos pour moi que lorsque les assassins >> seront punis, les vols restitués, les dictateurs >> précipités de la Roche-Tarpeïenne.

>> Voyez la conduite de Robespierre: il déserte >> une place dans laquelle il pouvait servir le peu>> ple, pour se livrer, disait-il, à sa défense : et >> tous les systèmes qu'il a adoptés compromettent >> le peuple. S'il parle contre les perfidies de la » cour, il attaque avec un égal acharnement les >> hommes qui, dès long-temps, avaient conjuré la >> perte de la cour; et traversant leurs opérations, il >> prolonge ainsi au détriment du peuple, l'agonie >> malfaisante de la royauté. Avant le 10 août, >> il nous fait appeler chez lui, Rebecqui et moi; il

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>> ne nous parle que de nous rallier à un homme >> jouissant d'une grande popularité, et Panis en >> sortant nous désigne Robespierre pour dictateur. >> Panis a nié cette conversation; mais Pierre Bayle >> l'accusa de lui en avoir tenu une pareille. Eh! » comment peut-il échapper à cette réunion de >> témoignages, lorsque, d'ailleurs, tous les faits >> subsequens ne démontrent que trop l'existence » d'un projet de dictature?

» Après le 10, Robespierre devint membre du >> conseil - général de la commune de Paris. En >> cette qualité il se présente tous les jours à l'As» semblée législative, il la provoque, il l'avilit. » Eh! qu'il ne dise pas que ces provocations » étaient légitimes, par la nécessité de faire dé>> créter par cette Assemblée des mesures salu>> taires au peuple! Toutes les grandes mesures >> avaient été prises dans la séance du 10, et le >> patriotisme, relevé par les communes, dictait >> les décrets du corps législatif. Mais il fallait ar» racher à la terreur des uns, au mal-entendu des >> autres, à l'ignorance et à l'incurie de plusieurs, >> des lois qui préparassent l'organisation de la >> dictature. Aussi Robespierre proposait, dans la >> commission des vingt-un, d'autoriser le conseil>> général de la commune à se former tout à la >> fois en juri d'accusation, en juri de jugement, >> et en tribunal chargé de l'application de la loi. >> Tallien, qui l'accompagnait, repoussa lui-même » avec horreur cette proposition faite au nom du

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