ARTICLE XI DIVERSES PREUVES DE JÉSUS-CHRIST I Les apôtres ont été trompés ou trompeurs. L'un ou l'autre est difficile. Car il n'est pas possible de prendre un homme pour être ressuscité; et l'hypothèse des apôtres fourbes est bien absurde. Qu'on la suive tout au long; qu'on s'imagine ces douze hommes assemblés après la mort de Jésus-Christ, faisant le complot de dire qu'il est ressuscité. Ils attaquent par là toutes les puissances. Le cœur des hommes est étrangement penchant à la légèreté, au changement, aux promesses, aux biens. Si peu qu'un d'eux se fût démenti par tous ces attraits, et, qui plus est, par les prisons, par la torture et par la mort, ils étoient perdus. Qu'on suive cela. Tandis que Jésus-Christ étoit avec eux, il les pouvoit soutenir. Mais après cela, s'il ne leur est apparu, qui les a fait agir? II Le style de l'Évangile est admirable en tant de manières, et entre autres en ne mettant jamais aucune invective contre les bourreaux et ennemis de Jésus-Christ. Car il n'y en a aucune des historiens contre Judas, Pilate, ni aucun des Juifs. Si cette modestie des historiens évangéliques avoit été affectée, aussi bien que tant d'autres traits d'un si beau caractère, et qu'ils ne l'eussent affecté que pour le faire remarquer; s'ils n'avoient osé le remarquer eux-mêmes, ils n'auroient pas manqué de se procurer des amis, qui eussent fait ces remarques à leur avantage. Mais comme ils ont agi de la sorte sans affectation, et par un mouvement tout désintéressé, ils ne l'ont fait remarquer à personne : et je crois que plusieurs de ces choses n'ont point été remarquées jusques ici; et c'est ce qui témoigne la froideur avec laquelle la chose a été faite. III Jésus-Christ a fait des miracles, et les apôtres ensuite, et les premiers saints en grand nombre; parce que les prophéties n'étant pas encore accomplies et s'accomplissant par eux, rien ne témoignoit que les miracles. Il étoit prédit que le Messie convertiroit les nations. Comment cette prophétie se fût-elle accomplie sans la conversion des nations? Et comment les nations se fussent-elles converties au Messie, ne voyant pas ce dernier effet des prophéties qui le prouvent ? Avant donc qu'il ait été mort, ressuscité, et [qu'il eût] converti les nations, tout n'étoit pas accompli; et ainsi il a fallu des miracles pendant tout ce temps-là. Maintenant il n'en faut plus contre les Juifs; car les prophéties accomplies sont un miracle subsistant. IV [L'état où l'on voit les Juifs est encore une grande preuve de la religion. Car] c'est une chose étonnanté et digne d'une étrange attention de voir le peuple juif subsister depuis tant d'années, et de le voir toujours misérable étant nécessaire pour la preuve de JésusChrist, et qu'ils subsistent pour le prouver, et qu'ils soient misérables, puisqu'ils l'ont crucifié; et quoiqu'il soit contraire d'être misérable et de subsister, il subsiste néanmoins toujours, malgré sa misère. [Mais n'ont-ils pas été presque au même état au temps de la captivité? Non. Le sceptre ne fut point interrompu par la captivité de Babylone, à cause que le retour étoit promis et prédit.] Quand Nabuchodonosor emmena le peuple, de peur qu'on ne crût que le sceptre fût ôté de Juda, il leur fut dit auparavant qu'ils y seroient peu, et qu'ils seroient rétablis. Ils furent toujours consolés par les prophètes; leurs rois continuèrent. Mais la seconde destruction est sans promesse de rétablissement, sans prophètes, sans rois, sans consolation, sans espérance, parce que le sceptre est ôté pour jamais. Ce n'est pas avoir été captif que de l'avoir été avec assurance d'être délivré dans soixante-dix ans. Mais maintenant ils le sont sans aucun espoir. Dieu leur a promis qu'encore qu'il les dispersât aux bouts du monde, néanmoins s'ils étoient fidèles à la loi, il les rassembleroit. Ils y sont très-fidèles, et demeurent opprimés. [Il faut donc que le Messie soit venu, et que la loi qui contenoit ces promesses soit finie par l'établissement d'une loi nouvelle.] V Si les Juifs eussent été tous convertis par JésusChrist, nous n'aurions plus que des témoins suspects; et s'ils avoient été exterminés, nous n'en aurions point du tout. Les Juifs le refusent, mais non pas tous. Les saints le reçoivent, et non les charnels. Et tant s'en faut que cela soit contre sa gloire, que c'est le dernier trait qui l'achève. La raison qu'ils en ont, et la seule qui se trouve dans leurs écrits, dans le Talmud et dans les rabbins, n'est que parce que Jésus-Christ n'a pas dompté les nations en main armée, gladium tuum potentissime: n'ont-ils que cela à dire? Jésus-Christ a été tué, disent-ils; il a succombe; il n'a pas dompté les païens par sa force; il ne nous a pas donné leurs dépouilles; il ne donne point de richesses. N'ont-ils que cela à dire? C'est en cela qu'il m'est aimable. Je ne voudrois point celui qu'ils se figurent. VI Qu'il est beau de voir, par les yeux de la foi, Darius et Cyrus, Alexandre, les Romains, Pompée et Hérode, agir, sans le savoir, pour la gloire de l'Évangile! VII La religion mahométane a pour fondement l'Alcoran et Mahomet. Mais ce prophète, qui devoit être la dernière attente du monde, a-t-il été prédit? Et quelle marque a-t-il que n'ait aussi tout homme qui se voudra dire prophète? Quels miracles dit-il lui-même avoir faits? Quel mystère a-t-il enseigné? Selon sa tradition même, quelle morale et quelle félicité? Mahomet [est] sans autorité. Il faudroit donc que ses raisons fussent bien puissantes, n'ayant que leur propre force. Que dit-il donc ? Qu'il faut le croire. VIII De deux personnes qui disent de sots contes, l'un qui a double sens entendu dans la cabale, l'autre qui n'a qu'un sens : si quelqu'un, n'étant pas du secret, entend discourir les deux en cette sorte, il en fera même jugement. Mais si ensuite, dans le reste du discours, l'un dit des choses angéliques, et l'autre toujours des choses plates et communes, il jugera que l'un parloit avec mystère, et non pas l'autre; l'un ayant assez montré qu'il est capable de telles sottises, et capable d'être mystéricux; et l'autre qu'il est incapable de mystère, et capable de sottises. IX Ce n'est pas par ce qu'il y a d'obscur dans Mahomet, et qu'on peut faire passer pour avoir un sens mystérieux, que je veux qu'on en juge, mais par ce qu'il y a de clair, par son paradis, et par le reste. C'est en cela qu'il est ridicule. Et c'est pourquoi il n'est pas juste de prendre ses obscurités pour des mystères, vu que ses clartés sont ridicules. Il n'en est pas de même de l'Écriture. Je veux qu'il y ait des obscurités, qui soient aussi bizarres que celles de Mahomet, mais il y a des clartés admirables, et des prophéties manifestes et accomplies. La partie n'est donc pas égale. Il ne faut pas confondre et égaler les choses qui ne se ressemblent que par l'obscurité, et non pas par la clarté qui mérite qu'on révère les obscurités. L'Alcoran dit que saint Matthieu étoit homme de bien. Donc Mahomet étoit faux prophète, ou en appelant gens de bien des méchants, ou en ne les croyant pas sur ce qu'ils ont dit de Jésus-Christ. |